Joshua Whitehead se bat avec son identité d’écrivain au Canada et se demande s’il a sa place dans la littérature canadienne. « Parfois, je me dis que oui, parce qu’évidemment je suis salué et reconnu comme tel », explique le poète, auteur et universitaire, qui est aussi membre du jury du Prix Giller de la Banque Scotia de 2021.

Pourtant, il nous confie qu’il ne se définit pas ainsi et qu’il ne se contente pas non plus d’essayer de se faire une place dans un domaine — littéraire et générique. Il affirme plutôt qu’il est obligé de reconnaître que les nations autochtones sont souveraines au Canada, du point de vue politique dans l’actualité et dans la manière dont il se perçoit dans l’ensemble du paysage littéraire.

Membre oji-nêhiyaw bispirituel de la Première Nation de Peguis (Traité no 1), il fait partie d’une nouvelle tribune d’écrivains canadiens pour le jury du Prix Giller Master — les Leading 2SLGBTQ+ Voices du Canada — pour discuter de la montée en puissance des voix queer et trans dans la littérature canadienne. Leurs délibérations portent aussi bien sur l’appartenance des écrivains trans et queer au domaine de la littérature canadienne que sur la question de savoir s’il faut faire partie de la scène littéraire grand public et sur ce qui donne un sentiment d’urgence à chacune de leurs œuvres.

Cette tribune réunissait aussi Catherine Hernandez, filipino-canadienne, auteure de Scarborough et scénariste du film qui sortira bientôt et qui s’inspire du livre; Arielle Twist, une femme transgenre nêhiyaw bispirituelle de la Première Nation George Gordon en Saskatchewan, dont le recueil initial Disintegrate/Dissociate a remporté le prix des Indigenous Voices pour la poésie publiée; et Lorimer Shenher, auteur de This One Looks Like a Boy, dans lequel il raconte son expérience de transgenre qui se réconcilie avec sa crainte de devenir un homme, et de That Lonely Section of Hell, qui raconte l’histoire des femmes disparues de Vancouver selon son point de vue de policier‑enquêteur.

Joshua Whitehead confie que l’expérience vécue en passant sa petite enfance dans une réserve du Manitoba est la pierre d’assise de sa vocation de conteur et de colporteur, « vendant de porte à porte des poèmes pour faire quelques sous ». Or, il n’a jamais considéré qu’il faisait partie de la communauté littéraire canadienne. Le roman signé par Tomson Highway sous le titre Kiss of the Fur Queen, inspiré de l’expérience de l’auteur et de son frère dans un pensionnat, explique Joshua Whitehead, lui a donné le goût de se raconter. « Je crois que j’avais besoin de voir un autre Cri queer dans le centre-ville de Winnipeg, mon point d’observation préféré », précise-t-il.

Assis à la table de la salle à manger de son arrière-grand-mère, seul homme dans la pièce, il écoutait les commérages de ses tantes, « ce qui était l’un des protocoles les plus rigoureux de rédaction et de récit ou l’une des plus grandes leçons de pédagogie que j’ai apprise », enchaîne-t-il.

Or, ce sont les événements activistes auxquels il participait, à Selkirk au Manitoba, qui l’ont étroitement lié à la vie politique populaire comme écrivain autochtone bispirituel. « Les colonialistes, hétéropatriarcaux et cisgenres ont toujours dit [que les gens comme moi] n’ont pas leur place ici, et pourtant nous y sommes. C’est pourquoi chaque jour et chaque récit sont autant de défis politiques », lance-t-il.

Dans son prochain ouvrage, intitulé Making Love with the Land, dans lequel il se penche sur les recoupements entre l’indigénéité, le non-conformisme sexuel et, d’abord et avant tout, la santé mentale du point de vue des Nêhiyaw, Joshua Whitehead affirme : « L’urgence d’écrire ce livre s’explique vraiment par le génocide culturel et réel complet des peuples autochtones ».

Ce livre puise ses origines dans une expérience qu’il a vécue par une journée torride et humide pendant qu’il travaillait dans un camp d’été destiné aux jeunes et dirigé par le Friendship Centre — organisme national à but non lucratif qui offre des services afin d’aider les Autochtones à réussir dans les centres urbains — à Selkirk. Un garçon s’est présenté au centre et s’est effondré : Joshua Whitehead a d’abord cru qu’il était victime d’un coup de chaleur. Or, dit-il, il s’agissait en réalité d’une surdose d’opioïde. Il a été stupéfait d’apprendre par la suite, en parlant à ce garçon, que ce dernier croyait que la surdose, le fait de frôler la mort, faisait naturellement partie de la vie des jeunes. « L’idée ne m’a vraiment jamais quitté. Quel type de douleur extrême ou excessive un garçon de 14 ans peut-il pour devenir accro aux opioïdes?

« Ce fut tout un choc, qui m’a amené à réfléchir à l’urgence de ce que je voulais faire. »

M. Whitehead nous apprend que les jeunes Autochtones connaissent l’un des taux de suicide les plus élevés au Canada, et précise que parmi ceux qui ont des pensées suicidaires, beaucoup s’identifient comme trans, non-binaires, queers ou bispirituels. Son ouvrage vise à leur montrer que la dépression, les idées suicidaires, l’anxiété ou l’insomnie sont des sujets dont on peut parler avec les communautés, ou même dans un livre, conclut-il.

« Dans mon enfance, on ne pouvait pas être à la fois queer et autochtone dans la réserve. On ne pouvait pas non plus être queer et autochtone dans les villes. Il fallait occulter l’un pour devenir l’autre. J’ai trouvé le moyen de réunir les deux identités, et je crois que c’est ce que font de plus en plus de jeunes. Or, ils ne le font pas assez rapidement. »

On pourrait croire que l’ouvrage tant applaudi Jonny Appleseed, inscrit dans la longue liste des candidats pour le Prix Giller Banque Scotia 2018, correspondrait à la vision du succès de M. Whitehead. Sa plus grande fierté est d’avoir écrit Mihkokwaniy, un poème qu’il a écrit à propos de sa grand‑mère paternelle assassinée dans les années 1960 et inhumée dans une tombe anonyme à Saskatoon et publié dans full-metal indigiqueer, un recueil de sa poésie. Ce poème a remporté le Prix d’histoire du gouverneur général pour les arts et les récits autochtones en 2016. Mettre le nom de sa grand-mère et celui de son assassin sur une page dans un livre qui est étudié dans les universités témoigne de la puissance du récit, dit-il.

Nous vous invitons à suivre sur YouTube les discussions du jury du Prix Giller en cliquant sur ce lien.