Ces jours-ci, on entend presque continuellement parler de récession. Malgré tout, une certaine confusion persiste quant au sens fondamental du terme. Va-t-il y avoir une récession? Sera-t-elle grave? Comment même définir ce qu’est une récession? Il semble que même la bonne vieille définition, selon laquelle une récession correspond à une croissance négative du PIB pendant deux trimestres consécutifs, soit trop simpliste.

Dans cet épisode, nous revenons donc à la base, et allons expliquer les principes qui sous-tendent ce terme économique dont le sens apparaît bien nébuleux, avec l’aide de notre invité : l’économiste en chef de la Banque Scotia, Jean-François Perrault.

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Transcription :

 
Stephen Meurice : Le mot « récession » est devenu un genre de test de taches d’encre, parce que nous l’interprétons en fonction de nos propres perceptions, de notre anxiété économique et, bien évidemment, des grands titres qu’on voit dans les médias. Quand même, tout le monde s’entend au moins sur la définition de ce qu’est une récession, soit deux trimestres de croissance négative du PIB – c’est bien ça, n’est-ce pas?


Jean-François Perrault : Eh bien, oui et non.

SM : Nous sommes en compagnie de l’économiste en chef de la Banque Scotia, Jean-François Perrault.

JFP : C’est vrai qu’il existe une définition courte de ce qu’est une récession, c’est-à-dire deux trimestres consécutifs de croissance négative. Mais cette définition ne dit pas grand-chose sur l’état de l’économie. En effet, on peut avoir deux trimestres négatifs en raison de certains éléments techniques, ou d’anomalies passagères dans les données, sans que cela signifie que l’économie est en difficulté.

SM : Nous devons donc revenir à la base pour parler de récession, et Jean-François est le mieux placé pour nous aider à faire cela. Dans cet épisode, nous allons éclaircir cette notion qui semble bien imprécise. Je m’appelle Stephen Meurice. Bienvenue à Perspectives.

Jean-François, je te remercie, comme toujours, de participer à cette baladodiffusion.

JFP : Merci, Steve. C’est toujours un plaisir pour moi d’être ici.

SM : Habituellement, nous faisons appel à toi pour analyser les nouvelles de la journée. Aujourd’hui, par contre, tu es ici pour répondre à une seule question : qu’est-ce qu’une récession? Commençons donc par une définition. Dans l’introduction, tu as émis des réserves au sujet de la définition que j’entends et que j’utilise aussi moi-même souvent, celle d’une croissance négative du PIB pendant deux trimestres consécutifs. Si ce n’est pas ça, une récession, qu’est-ce que c’est?

JFP : Eh bien, selon une définition plus large de ce qu’est une récession, il faut examiner le fléchissement réel de l’activité économique, en déterminer l’ampleur, regarder la situation de l’emploi. Il s’agit davantage d’une évaluation qualitative, qui porte sur une période plus longue. Souvent, on ne reconnaît effectivement une récession que bien après qu’elle a commencé. Voilà un portrait plus complet de ce qu’est une récession, une meilleure définition. Et il revient à des instances comme l’Institut C.D. Howe de déterminer s’il y a récession, en analysant l’ensemble des indicateurs économiques afin de bien comprendre ce qui se passe dans l’économie, simplement pour que l’on ne se fasse pas leurrer par de petites irrégularités dans les données, qui sont susceptibles de créer l’illusion de quelques trimestres de croissance négative, comme cela arrive souvent.

SM : D’accord. Tu mentionnes l’Institut C.D. Howe. J’y reviendrai tantôt. Mais tout d’abord, peux-tu nous dire d’où vient la fameuse règle des deux trimestres de croissance négative, si ce n’est pas la vraie définition officielle d’une récession?

JFP : Oh, elle existe depuis toujours. C’est utile de savoir quand nous nous trouvons en récession, n’est-ce pas? Sauf qu’il y a tellement de variables macroéconomiques différentes qui permettent de déclarer officiellement l’entrée en récession que les gens prennent en quelque sorte un raccourci. Ils disent « eh bien, alors, si on a deux trimestres de croissance négative, on pourra dire, en gros, que l’économie se trouve probablement en récession. On va le confirmer plus tard, quand on aura plus d’information. » C’est en fait une façon expéditive et approximative de cerner l’ampleur d’un ralentissement économique.

SM : Dis-moi, est-ce qu’il existe une sorte d’organisme qui déclare officiellement « nous sommes en récession » – ou pas ? Aux États‑Unis, il y a un organisme dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à récemment, le National Bureau of Economic Research, qui semble avoir ce pouvoir. Nous n’avons rien de semblable au Canada, n’est-ce pas?

JFP : Effectivement. La plupart des gens se tournent vers l’Institut C.D. Howe pour faire ce genre d’évaluation au Canada. C’est un groupe de réflexion et non un organisme gouvernemental. Pas plus d’ailleurs que le National Bureau of Economic Research aux États‑Unis. Ce dernier n’est pas exactement l’équivalent de l’Institut C.D. Howe : c’est un groupe d’économistes chevronnés qui examinent tout un éventail de paramètres, exactement comme nous le faisons ici, afin de déterminer si, oui ou non, l’économie connaît un ralentissement significatif – et non un simple recul technique qui se manifeste par une décroissance pendant deux trimestres.

SM : Bien. Donc, que nous soyons en pleine récession ou que nous constations, a posteriori, que nous en avons traversé une, il est possible qu’on ne s’entende pas sur le fait qu’il y a – ou qu’il y ait eu – une récession?

JFP : Exact. Par exemple, il se peut que le Canada traverse quelques trimestres de croissance négative cette année; mais ce n’est que l’an prochain que l’on pourra statuer sur la présence, ou non, d’une récession. Il faut habituellement attendre plusieurs mois après une période de croissance négative pour pouvoir déterminer, de façon fiable, s’il s’agissait d’une véritable récession et non simplement d’une récession technique.

SM : Une récession « technique », c’est la succession de deux trimestres de croissance négative?

JFP : Oui, c’est ça.

SM : Je comprends. Revenons en arrière, si tu le permets. Peux-tu nous donner une petite leçon d’histoire? Quand se sont donc produites les dernières récessions au Canada, et comment se sont-elles manifestées?

JFP : C’est arrivé en pleine pandémie. Il y a eu quelque chose qui ressemblait à une récession. Ensuite, on doit reculer, disons, à la grande crise financière, qui a été la plus récente occurrence d’une récession avant la COVID‑19. Et il y en a eu quelques autres, plus loin dans le passé.

SM : Quand tu parles de la « grande crise financière », tu veux dire celle de 2008, n’est-ce pas?

JFP : C’est ça. Les récessions sont des périodes marquées par la peur, en quelque sorte, non? Il s’agit de moments où les gens s’inquiètent de l’état du monde; où les entreprises compriment leurs dépenses; où il y a des licenciements; où les ménages voient leurs finances pâtir en raison de la perte d’un emploi ou de la baisse de leurs revenus; ou bien où ils sont simplement plus prudents en général. Très souvent, les récessions sont déclenchées par une hausse stratégique des taux par les banques centrales. Il y a donc une corrélation assez forte : les banques centrales majorent les taux d’intérêt pour juguler l’inflation; ce qui, en conséquence, réduit l’activité économique. Il est très difficile d’être très précis quant au nombre exact d’augmentations de taux d’intérêt nécessaires pour obtenir l’effet voulu sur l’inflation. C’est pour cette raison que, depuis toujours, les banques centrales ont tendance à trop resserrer le crédit, ce qui contribue à provoquer une récession. Durant la pandémie, ça s’est produit indirectement, parce que c’est le gouvernement, au fond, qui a décidé de fermer l’économie. Ce n’était donc pas vraiment un phénomène organique. La récession la plus récente avant ça, c’était la crise financière, dont les contrecoups ont été durement ressentis au Canada, comme dans bien des pays. C’est caractéristique d’une récession réelle typique.

SM : Toutes les récessions ne sont pas égales, par conséquent, selon les facteurs qui entrent en jeu. Quelle serait la durée typique d’une récession?

JFP : Tout dépend de la nature de la récession. Une récession ne dure pas si longtemps que ça; je dirais quelques trimestres, peut-être trois. La crise financière a été plus longue qu’à l’habitude, et c’était parce qu’il s’agissait, dans notre jargon, d’une récession de bilan. Dans ce genre de récession, fondamentalement, quand la banque centrale hausse les taux d’intérêt ou que les déséquilibres dans les bilans des ménages et des entreprises sont mis au jour, l’ajustement, c’est-à-dire l’assainissement de ces bilans, s’opère très lentement. Ça ne se produit pas du jour au lendemain : c’est étalé sur plusieurs trimestres, voire plusieurs années. Pour nous, la grande crise financière, par exemple, était une récession de bilan accompagnée d’effets extrêmement négatifs… initialement provoqués par la crise financière. La reprise ensuite a été très longue parce que les entreprises et les ménages au Canada, aux États‑Unis et en Europe ont eu besoin d’énormément de temps pour rétablir leur situation, c’est-à-dire rebâtir des bases financières solides en vue d’une expansion future.

SM : Effectivement. S’il y a une récession en 2023, comme certains le prédisent, dont toi-même, penses-tu que nous vivrons une récession technique au début de l’année? Quelle forme est-elle susceptible de prendre? Je sais que c’est impossible de le savoir exactement, mais quelle pourrait être l’ampleur de la récession, s’il y en a une?

JFP : Eh bien, on regarde le point de départ, qui est un élément important pour les récessions. Si le pays entre dans une période de marasme économique et que les bilans sont peu solides, la situation est pire. À la base, disons, pour déterminer la gravité d’une récession éventuelle l’an prochain, il faut regarder les bilans des ménages et des entreprises. Or, la plupart des critères indiquent que les uns comme les autres se trouvent en excellente posture, comparativement à il y a dix ans, par exemple, lors de la dernière crise financière. C’est sûr que leur situation s’est affaiblie un peu. Les cours boursiers et le prix des maisons ont chuté, ce qui a eu une incidence sur le bilan des ménages, mais ce bilan reste plutôt sain d’un point de vue historique. C’est vrai pour les entreprises aussi. Nous sommes donc à peu près certains que les bilans vont être raisonnablement résilients en période de recul économique. Par conséquent, s’il y a une récession, il est peu probable que se produise une situation semblable à celle de 2008-2009, où les ménages et les entreprises ont mis énormément de temps à assainir leur bilan en réponse au choc économique. L’autre facteur important quand on analyse l’ampleur d’une récession, c’est la situation sur le marché du travail, parce que, de toute évidence, les mises à pied entraînent de graves difficultés financières pour les salariés, qui risquent de peiner à se retrouver un emploi rapidement. Or nous savons que le marché du travail à l’heure actuelle est sans doute le plus restreint que nous ayons jamais vu au Canada : les entreprises se plaignent encore des pénuries de main-d’œuvre, et ça reste l’enjeu numéro un pour bon nombre d’entre elles. C’est vrai que l’inflation pose évidemment des problèmes, mais les entreprises s’inquiètent moins de la récession que du manque d’employés. Avec environ un million de postes vacants, selon les plus récentes données, la marge tampon est vaste. Une récession typique s’accompagne en général de la perte de 300 à 400 000 emplois, alors il semble que les entreprises disposent d’une assez bonne capacité de réduire le nombre de postes vacants et de limiter les embauches prévues, en guise de première ligne de défense. Sur ce plan d’ailleurs, étant donné que le marché du travail est si serré depuis si longtemps, les entreprises ont assumé des coûts très élevés, sur le plan des salaires offerts et des efforts déployés, afin d’attirer et de fidéliser des employés. Après avoir investi tout ce temps et cet argent, et après avoir relevé tous ces défis, il est peu probable que les employeurs allègent leurs effectifs aussi rapidement qu’ils l’auraient fait dans le passé. Nous croyons donc qu’ils se constitueront une réserve de main-d’œuvre en surnombre : ils vont chercher à retenir leurs employés le plus longtemps possible parce qu’ils ne veulent pas être obligés de retourner sur le marché ultérieurement, et courir le risque de subir les mêmes grandes difficultés pour embaucher des gens – car c’était leur principal défi en affaires depuis que nous avons commencé à sortir de la pandémie. En fait, c’était un problème avant la COVID‑19 également. Ces deux facteurs mis ensemble, soit les pénuries de main-d’œuvre et la solidité du marché du travail, conjugués aux bilans relativement sains, nous portent à croire que, si l’économie connaît un recul, ce dernier ne sera probablement pas aussi prononcé qu’au cours des dernières récessions.

SM : Par conséquent, le chômage est un enjeu moins prépondérant dans la possible récession qui s’en vient que dans le cadre de récessions précédentes ou de récessions de bilan. Étant donné la situation financière des ménages et des entreprises, qui s’avère excellente en ce moment, quels pourraient donc être les impacts d’une récession? Qu’est-ce qui devrait être préoccupant pour les gens en cas de récession?

JFP : N’oublie pas tout d’abord que c’est bien beau d’affirmer que la récession qui s’en vient, si elle se concrétise, sera faible, mais le fait est que nous ne pouvons pas en être certains. Il y a d’ailleurs un aspect psychologique qui entre en jeu ici, une part de sociologie aussi. Quand les gens sont inquiets, ils ont des réactions qu’ils pensent favorables à leurs intérêts. Ils ne risquent pas d’être mis à pied, et cette conviction, si on regarde le passé, semble parfaitement justifiée. Par contre, il est possible qu’ils ne perçoivent pas la situation de cette façon, et qu’ils réagissent quand même comme si une catastrophe était sur le point de les frapper! Cet état d’esprit peut empirer la situation. On se retrouve alors avec des ménages et des entreprises qui s’attendent à des vulnérabilités qui n’existeraient pas s’ils n’arrêtaient pas de dépenser justement à cause de leur crainte de voir ces vulnérabilités se concrétiser. Il ne faut pas mettre cet aspect de côté quand nous analysons les scénarios de récession, c’est-à-dire la possibilité que la peur se nourrisse elle-même et qu’elle aggrave un problème au-delà de ce qui est justifié par le contexte général. Il reste qu’une récession signifie qu’il y a une baisse de la croissance, n’est-ce pas? Un ralentissement quelconque de l’activité économique. Et donc, que les entreprises et/ou les ménages ont comprimé leurs dépenses. C’est certain que les conséquences sont douloureuses. Mettez-vous à la place de la banque centrale, de la Banque du Canada, qui hausse les taux d’intérêt pour freiner l’inflation, mais qui y parviendra seulement si le niveau d’activité économique chute ou que la croissance économique ralentit : la douleur est inévitable. Impossible d’y échapper. Elle peut être faible ou intense, selon la solidité du marché de l’emploi ou des bilans, entre autres. Il s’agit néanmoins d’un effet incontournable. Quand une économie traverse une période de stagnation, les conséquences sont plus pénibles pour certaines personnes que pour d’autres. Par exemple, nous savons que les récessions ont des répercussions plus grandes sur les gens à faible revenu ou ceux qui travaillent dans le secteur privé que sur les membres de la fonction publique. Les impacts sont donc multiples. Par contre, personne ne veut tomber en récession; de ça, je n’ai aucun doute.

SM : C’est bien vrai... Tu as mentionné l’aspect psychologique et le fait qu’un état d’esprit puisse provoquer ou pas une récession, étant donné que les attentes influencent les comportements. Y aurait-il aussi une différence entre une récession technique et une récession « ressentie ». C’est-à-dire entre ce que disent les experts – comme l’Institut C.D. Howe – et l’impression qu’ont les gens en ce moment?

JFP : Probablement. Et encore une fois, il faut attendre longtemps pour obtenir les données économiques confirmant ou pas la présence d’une récession. Parlons du PIB trimestriel, pour ne prendre que cet exemple : on en connaît la valeur quelques mois après la fin du trimestre. Alors si vous cherchez à savoir si deux trimestres consécutifs ont eu une croissance négative, vous ne pourrez en avoir la confirmation que plusieurs mois après que les gens auront posé les gestes susceptibles de provoquer cette croissance négative. La récession est donc à peu près toujours confirmée après le fait, jamais en temps réel. Cependant, cette situation pourrait être en train de changer, puisque nous avons accès à de meilleures données maintenant. Les statisticiens s’en servent certainement à l’heure actuelle pour évaluer l’économie, ou ils vont le faire au cours des prochains mois. La mention d’une récession et la réaction des gens en conséquence ont une incidence sur les comportements en ce moment même. Cette incidence se fera sentir en janvier, en février, en mars. Par contre, nous ne saurons que beaucoup plus tard s’il y a réellement eu une récession. Dans une certaine mesure, nous pouvons donc évoquer une récession, mais les membres de la population ne savent pas si c’est vraiment le cas. Ils écoutent des gens comme nous, ils lisent les nouvelles. Ils cherchent à se faire une opinion, à savoir si l’économie est vigoureuse ou pas, si leur situation est stable ou s’ils doivent revoir leurs finances. Les entreprises, elles, se demandent si elles doivent changer leurs décisions en matière d’investissements et de dépenses. Tout ça, sans qu’on sache si nous sommes en récession ou pas, étant donné que cette information n’est connue que beaucoup plus tard.

SM : J’imagine que les récessions font partie des cycles économiques. Est-ce que les gens devraient s’attendre à vivre une récession inévitablement, par exemple tous les 10 ou 15 ans?

JFP : Je dirais que oui. Bien sûr, de toute évidence, il n’y a pas de cycle fixe pour les récessions. Par contre, une récession survient habituellement après une très longue période de prospérité. Arrive un point où l’économie surchauffe. Il y a trop d’inflation. Les entreprises ne savent plus où investir; elles n’ont plus de travailleurs. Il devient alors tout simplement très difficile de croître sans provoquer de poussée inflationniste. L’économie doit alors s’ajuster. En règle générale, la banque centrale va intervenir à cette fin, en majorant les taux d’intérêt, mais c’est normal, non? Il faut savoir que les dirigeants des banques centrales ne sont pas des magiciens : leurs décisions stratégiques ne peuvent pas être parfaites tout le temps. C’est impossible. Il y a des cycles; et une des conséquences de ces cycles, c’est un ajustement occasionnel de l’économie vers le bas, une récession ou autre chose. Donc, pas nécessairement une récession; peut-être juste une période de faible croissance. Mais ce genre d’ajustement est nécessaire de temps en temps.

SM : Je comprends. Donc, si nous tombons en récession l’an prochain, que peuvent faire les gouvernements pour aider les particuliers et les entreprises? À ton avis, que devraient-ils faire… ou ne pas faire?

JFP : La ligne à suivre est vraiment très fine. Quand nous analysons ce qui se passe dans le monde en ce moment, nous constatons que les décideurs semblent plus souvent commettre des erreurs dans leur gestion de la situation que trouver des solutions. Pour comprendre ce qui se passe, il faut revenir à la source première de la récession, au Canada et aux États‑Unis, entre autres, c’est-à-dire l’inflation. Nous cherchons à ralentir la croissance, à maîtriser l’inflation. Ce qui déclenche la récession, c’est l’inflation. Normalement, quand les gouvernements approchent d’un creux cyclique, les banques centrales vont réduire les taux d’intérêt et l’État va dépenser un peu plus. Qu’on parle de prestations d’assurance-emploi, de dépenses en infrastructures ou d’allocations versées durant la pandémie, le gouvernement remet des chèques aux contribuables afin de les protéger contre les pires effets de la récession. En ce moment, l’inflation est extrêmement élevée. Notre banque centrale intervient pour freiner l’économie et ramener l’inflation à un taux moindre. Les politiques qui servent à bloquer toute récession éventuelle ou les politiques qui compliquent l’objectif de la Banque du Canada en matière d’inflation exacerbent probablement le risque de récession. La Banque du Canada doit alors intervenir encore plus. Même si ces politiques découlent de bonnes intentions, il faut que la surchauffe dans l’économie baisse, et si le gouvernement essaie d’offrir des mesures de soutien ou de ralentir la correction au moyen d’une politique budgétaire généreuse, il rend le contrôle de l’inflation encore plus difficile. Et selon les mesures choisies, le contrôle de l’inflation peut être un peu ou beaucoup plus difficile. Ces mesures peuvent donc nuire aux efforts des banques centrales. Tout cela veut dire que, au bout du compte, en espérant prévenir, en quelque sorte, la récession, on augmente peut-être le risque qu’elle se produise.

SM : D’accord. Une dernière question : si une récession survient – et personne n’en a la certitude –, l’atterrissage se fera-t-il en douceur?

JFP : Nous l’espérons. Je pense que c’est possible au Canada, pour les raisons dont nous avons déjà parlé : les bilans sont raisonnablement solides, le marché de l’emploi est très, très vigoureux. À la lumière des mesures que prendra la Banque du Canada, d’après nous, ou de notre évaluation des données fondamentales macroéconomiques, nous n’entrevoyons pas de récession au Canada. À notre avis, une récession découlera plus probablement de ce qui se passe en ce moment aux États‑Unis – ou de ce qui va s’y passer – ou de l’évolution de la situation en Grande-Bretagne; et des effets que tout cela aura sur les marchés et les jugements de chacun. Le cas échéant, la récession sera attribuable à des facteurs qui échappent quelque peu à notre contrôle; il sera donc difficile d’amortir la chute. Nous croyons que la récession sera quand même faible. Dans une certaine mesure, par contre, nous sommes dépendants du contexte qui prévaut hors de nos frontières et qui est donc plus difficile à maîtriser.

SM : Très bien. Je pense que nous allons conclure ici. Merci Jean‑François. C’est toujours un plaisir de t’avoir avec nous, et nous sommes vraiment ravis de ta visite.

JFP : C’est moi qui te remercie, Steve.

SM : Je me suis entretenu avec Jean‑François Perrault, économiste en chef de la Banque Scotia.