L’industrie canadienne du poids lourd n’a pas été épargnée par les fermetures liées à la pandémie ce printemps. Le carnet de commandes s’est fortement contracté en avril : les ventes ont cédé 55 % sur un an et s’établissent à -26 % depuis le début de l’année.
Or, à la différence de tant d’autres industries, on peut faire valoir que cette conjoncture n’est pas sans précédent. Ce secteur fortement cyclique a déjà accusé des baisses spectaculaires, d’ampleur comparable — à une époque très récente, pendant la crise financière mondiale, puisque ses ventes annuelles avaient plongé de -40 % sur un an en 2009.
Cette fois, le recul devrait être de courte durée, grâce à l’aide budgétaire massive déployée au Canada et à l’étranger, ce qui contribue au rebond plus solide qu’escompté de l’activité.
Cette aide a accéléré la reprise de l’activité du camionnage, comme en témoigne l’accélération des commandes de poids lourds en mai et en juin, alors que les statistiques de plus grande fréquence font état d’un redressement des charges de transport.
La correction prépandémique de l’offre, déjà bien amorcée depuis le haut cyclique de 2018, pourrait aussi faire souffler des vents favorables.
En raison du décalage type d’un an entre la commande et la livraison, les ventes de poids lourds sont bousculées non seulement par les facteurs économiques traditionnels, mais aussi par l’incertitude qui pèse sur la conjoncture.
Il y a beaucoup d’incertitude à l’horizon; or, la reprise économique va bon train, et les perspectives des ventes de poids lourds au Canada continuent de s’améliorer.
Nous estimons que les ventes continueront de se fortifier durant l’année — à un rythme plus modéré en raison de la volatilité mensuelle — pour s’établir à 42 000 exemplaires (-20 % sur un an) et de rebasculer en territoire de croissance positive en 2021.
LES VENTES DE CAMIONS POIDS LOURDS DÉGRINGOLENT EN RAISON DE LA PANDÉMIE
Sans surprise, les ventes de poids lourds et de poids moyens* au Canada ont dégringolé dès le début de la pandémie, quand l’activité économique a été freinée. Il s’agit notamment des camions de plus de 6 350 kg — couramment classés dans les catégories 4 à 8 dans le système américain —, à vocation essentiellement commerciale. Au plus fort de la baisse, les ventes ont perdu -55 % sur un an en avril, alors que depuis le début de l’année, elles s’établissent à -26 % (à la fin de juillet). Après avoir atteint un creux en avril, les ventes ont remonté en mai et en juin (respectivement de +31 % et de +45 % sur un mois), mais ont légèrement ralenti (-14 % sur un mois) en juillet.
Dans une activité fortement cyclique, ces chiffres sont comparables — sans toutefois les surpasser — aux reculs inscrits dans les précédentes périodes de récession. Par exemple, les ventes avaient perdu respectivement -33 % sur un an et -40 % sur un an aux États-Unis et au Canada en 2009, au pic de la crise financière mondiale. Durant cette période, les baisses mensuelles ont frôlé -50 % (sur un an) dans les deux marchés (graphique 1).
Le recul cyclique était bien amorcé dans cette industrie avant la pandémie. Au Canada et aux États-Unis, les ventes de poids lourds ont bondi en 2017 et en début de 2018 quand les déficits de production ont été comblés par la vigueur de l’activité économique et par une conjoncture budgétaire et monétaire très favorable. En 2017 et 2018, les ventes se sont envolées respectivement de 16 % sur un an et de 26 % sur un an. Parce que la conjoncture financière a commencé à se durcir dans la dernière partie de 2018 et que les tensions commerciales se sont multipliées, les commandes de camions se sont fortement repliées en accusant une baisse tendancielle quand l’industrie a été aux prises avec une suroffre de capacité. Les ventes étaient déjà en territoire négatif quand la pandémie s’est matérialisée au début de 2020.
UN REBOND PRÉCOCE BIENVENU
Au Canada, le rebond économique plus vigoureux qu’attendu étaye la reprise naissante des ventes de camions. Dans l’ensemble, les indicateurs économiques traditionnels télégraphient un vigoureux rebond au Canada (graphique 2), ce qui est en partie attribuable aux réouvertures plus hâtives que prévu, à la pentification de la demande dans l’ensemble du système, ainsi qu’à l’aide officielle exceptionnelle. En fait, on estime que le remplacement des revenus a dépassé d’environ 20 % les pertes de salaires globales durant la pandémie. La nature de la crise (soit les fermetures induites par le gouvernement par opposition aux vulnérabilités économiques) déclenche aussi probablement un rebond plus solide que celui auquel on se serait attendu dans les cycles économiques types.
Le vigoureux rebond des ventes au détail augure très bien pour l’industrie du poids lourd. En fait, les ventes au détail de juin ont déjà dépassé les volumes d’avant la crise au Canada. Le basculement dans les achats en ligne pourrait éventuellement fortifier encore la demande de camions utilitaires. En pourcentage du total des ventes au détail, le commerce électronique a doublé durant la pandémie (pour passer de moins de 5 % à 10 % environ). En excluant l’automobile, l’essence et l’alimentation, ce bond est encore plus remarquable — puisque la part du commerce électronique est passée de moins de 10 % à près du quart de l’ensemble des ventes au détail en avril (graphique 3). On peut s’attendre à un repli, puisque les consommateurs se déconfinent de plus en plus; toutefois, il y aura probablement une mutation structurelle des habitudes de consommation à moyen terme.
La reprise de la production industrielle euphorise aussi le rebond de la demande dans le transport des marchandises. En juin, les livraisons manufacturières sont restées en deçà des niveaux prépandémiques (selon les dernières données publiées); elles se sont toutefois accélérées depuis avril. Les exportations reprennent cette tendance (graphique 2). Le raffermissement soutenu du moral des entreprises devrait bien augurer de la reprise de l’offre, en particulier dans les industries qui sont plus facilement en mesure de s’adapter aux impératifs de la distanciation physique.
L’EXCÉDENT DE CAPACITÉ PESAIT SUR L’INDUSTRIE AVANT LA PANDÉMIE
Le transport des marchandises a rebondi. Loin d’être vigoureuses, les livraisons transnationales de camions en Ontario ont reculé d’environ -10 % en juin par rapport à l’an dernier, et le déficit continue probablement de se réduire (graphique 4). Même si les statistiques publiques sur l’activité du camionnage au Canada sont par ailleurs limitées, l’activité ferroviaire constitue un quasi-indice pour une reprise du transport commercial des marchandises au Canada. Les chargements ferroviaires du début d’août ont dépassé les niveaux prépandémiques; or, ils accusent toujours une baisse de l’ordre de -5 % sur un an (graphique 5). Toutefois, la demande de transport de marchandises était déjà déprimée en 2019 par rapport au sommet de 2018. La léthargie des prix a donné lieu à une baisse des tonnes-milles lucratives, qui se situent aux alentours de 15 % en deçà des niveaux prépandémiques.
Ces tendances cadrent essentiellement avec les statistiques publiées sur le transport par camion aux États-Unis. Dans ce pays, les taux d’utilisation de la capacité des camions se sont rapprochés des niveaux prépandémiques jusqu’à la fin de juin, même s’ils ont à nouveau baissé par rapport aux pics de 2018 (graphique 6). Les prix (mesurés selon l’indice des prix Cass) ont perdu plus de 15 points de pourcentage juste avant la pandémie (graphique 7). Différents facteurs, dont essentiellement la suroffre de capacité, expliquent cette léthargie des prix puisque les commandes d’il y a un an ont été livrées dans un marché plus léthargique en 2019 et au début de 2020. Même si les prix ont encore dérapé en raison des fermetures induites par la pandémie, la baisse a été relativement discrète par rapport à la correction précédente.
PERSPECTIVES POUR UNE REPRISE À PLUS LONG TERME
Le Canada affronte une reprise économique qui s’étendra sur plusieurs années, malgré les signes optimistes d’un rebond. Selon les prévisions des Études économiques de la Banque Scotia, il faut s’attendre à ce que les niveaux du PIB avant la crise ne se rétablissent qu’en 2022 : le PIB réel se contractera de -6,6 % en 2020, avant de rebondir de 5,4 % en 2021. Ces prévisions comportent toujours des risques baissiers, notamment en raison des nouvelles éclosions, de concert avec la réescalade des tensions commerciales et les présidentielles américaines de l’automne.
À moyen terme, la reprise économique devrait étayer la demande de transport de marchandises et, partant, les ventes de poids lourds. Autant les reculs sont spectaculaires dans l’industrie du camionnage, autant les rebonds peuvent être vifs. Les ventes ont rebondi de 22 % sur un an en 2010 dans la foulée de la crise financière mondiale, en dépassant leurs niveaux d’avant la crise en 2011. Ces cycles accentués rendent compte des fluctuations dans les tendances de l’évolution de l’investissement des entreprises, ce qui n’est guère étonnant, compte tenu des coûts élevés des acquisitions pour le capital (graphique 8). Il existe une corrélation comparable avec les nouvelles commandes manufacturières (et, plus généralement, avec d’autres indicateurs de la conjoncture commerciale). Les Études économiques de la Banque Scotia estiment à -7 % environ cette année la contraction de l’investissement des entreprises, avant d’enchaîner avec un rebond de l’ordre de 11 % en 2021, ce qui est comparable — voire en quelque sorte moindre — par rapport au recul de l’investissement pendant la crise financière mondiale.
D’autres facteurs et heurts concomitants viendront teinter les perspectives des ventes de poids lourds. Un basculement durable dans les habitudes de consommation en ligne pourrait étayer une plus forte reprise; or, il existe un déport de l’offre, puisque les taux d’utilisation sont toujours déprimés. La léthargie des prix des carburants et la baisse des frais de financement devraient réduire les frais d’exploitation; or, une correction cyclique pluriannuelle, qui s’était amorcée longtemps avant la pandémie, pesait déjà sur les marges bénéficiaires quand la crise a éclaté.
Le décalage de la livraison des commandes dans les ventes de poids lourds pèse sur les perspectives à moyen terme. Compte tenu de la forte incertitude à cet égard, il s’agit d’un contexte particulièrement difficile pour prévoir les besoins dans un an. Par contre, l’essentiel de l’incertitude intervient dans les 6 à 12 prochains mois, notamment en raison des résurgences du virus, des risques tarifaires et de l’incertitude des présidentielles américaines, qui pourraient laisser entrevoir un potentiel de volatilité à court terme.
Nous estimons que pour 2020, les ventes de poids lourds au Canada pourraient être de l’ordre de 42 000 exemplaires (-20 % sur un an) et qu’elles pourraient éventuellement rebondir d’environ 15 % en 2021, en tenant compte des risques haussiers et baissiers de ces prévisions.
*Les mentions éventuelles des « poids lourds » pourraient aussi s’entendre des camions de poids moyen au sens défini par Ward’s Automotive Group.
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