Par Sarah Walker
«Mon grand-père a bâti sa carrière en se soumettant aux politiques d’assimilation. Jamais il n’aurait pu imaginer que la mienne reposerait sur le grand échec de l’assimilation», déclare Myan Marcen-Gaudaur, première directrice, Relations avec les Autochtones et Réconciliation à la Banque Scotia, Ojibwe-Métisse, descendante de colons et de la Première Nation des Chippewas de Rama.
Son grand-père, Jake Gaudaur, joueur de football métis et ancien commissaire de la Ligue canadienne de football, a caché ses origines ojibwées, une pratique de survie commune à tous les peuples autochtones de sa génération. (Mme Marcen-Gaudaur est également une descendante du chef Big Shilling, chef héréditaire du lac Couchiching.)
«La démarche de réconciliation dans les entreprises est semblable à l’apprentissage d’une langue. Il s’agit en effet d’un parcours d’apprentissage et d’intégration, qui devient une seconde nature lorsqu’on fait preuve d’engagement et y consacre du temps et des efforts. Je souhaite insuffler un élan suffisamment grand dans l’ensemble de l’organisation pour que la réconciliation devienne si innée dans notre façon de penser et d’agir et faire en sorte que des rôles comme celui que j’exerce ne soient plus nécessaires.»
Dans le cadre de ses fonctions à la Banque Scotia, Mme Marcen-Gaudaur supervise la stratégie de réconciliation de la Banque et la mise en œuvre du Plan d’action pour la vérité et la réconciliation qui y est rattaché dans l’ensemble de l’entreprise. Un travail qui vise à faire tomber les barrières systémiques que le système financier a érigées à l’encontre des communautés autochtones et qu’il a maintenues en place pendant de nombreuses années.
« La loi sur les Indiens visait à éradiquer les peuples autochtones et leur spécificité économique, sociale, culturelle et spirituelle, explique Mme Marcen-Gaudaur. En plus de conduire à un génocide culturel, ce pan de l’histoire coloniale a entraîné une grave anémie économique, non seulement pour les communautés autochtones, mais également pour l’ensemble de l’économie canadienne.»
Le parcours qui a mené Mme Marcen-Gaudaur à son poste actuel a été tracé par sa philosophie qui consiste à porter son regard «vers l’extérieur plutôt que vers le haut». Après avoir mis sur pied un festival de films novateur incorporant des éléments de jazz appelé The Cinema of Jazz, qui, par le plus grand des hasards, a été commandité pour la première fois par la Banque Scotia, elle a travaillé pendant 15 ans dans le domaine du marketing et des commandites.
«Il y a une question que j’ai toujours redoutée, et c’est quand on me demande où je me vois dans cinq ans, confie-t-elle. Répondre à cette question est toujours plus facile du point de vue de la mentalité hiérarchique, où il suffit de regarder vers le haut et de viser le poste suivant dans la hiérarchie. Mais je ne tourne pas mon regard vers le haut, je le tourne vers l’extérieur. Et ce que je vois est vaste, rempli d’options et de destinations infinies qu’on ne peut voir que lorsqu’on est tout près.»
Sa transition vers un travail en lien avec la réconciliation s’est amorcée lorsqu’on lui a proposé de diriger l’équipe responsable de la stratégie relative à la clientèle autochtone dans l’une des six grandes banques canadiennes – une première pour ce genre de poste.
« Lorsque j’ai reçu l’appel, je me suis d’abord dit que je ne pouvais pas faire ce travail, se souvient-elle. Mais la grande leçon que j’en ai tirée, c’est qu’il ne faut jamais dire non avant de savoir à quoi on dit non.»
Vivant à Toronto à l’époque, elle pensait qu’un accès équitable aux services bancaires allait de soi. «Plus je réfléchissais à ce poste, plus je me rendais compte de la responsabilité des banques dans la lutte contre les grandes disparités auxquelles sont confrontées les communautés autochtones, et je voulais vraiment faire partie de la solution. C’était la première fois que j’attachais vraiment de l’importance, sur le plan émotionnel, au secteur dans lequel je travaillais».
Depuis son arrivée à la Banque Scotia en avril 2023, Mme Marcen-Gaudaur a collaboré avec plus de 70 intervenants et titulaires de droits, dont la majorité était des Autochtones, pour donner vie au Plan d’action pour la vérité et la réconciliation de l’organisation.
«Il nous a fallu 18 mois pour faire le travail, et je le mentionne, car j’en suis très fière, dit-elle. Nous avons évolué au rythme requis pour en arriver à un consensus, car la réconciliation est l’affaire de tous.»
Tout ce travail a donné lieu à la création d’un cadre regroupant 37 engagements dans plus de 12 unités fonctionnelles et fonctions pour traiter certaines des questions les plus actuelles sur la réconciliation, notamment l’accès au logement, la souveraineté des données, le consentement préalable libre et éclairé, les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones portées disparues et assassinées et le développement durable.
« C’est l’occasion pour nous tous de réfléchir honnêtement au travail qui a été accompli et à celui qui reste à faire. »
Ayant pris part à 16 marathons, dont celui de Boston à deux reprises, Mme Marcen-Gaudaur établit des parallèles utiles, voire surprenants, entre la course de fond et le travail de réconciliation, qui exigent tous deux de l’engagement, de l’endurance et de la confiance en soi.
«La course à pied a été l’un des plus grands enseignements dans ma vie, commente-t-elle. Certains jours, je fuyais les aspects de ma personnalité qui ne me plaisaient pas, mais la plupart du temps, je courais vers les aspects positifs que nous offre le marathon : un but bien précis, un certain confort dans l’inconfort, la capacité de décortiquer de grands concepts pour en faire de petits éléments pouvant être mis en œuvre. J’aborde le travail de réconciliation dans les entreprises de la même façon.»
L’athlétisme a pris une importance particulière dans les premières années de sa vie, après avoir reçu un diagnostic de dyslexie. «Le système d’éducation n’était pas fait pour moi», dit-elle, en ajoutant qu’elle avait fini par considérer sa «limitation» comme une force et un puissant facteur de différenciation.
«Parfois, ce que nous considérons comme un handicap, ce sont en fait des facettes de notre personnalité qui, une fois décortiquées et comprises, nous distinguent et nous dotent de compétences uniques.»
Aujourd’hui, elle affirme que son identité reflète la complexité de son expérience, notamment celle d’une femme autochtone moderne.
«De nombreux dirigeants autochtones cherchent à définir leur identité. Je travaille dans un milieu où l’identité peut être utilisée comme une arme et nous vivons dans une société qui tient à ce que nous nous définissions en cochant une case. Mais, l’identité est comme un écosystème : elle est belle et compliquée.»
Les paroles de son mentor, le chef Ted Williams de la Première Nation des Chippewas de Rama, sont pour elle source de clarté : «Lorsque je me tiens au défilé reliant les lacs Simcoe et Couchiching, je me trouve à l’endroit où mes ancêtres ont vécu pendant des centaines d’années. L’identité est complexe, mais mon lieu d’appartenance est très simple.»
À l’approche du dixième anniversaire du rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada, Mme Marcen-Gaudaur estime que le Canada se trouve à un moment charnière.
«C’est l’occasion pour nous tous de réfléchir honnêtement au travail qui a été accompli et à celui qui reste à faire, déclare-t-elle. Le Canada est confronté à une crise économique, et le fait de favoriser le développement économique autochtone par le biais de stratégies de réconciliation peut conduire à une économie plus forte et à de meilleurs résultats sociaux pour l’ensemble de la population.»
Mme Marcen-Gaudaur a un conseil à offrir aux personnes dont la carrière est teintée d’incertitudes :
«Un grand nombre de personnes, en particulier les Autochtones, ne sont pas hiérarchisées par nature ou par éducation, ce qui fait qu’il peut être difficile pour elles de suivre la voie d’une carrière professionnelle classique. Pour celles qui ne savent pas quelle sera la prochaine étape de leur carrière, ce n’est rien de grave. Il n’y a pas de mal à se sentir à l’aise, voire mal à l’aise, de ne pas savoir ce qui va suivre. La curiosité et la détermination permettent de réaliser de grandes choses. Il s’agit d’un moment charnière pour les professionnels autochtones. Le Canada a besoin des façons d’être autochtones pour guérir collectivement des préjudices subis au cours des derniers siècles. Plus nous nous réapproprions nos connaissances, nos valeurs et notre culture autochtones, plus nous créons de possibilités d’influencer l’avenir du pays.»
Elle souligne également l’importance de faire preuve de patience et de compassion envers soi-même.
«On ne peut le répéter assez souvent; nous devons nous traiter avec gentillesse et faire preuve de patience lorsque l’on vit des hauts et des bas, explique Mme Marcen-Gaudaur. Il y a des moments où j’ai l’impression d’être au sommet de ma carrière et que tout vient facilement, puis au prochain tournant, je replonge dans l’incertitude.»
Cette perspective l’a aidée à accepter le rythme naturel auquel les choses évoluent.
«Nous pensons souvent qu’un chemin tout tracé nous mène vers le succès, mais en réalité, il s’agit d’un parcours en montagnes russes. En suivant ce rythme naturel, nous pouvons être davantage bienveillants envers nous-mêmes pendant les périodes difficiles et croire que le vent tournera à nouveau.»
C’est cet état d’esprit optimiste et tourné vers l’avenir qu’adopte Mme Marcen-Gaudaur dans le cadre de son travail à la Banque Scotia. Malgré les défis et le poids du travail, elle reste inébranlable dans sa mission de créer un changement durable.
«Ce que nous accomplissons maintenant est l’héritage que nous lèguerons aux sept prochaines générations. Ce n’est pas le moment de reculer. C’est le moment de redoubler d’efforts.»