Dwayne Morgan, artiste canadien de la création parlée, raconte que ce n’est que lorsque ses parents ont émigré de la Jamaïque dans les années 1970 qu’ils ont découvert qu’ils étaient noirs.

Dans leur pays d’origine, «la race n’existait pas. Nous étions Jamaïcains et c’était notre nom qui nous définissait, point à la ligne», explique-t-il.

En entamant leur nouvelle vie en Ontario, ses parents ont remarqué ce que les gens disaient et comment ils réagissaient à leur égard parce qu’ils avaient la peau noire.

«Ils n’avaient jamais eu à faire face à un tel comportement auparavant… Il est important de mentionner que bien que nous parlions de diversité, d’inclusion et d’équité, et que nous disions au monde entier à quel point nous sommes multiculturels, c’est ici que plusieurs ont vécu leur première expérience du racisme et de la stigmatisation, souligne-t-il. 

«Il reste donc encore beaucoup de travail à faire.»

Ayant été deux fois champion de concours de slam en poésie au Canada, en plus de s’être produit devant des publics de haut niveau, dont l’ancien président des États-Unis Barack Obama, M. Morgan a pris la parole lors de l’événement organisé par la Banque Scotia à l’échelle de l’entreprise dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs. L’événement a célébré les réalisations et les contributions historiques des personnes noires, ainsi que la résilience et la force de leur communauté. 

M. Morgan s’est produit en Europe, en Afrique et dans les Antilles, en plus de faire la première partie des spectacles de différents artistes musicaux, comme Alicia Keys.

Il a également mis sur pied Up From The Roots entertainment, une entreprise de production de talents qui vise à promouvoir les contributions artistiques positives des artistes canadiens noirs et des artistes d’influence urbaine. 

En 2024, le thème pour le Mois de l’histoire des Noirs était «L’excellence des personnes noires : un patrimoine à célébrer; un avenir à construire.» À cette occasion, l’événement de la Banque a souligné l’importance de célébrer l’art noir.

M. Morgan y a interprété plusieurs de ses poèmes, qui sont centrés sur ses expériences personnelles, dont un sur le parcours de ses parents et sa gratitude à l’égard des sacrifices qu’ils ont faits.

Dwayne Morgan sur scène au Scotiabank Centre de Toronto


Photo : Dwayne Morgan sur scène au Scotiabank Centre de Toronto


«Nul besoin de remettre en question l’existence d’une vie meilleure, car tant que je continuerai à porter mon âme à travers ma créativité et mon écriture, ils n’auront pas à se languir de la chaleur du soleil jamaïcain parce que je suis la concrétisation de leur rêve, déclare-t-il dans le poème. 

Et lorsqu’ils me regardent, je veux qu’ils voient que le soleil brille toujours sur leur avenir, dont je suis le reflet.» 

M. Morgan a grandi à Markham, en banlieue de Toronto, où lui et sa sœur étaient deux des trois élèves noirs de leur école. Il a raconté que les autres enfants leur criaient des noms et chantaient des chansons en se moquant d’eux. Il a également raconté comment il avait supplié ses parents de lui préparer des sandwichs (qu’il détestait et ne mangeait pas) au lieu du riz et des haricots, pour qu’il puisse se fondre dans le décor. 

«En tant qu’enfant, on ne se rend même pas compte à quel point toutes ces choses que l’on entend façonnent notre capacité à envisager un avenir pour nous-mêmes… Une célébration comme celle-ci nous permet de comprendre les réalités vécues par d’autres personnes, car nous ne savons pas toujours ce que les gens doivent faire pour survivre dans des environnements qui, sans que nous le réalisions, leur sont hostiles.»

Aujourd’hui, étant lui-même parent, cela revêt une signification plus profonde.

«Lorsque vous avez des enfants noirs, vous devez vous demander ce qu’il faut faire pour les élever de façon à ce qu’ils sachent qu’ils ont un but et une valeur dans un environnement qui, depuis que nous sommes ici, nous affirme le contraire», explique-t-il. 

Dans un poème, M. Morgan décrit le soulagement qu’il a ressenti dans la salle d’accouchement quand il a vu que son bébé était une fille.

«Peut-être qu’avoir une fille augmenterait mes chances de ne pas avoir un enfant qui deviendrait un mot-clic ou une tendance en grandissant, parce que le meurtre d’hommes noirs est une tendance, depuis toujours, souligne-t-il dans le poème. 

Alors, nous écrivons que la vie des Noirs compte, non pas pour essayer de sensibiliser les autres, mais pour essayer de nous convaincre nous-mêmes dans un monde qui nous montre constamment le contraire.»

M. Morgan a aussi écrit un poème pour sa fille, qui a été publié par la suite dans un livre intitulé Fairytales (Contes de fées). Son personnage principal est une jeune fille de couleur et le message sous-jacent incite à bâtir la confiance des jeunes filles et de dissiper le stéréotype de la princesse qui attend qu’un prince vienne la sauver. 

«Si quelqu’un a besoin d’être sauvé, ce sont probablement les hommes. Ne perdez donc pas de temps à rêver au mariage, alors qu’il y a tant d’aventures à vivre», suggère-t-il en récitant le poème. 

Selon lui, la représentation est importante, en ajoutant que sa fille voulait poursuivre des études en médecine après avoir regardé Docteur La Peluche, une série d’animation à propos d’une jeune fille afro-américaine qui désire devenir médecin et se pratique en prodiguant des soins à ses jouets.

«Il est important de se voir représenté dans la société dans laquelle on vit, non pas comme un cliché ou un stéréotype, mais simplement d’une manière normale et positive», conclut-il.