Avant que Benjamin Feagin Jr, membre de la communauté métisse du nord-ouest de l’Ontario, ne revienne dans sa ville natale de Dryden, en Ontario, en 2021, pour prendre soin de ses grands-parents vieillissants, il a effectué des recherches sur le type d’entreprise qu’il aimerait démarrer avec son mari Fabian Velez. Depuis une vingtaine d’années, M. Feagin étudie et travaille au Canada et aux États-Unis dans le domaine du développement technologique et de la mise à l’échelle des procédés de fabrication. M. Velez est botaniste.
« Nous voulions faire quelque chose qui mettrait à profit nos compétences, qui nous inciterait à nous dépasser, qui aurait une incidence sociale très importante et qui serait durable sur le plan financier », explique M. Feagin, président-directeur général d’AgriTech North. L’entreprise sociale qu’ils ont lancée en 2021 élabore une technologie permettant de cultiver des produits frais à longueur d’année dans les collectivités où les gens paient généralement beaucoup plus cher que les consommateurs des grandes villes canadiennes. De plus, elle est certifiée B-Corp, ce qui signifie qu’elle répond aux normes les plus élevées pour les entreprises à but lucratif en matière de rendement social et environnemental.
Les habitants des collectivités du Nord tiennent pour acquis que la nourriture qu’ils achètent sera périmée en un jour, qu’il s’agisse de tomates ou de pain, déclare M. Feagin. « C’est seulement quand on part et qu’on revient qu’on peut comprendre la gravité de la situation. Ce n’est pas nécessairement un problème de proximité, car Dryden se situe le long de l’autoroute, là où circulent tous les camions de transport. Le système de distribution de notre pays est très défaillant et il y a beaucoup de lacunes à combler », affirme-t-il.
AgriTech North est grande gagnante de The Bears’ Lair, une émission de téléréalité qui a été diffusée pour la première fois en septembre sur le Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN). MM. Feagin et Velez ont présenté leur jeune entreprise au quatrième épisode et ont convaincu les juges grâce à leur mission : réduire de 25 % le coût des produits frais dans les communautés autochtones du Grand Nord et les rendre plus accessibles tout au long de l’année.
En compétition avec 17 entreprises autochtones afin d’obtenir une part des prix en argent totalisant 180 000 $, ils ont remporté 100 000 $, une adhésion d’un an au Conseil canadien pour l’entreprise autochtone et un abonnement gratuit d’un an à Shopify. Jelly Marketing a offert un cours en marketing numérique d’une valeur de 4 000 $ à tous les participants, qui ont également bénéficié d’une formation entrepreneuriale en groupe et d’un encadrement individuel de la part des spécialistes en affaires de l’émission.
Étant l’un des principaux commanditaires de l’émission, la Banque Scotia a eu l’occasion de nommer un représentant à titre de juge invité. Cette année, Ray Noonan, vice-président de district, Nord de la C.-B. et Yukon offrira ses conseils dans l’épisode 4.
« L’esprit entrepreneurial et le développement économique des peuples autochtones sont au cœur de mes préoccupations depuis de nombreuses années, dans le cadre des fonctions que j’ai exercées au sein de la Banque Scotia. Participer à la deuxième saison de The Bears’ Lair est une excellente occasion de faire passer cette passion au niveau supérieur et de franchir une nouvelle étape », explique M. Noonan.
« Ce n’est pas une émission entrepreneuriale traditionnelle. Nous n’acquérons aucune part dans l’entreprise », souligne Geena Jackson, cheffe de production de The Bears’ Lair. « Recruter, enseigner, redonner aux aînés ou aux jeunes, changer les choses dans le monde… c’est ce dont il est question dans cette émission », déclare Mme Jackson, qui a été représentante des petites entreprises pour la nation Squamish en Colombie-Britannique pendant 13 ans.
Photo : Geena Jackson, cheffe de production de The Bears' Lair
C’est là qu’elle a appris à quel point il est important de soutenir les entrepreneurs. La nation, qui compte 4 100 membres, a créé une fiducie qui a aidé 550 personnes à établir ou à agrandir des entreprises. « Lorsqu’on compare le nombre de membres au nombre d’entrepreneurs soutenus, on voit à quel point les communautés autochtones peuvent être progressistes si elles ont un meneur, une personne dévouée à concrétiser leurs rêves », indique Mme Jackson.
« Tous les obstacles à l’entrepreneuriat auxquels les peuples autochtones font face – les effets résiduels du colonialisme, les pensionnats, le fait de vivre dans une réserve (ce qui est un désavantage sur le plan financier) – rendent encore plus importante l’idée de montrer qui nous sommes en tant que peuple, l’adversité que nous avons surmontée dans le passé et ce que nous voulons faire à l’avenir », précise-t-elle.
Les budgets serrés et les restrictions liées à la COVID-19 ont rendu les déplacements et les rassemblements difficiles et ont constitué tout un défi pour la diffusion de l’émission l’an dernier, ajoute-t-elle. Il a fallu environ deux semaines pour communiquer avec 120 candidats et une autre semaine pour réduire ce nombre à 18, et les entrepreneurs choisis ont dû se rendre à Vancouver, par leurs propres moyens et à court préavis, afin de participer aux 10 jours de tournage, affirme-t-elle.
L’émission entame sa deuxième saison avec un plus grand nombre de professionnels autochtones responsables d’évaluer les milliers (non pas les centaines) de candidats qui espèrent présenter leur projet aux juges. Les juges, soit Geena Jackson, Tabatha Bull, présidente et chef de la direction du Conseil canadien pour l’entreprise autochtone, Anishinaabe et membre de la Première Nation Nipissing, et Dave Tuccaro, fondateur, président et chef de la direction du Tuccaro Group of Companies et membre de la Première nation crie Mikisew de Fort Chipewyan en Alberta, seront en compagnie de Clint Davis, ancien président et chef de la direction de Nunasi Corporation et Inuk du Nunatsiavut.
Les fondateurs d’AgriTech North n’ont pas rencontré d’obstacles liés à l’obtention de capital. Ils ont plutôt choisi d’éviter les investissements providentiels et le financement par émission de parts, et de démarrer l’entreprise à l’aide d’un financement public de 30 % provenant de subventions fédérales et provinciales, de prêts et de leur propre capital. « Lors de notre étude de marché, nous avons constaté que plus de 70 % des produits cultivés dans les serres de l’Ontario sont exportés vers les États-Unis, car, comme l’ont dit certains investisseurs, c’est là que se trouve l’argent », déclare M. Feagin. « Nous voulons que tous les produits d’AgriTech North demeurent locaux. »
L’agriculture verticale est effectuée dans un ancien bâtiment municipal rénové de 4 400 pieds carrés. Une serre de 1 200 pieds carrés vient s’y ajouter et 2 000 pieds carrés supplémentaires de fermes verticales intérieures sont prévus au cours de l’année à venir. L’entreprise compte six employés à temps plein et quatre employés à temps partiel ou saisonniers, ainsi que quelques entrepreneurs qui travaillent à demi-temps ou plus.
Selon M. Feagin, les problèmes relatifs aux chaînes d’approvisionnement et au contrôle de la qualité de l’équipement pendant la pandémie ont retardé leurs progrès de huit mois. Ils auraient pu mettre la clé sous la porte s’ils n’avaient pas reçu le prix de 100 000 $ de The Bears’ Lair. La sécurité alimentaire est une industrie à prédominance de capital qui détient de faibles marges et des gains à long terme, explique-t-il.
« Nous nous concentrons sur l’innovation et la réduction des coûts, donc nous avons plus de frais généraux qu’une ferme verticale traditionnelle. Nous investissons de l’argent aujourd’hui pour obtenir des gains plus tard », souligne-t-il.
Tous les obstacles à l’entrepreneuriat auxquels les peuples autochtones font face – les effets résiduels du colonialisme, les pensionnats, le fait de vivre dans une réserve (ce qui est un désavantage sur le plan financier) – rendent encore plus importante l’idée de montrer qui nous sommes en tant que peuple.
L’émission a joué un rôle plus important que celui de simple bouée de sauvetage financière. M. Feagin mentionne que lui et M. Velez ont pu tisser des liens précieux avec d’autres chefs d’entreprise et que ces relations d’affaires auraient pu prendre une dizaine d’années à établir en temps normal. De plus, les commentaires qu’ils ont obtenus les ont aidés à orienter leur plan d’affaires et leurs demandes de financement et à cerner les lacunes à combler, et ils continuent de recevoir des conseils des juges. « Nous sommes retournés voir Geena [Jackson] pour lui demander conseil lorsque nous avons eu besoin de plus de capital, et elle nous a mis en contact avec plusieurs personnes », affirme-t-il.
Au maximum de sa capacité, AgriTech North peut produire 400 kilogrammes de produits par semaine. Sa production actuelle est d’environ 250 kilogrammes, qu’elle vend directement aux consommateurs ou aux entreprises.
« Nous n’avons pas les marges nécessaires pour vendre dans les grandes épiceries », déplore M. Feagin. « Seuls 30 % du prix affiché reviennent à l’agriculteur, et nos coûts sont trop élevés pour que ce soit rentable. »
Dans des villes comme Dryden et Kenora, ils ont pu fixer des prix concurrentiels par rapport à ceux des supermarchés locaux, et dans des régions plus éloignées comme Sioux Lookout, ils ont pu offrir des prix moins élevés que la concurrence en prenant le contrôle de la chaîne de distribution.
« Même si nos produits sont de la plus haute qualité, nous ne les vendons pas comme des produits haut de gamme. Nous voulons qu’il soit facile de passer à une alimentation saine – c.-à.-d. de consommer des aliments qui ne sont pas enduits de pesticides, de fongicides ou d’herbicides – et c’est ce que nous avons réussi à faire jusqu’à présent », déclare-t-il.
AgriTech North devra prendre de l’expansion et devenir plus qu’une petite entreprise d’agriculture verticale si elle désire mettre en œuvre des activités agroalimentaires financièrement viables, à consommation énergétique nette zéro et indépendantes durant toute l’année pour les collectivités rurales et autochtones du Nord.
L’entreprise est en train de développer une nouvelle technologie qui pourrait aider les collectivités du Nord à mettre en place des activités de culture alimentaire indépendantes tout au long de l’année. Elle élabore également une formation sur la souveraineté alimentaire hydroponique et aéroponique destinée aux établissements d’enseignement autochtones locaux, la première en son genre, afin que les collectivités puissent connaître le fonctionnement des processus avant de les mettre en œuvre.
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