Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) a pourvu son premier poste de conservateurice des arts autochtones, une décision qui, selon la conservatrice en chef de la vénérable institution, témoigne de son « engagement très ferme envers l’art et les artistes autochtones ».
Artiste, conservateurice et chercheur·euse autochtone originaire des îles Samoa, Léuli Eshrāghi a travaillé ces dernières années en Australie, a participé à des résidences pour artistes autochtones et a organisé des expositions dans le monde entier. Iel est titulaire d’une bourse postdoctorale de l’Université Concordia de Montréal, d’un doctorat en pratiques de conservation de l’Université Monash de Melbourne ainsi que d’un certificat d’études supérieures en gestion des arts autochtones de l’Université de Melbourne.
Eshrāghi estime que, grâce à sa communauté artistique autochtone dynamique et à son patrimoine multilingue, le Canada – particulièrement la ville de Montréal – est un bon endroit pour mettre en lumière la complexité et les nuances de l’art autochtone.
« Le mélange culturel et les nombreuses influences qui culminent à Montréal placent la ville dans une position très intéressante », déclare Léuli Eshrāghi lors d’une entrevue. « J’ai consacré une grande partie de mon doctorat à étudier les pratiques de conservation de l’art autochtone partout au Canada, du Yukon à Ottawa, en passant par Montréal et Vancouver. On sent la volonté de changer les choses en Amérique du Nord. »
L’identité francophone plurielle de Montréal a également beaucoup attiré Eshrāghi, qui se qualifie de « passioné·e des langues » et qui parle couramment français. L’artiste a constaté l’existence d’un fossé linguistique semblable à celui présent dans les archipels d’Océanie : la langue parlée, soit l’anglais, le français ou l’espagnol (et auparavant l’allemand et le néerlandais), varie selon l’ancienne puissance européenne ayant colonisé le territoire.
Eshrāghi explique que ses deux grands-mères (persane du côté de son père et samoane du côté de sa mère) étaient des artistes et que ses parents non conformistes ont cherché à mettre fin au traumatisme intergénérationnel. C’est pourquoi, dès son plus jeune âge, iel a été encouragé à donner libre cours à son côté artistique.
Léuli Eshrāghi, conservateurice des arts autochtones, Musée des beaux-arts de Montréal. Photo Rhett Hammerton
En plus de détenir une bourse de l’Université Concordia, Eshrāghi est bien présent·e au Canada, notamment dans le cadre de projets de conservation à la Vancouver Art Gallery, au Musée d’art MacKenzie et à la A Space Gallery, de résidences d’artistes au Banff Centre et à l’Université de la Colombie-Britannique ainsi que d’expositions à l’Université de Montréal, au centre Open Space et au centre Diagonale (MOMENTA Biennale de l’image). Iel a aussi siégé pendant deux mandats au conseil d’administration du Collectif des commissaires autochtones, une organisation canadienne à but non lucratif qui soutient les artistes, les commissaires et les chercheur·euses autochtones.
La création du poste de conservateurice des arts autochtones a été rendue possible grâce au soutien de la Banque Scotia et de Jarislowsky Fraser, qui se sont engagés à verser au Musée un million de dollars sur trois ans. Outre l’établissement de ce rôle, l’engagement de la Banque contribuera à la mise sur pied d’un programme de stages pour les étudiantes et étudiants autochtones dans des domaines d’études liés à l’art.
« À la Banque Scotia, nous croyons que le travail des artistes autochtones est essentiel à une meilleure compréhension de l’histoire et de la culture des territoires dans lesquels nous vivons aujourd’hui », déclare Geneviève Brouillard, première vice-présidente, Région Québec et Est de l’Ontario à la Banque Scotia. « Nous sommes fiers d’appuyer la promotion des artistes autochtones du Canada et du monde entier au MBAM. Félicitations à Léuli! Nous sommes impatients de voir son travail prendre vie. »
Eshrāghi déclare que les questions qui animent les artistes autochtones contemporains à travers le monde ne concernent pas uniquement l’identité : elles vont beaucoup plus loin.
« Il peut s’agir d’un commentaire sur le changement climatique ou le matriarcat et le maintien ou la renaissance de ce type de structures familiales. Ou bien c’est un tissage qui a un lien avec un roseau, qui lui est lié à une rivière guérisseuse. J’adore la beauté de ce type de choses au caractère vraiment unique », affirme Eshrāghi.
« C’est ce que j’essaie d’expliquer à propos de la complexité et de la nuance. »
Eshrāghi raconte que, lors d’une visite à Montréal l’année dernière, plusieurs membres des communautés autochtones lui ont suggéré de poser sa candidature pour le poste au Musée.
« À mes yeux, il s’agit d’une invitation à venir ici et à apporter ma contribution. »
Mary-Dailey Desmarais, conservatrice en chef du MBAM, a déclaré que l’embauche de Léuli Eshrāghi était l’étape naturelle suivante pour une institution qui prenait déjà très au sérieux son rôle dans la promotion de l’art et des artistes autochtones.
« Mettre de l’avant les voix autochtones et agrandir la collection d’art autochtone sont des priorités pour l’institution. Il était donc essentiel pour nous de trouver une personne qui se consacrerait à temps plein à ces tâches et à l’élaboration de notre programmation relative aux arts autochtones », explique Mme Desmarais.
La conservatrice en chef partage également l’avis d’Eshrāghi sur le dynamisme de la scène artistique autochtone.
Ce que nous désirons tous, c’est aider les artistes à réaliser leurs rêves et à continuer de participer aux collections et aux expositions de manière vraiment imaginative et novatrice.
« Certaines des œuvres les plus remarquables de l’art contemporain sont réalisées par des artistes autochtones », poursuit-elle. « Je suis très heureuse de voir que de nombreux artistes ici au Québec, et au Canada, commencent à être reconnus et à avoir une influence importante sur la scène mondiale de l’art contemporain. »
La maîtrise du français d’Eshrāghi a été un élément important pour le Musée. Selon Mme Desmarais, les artistes autochtones francophones ont été victimes d’une certaine marginalisation.
« Il était essentiel pour nous que la personne à ce poste puisse parler la langue de ces artistes », déclare-t-elle.
Fondé en 1860 sous le nom d’« Art Association of Montreal », le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) est le plus ancien musée d’art au Canada et figure parmi les grands musées d’art d’Amérique du Nord. Comptant aujourd’hui cinq pavillons interreliés, il rassemble « plus de 45 000 peintures, sculptures, œuvres d’art graphiques, photographies, installations multimédias et objets d’arts décoratifs, de l’Antiquité à nos jours », selon son site Web.
Même s’il a été bâti alors que le Canada était encore une colonie de la Grande-Bretagne et qu’il n’était pas à l’abri des impulsions colonialistes de l’époque, le MBAM a énormément évolué depuis. L’embauche de Léuli Eshrāghi s’inscrit d’ailleurs dans cette évolution continue.
« On ne peut abolir le passé, mais on peut le reconnaître, le remettre en question, le soumettre à des contre-récits et y appliquer une pluralité de voix et de points de vue », déclare Mme Desmarais.
« C’est ensemble que nous y arriverons, et la présence de Léuli dans notre équipe nous aidera à aborder des questions cruciales sur le passé et le présent du Musée avec rigueur, nuance et créativité. »
Léuli Eshrāghi a déclaré que ses priorités, outre le programme de stages pour étudiantes et étudiants autochtones, étaient les suivantes : accroître la présence des artistes autochtones des régions boisées, lacustres et fluviales entourant Montréal, publier plus d’articles sur les artistes autochtones de la collection, ainsi qu’accorder une place plus importante à l’art autochtone dans l’expérience physique et numérique offerte par le Musée.
« Ce que nous désirons tous, c’est aider les artistes à réaliser leurs rêves et à continuer de participer aux collections et aux expositions de manière vraiment imaginative et novatrice. »
« Il s’agit avant tout de s’assurer que tout le monde se sent bien accueilli, des visiteurs du Musée aux personnes qui travaillent en coulisses. Ce qui compte, c’est l’accueil et les relations. »