• La bonne nouvelle : Le Canada et le Mexique se tirent relativement bien d’affaire.
  • La mauvaise nouvelle : Les tarifs massifs imposés à l’Asie et à l’Europe paralyseront la croissance mondiale.
  • Et en haussant brusquement le taux tarifaire effectif moyen des États-Unis.
  • la croissance de l’économie américaine en pâtira et l’inflation évoluera probablement à la hausse.
  • Le Canada s’est engagé à riposter demain.
  • Il faut surveiller la réaction des autres pays puisque la situation reste très fluide.
  • Les marchés ont réagi par un dérisquage brutal.
  • Il faudra être attentif aux réactions du FOMC pour savoir si les marchés auront raison d’anticiper les baisses de taux.

Le Canada et le Mexique n’ont pas coulé avec le navire. Ils sont quand même restés des naufragés en eau glaciale. C’est ce qu’il faut essentiellement retenir des déclarations américaines : les tarifs imposés à de nombreux pays ont augmenté massivement; or, le Canada et le Mexique ont été relativement épargnés d’un résultat qui aurait pu être nettement pire. Ils n’en seront pas moins éprouvés par les tarifs propres à certains secteurs et indirectement à cause du choc sur l’économie mondiale, sur les produits de base et sur les marchés financiers.

La situation est extrêmement fluide pour ce qui est de la réaction des marchés et des gouvernements. Cette note fait la synthèse de ce que nous savons jusqu’à maintenant de la réaction initiale et des commentaires sur les incidences potentielles. Les Études économiques de la Banque Scotia devront se livrer à une nouvelle analyse à mesure que la situation évoluera. Il faudra être attentif aux réactions internationales jusqu’à l’ouverture des marchés. Le premier ministre canadien Mark Carney s’est déjà engagé à riposter dès demain.

Pour consulter les déclarations, veuillez cliquer sur ce lien, sur ce lien et sur cet autre lien. Elles ont été publiées dans la foulée d’une série de déclarations faites par Donald Trump pendant près de 45 minutes dans la roseraie de la Maison‑Blanche.

LES MARCHÉS ONT MAL RÉAGI

La réaction des marchés a été spontanément négative et a donné lieu à une situation très fluide sur les marchés à un jour, ce qui a donné lieu à des pronostics de rétorsion. La Corée du Sud a convoqué une réunion d’urgence. Le Canada tiendra des réunions demain.

Les contrats à terme sur les indices boursiers américains fluctuent : les baisses varient de 3 % à 5 % pour l’ensemble des indices composés du S&P et du NASDAQ. Les bourses du Japon ouvrent en baisse de 3 %. Personne n’est donc sur le point de s’enrichir malgré le slogan de Trump.

Le dollar canadien a d’abord remonté lorsqu’il a semblé que le Canada serait épargné; il a toutefois perdu une partie de ce gain et est très volatil. Le peso mexicain a évolué de la même manière, en commençant par s’envoler, puis en se ravisant.

Le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans a perdu environ 5 points de base tout de suite après la publication des déclarations. Les contrats à terme sur les obligations du gouvernement du Canada laissent entrevoir une brusque remontée des taux.

Le pétrole brut WTI a perdu un peu plus d’un dollar.

Les marchés ont d’abord réagi en anticipant un nouvel assouplissement monétaire de la Réserve fédérale cette année : ils s’attendent à trois ou quatre baisses d’ici la fin de l’année.

CE QUI A ÉTÉ ANNONCÉ

En consentant au Canada et au Mexique d’importantes exceptions, sur lesquelles nous reviendrons, le président américain Donald Trump a annoncé que des pays seraient soumis à un tarif référentiel minimum de 10 % sur toutes les importations aux États-Unis. Ce sera tout pour certains pays. D’autres pays seront impactés par des tarifs réciproques supplémentaires variables pour chacun d’eux. Dans bien des cas, ces tarifs réciproques sont extrêmement élevés. Ils viennent s’ajouter aux tarifs déjà imposés à ces pays, ce qui porte un dur coup à la Chine. Dans le même temps, l’économie américaine s’est fait tirer une balle dans le pied.

Nous croyons savoir que les taux de ces tarifs réciproques ont été calculés en divisant le déficit commercial américain sur les biens avec un partenaire commercial par les importations de biens américains de ce pays, en le redivisant par deux, puis en l’arrondissant aux 10 % les plus proches. C’est à la fois risible et invraisemblable! Or, c’est la logique à laquelle obéit la politique macroéconomique des États-Unis.

Le graphique 1 fait la synthèse des mesures tarifaires adoptées pour chaque pays par le président Trump. 

Graphique 1 : Les tarifs réciproques de Trump

L’économie des pays asiatiques est mise à rude épreuve. La Chine est aujourd’hui confrontée à un taux tarifaire référentiel supplémentaire de 10 % et à un autre taux tarifaire réciproque de 24 %, en plus du taux tarifaire préexistant de 20 %, ce qui donne un taux tarifaire combiné vertigineux de 54 %. En outre, elle sera privée de son exemption de minimis en date du 2 mai, ce qui permettait d’exporter en franchise de droits de douane des colis de moins de 800 $ US. C’est en partie la raison pour laquelle les cours du pétrole ont mal réagi.

Le taux tarifaire combiné du Japon, soit 24 %, est le résultat du taux référentiel de 10 % augmenté du taux réciproque de 14 %. Le taux tarifaire combine de l’Australie est de 10 %.

Les autres pays de l’Asie sont aux prises avec des taux tarifaires tout aussi ahurissants, qui sont toutefois amoindris dans leur importance relative.

L’Europe accuse elle aussi un dur coup. Dans l’ensemble, l’Union européenne se voit imposer un taux tarifaire combiné de 20 %, réparti en parts égales entre les tarifs référentiels et les tarifs réciproques. Le Royaume-Uni est confronté à un tarif de 10 %. La Suisse sera tarifée au taux astronomique de 31 %, dont 21 % sont imputables aux tarifs réciproques.

Les pays latino‑américains distincts du Mexique, soit le Brésil, le Chili, la Colombie et le Pérou, sont tous confrontés à des taux tarifaires cumulatifs de 10 % chacun.

L’ÉCONOMIE AMÉRICAINE EN SUBIRA LES CONTRECOUPS

Qu’en est‑il des États-Unis? Bravo! Nous estimons à 13,2 % le nouveau taux tarifaire effectif des importations américaines, réparties par pays dans le graphique 2. D’autres estimations des taux tarifaires pourraient être plus élevées; toutefois, elles tiennent probablement compte de biens qu’il faudrait omettre, puisque le décret exclut les importations : 

Graphique 2 : L'apport au taux tarifaire effectif sur les importations américaines
  • des articles en acier et en aluminium, des voitures et des pièces détachées, déjà soumis aux cycles précédents de tarifs au titre de la sécurité nationale;
  • de cuivre;
  • de produits pharmaceutiques;
  • de semi‑conducteurs;
  • de bois d’œuvre et d’articles en bois d’œuvre;
  • de lingots d’or;
  • d’énergie;
  •  de « certains minerais qui ne sont pas disponibles aux États-Unis » (selon notre interprétation, il s’agirait des minerais critiques).

Sont aussi exclus, les « autres biens qui pourraient être soumis à d’éventuelles sanctions tarifaires pour des motifs de « sécurité nationale », ainsi que d’autres biens réputés exemptés par le décret présidentiel en vertu de l’article 1702(b) du titre 50 du Code des États-Unis; il faut donc s’attendre à d’autres changements. Ces exclusions sont autant de bonnes nouvelles pour des pays comme Taïwan, dont les nouveaux taux tarifaires de 32 % ne devraient pas se répercuter sur les exportations de semi‑conducteurs à destination des États-Unis. Nous supposons aussi que la grande majorité des exportateurs canadiens et mexicains déposent des documents pour confirmer qu’ils respectent l’ACEUM. S’ils ne déposent ces documents selon les taux antérieurs (entre 38 % et 49 % de conformité, selon les données douanières américaines), le taux tarifaire effectif des États-Unis bondirait à 15,9 %. Si nous supposons que tous les biens sont inclus et que les taux de conformité de l’ACEUM produisent leurs effets, les tarifs effectifs seraient supérieurs à 20 %.

Ces tarifs font basculer la part de l’ensemble des exportations qui seront tarifées par chaque pays (graphique 3).

Graphique 3 : La part des exportations à destination des États-Unis impactée par les tarifs réciproques du 2 avril

Malgré plusieurs chiffres accrocheurs sur les taux tarifaires de l’ordre de 50 %, la Chine, l’Union européenne et le Vietnam font partie des économies qui en pâtiront probablement le plus. Les tarifs imposés à la Chine viendront, semble‑t‑il, s’ajouter aux mesures existantes, ce qui donnera un taux tarifaire effectif de 54 % sur les exportations chinoises. À lui seul, ce chiffre viendra augmenter de 4,4 % le taux tarifaire pondéré effectif des États-Unis par rapport à janvier. De même, les tarifs imposés à l’Union européenne augmenteront de 2,2 % le taux tarifaire effectif des États-Unis, alors que les taux tarifaires élevés du Vietnam auront des impacts démesurés sur les coûts des importations de textiles et de vêtements. Les détaillants américains ont une empreinte industrielle établie dans ce pays, ce qui représentait une part importante de 150 G$ de biens exportés aux États-Unis en 2024.

Il s’agit d’un choc négatif important sur la balance commerciale des États-Unis et des économies mondiales, ce qui nuira à la croissance et à l’emploi et fera monter les prix — en plus de compliquer les perspectives de la politique monétaire dans les grandes économies.

LE CANADA ET LE MEXIQUE SE TIRENT BIEN D’AFFAIRE

Le Canada et le Mexique ne sont pas soumis au taux tarifaire référentiel de 10 % ni aux taux tarifaires réciproques. C’est la bonne nouvelle. La situation aurait pu être pire : il aurait pu y avoir des effets directs sur les deux pays. Leurs taux tarifaires effectifs sont plutôt restés essentiellement inchangés (graphique 4).

Graphique 4 : Les taux tarifaires sur les exportations CAN et MEX à destination des États-Unis ne changent pas

Il y a deux mauvaises nouvelles. D’abord, ces deux pays sont toujours aux prises avec des tarifs sectoriels. Un tarif de 25 % s’appliquera aux véhicules exportés à destination des États-Unis, après déduction du contenu américain. Les tarifs de 25 % continueront de s’appliquer à l’acier et à l’aluminium. D’autres menaces assombrissent l’horizon.

La déclaration du président américain ne prévoit pas de changements significatifs pour le Canada et pour le Mexique. Le décret précise que les tarifs existants liés au fentanyl et à la migration continueront de produire leurs effets, sans être modifiés par ce décret. La liste des produits exemptés qui font l’objet d’autres tarifs (acier et aluminium, automobiles, cuivre, produits pharmaceutiques, énergie, bois d’œuvre, minerais critiques, lingots d’or et semi‑conducteurs) ne veut rien dire pour le Canada et pour le Mexique, puisqu’ils ne sont pas frappés par les tarifs réciproques. Pour l’heure, les tarifs continuent de se superposer, et les perspectives restent les mêmes. Nous estimons respectivement à 3,3 % et à 4,2 % les taux tarifaires effectifs du Canada et du Mexique pour les exportations destinées à d’autres pays. Les tarifs effectifs sur les exportations destinées aux États-Unis sont de 3,7 % et de 5,1 % pour ces deux pays. Compte tenu des tarifs auxquels sont confrontés d’autres pays (en particulier le taux tarifaire de 54 % désormais imposé aux exportateurs de biens chinois), ce résultat est un peu plus positif que ce que les scénarios les plus pessimistes auraient pu prévoir.

Le décret présidentiel comporte aussi un fait nouveau. Si les tarifs imposés sur le fentanyl et la migration devaient être annulés, ce décret précise que tous les biens non conformes à l’ACEUM seraient soumis à un tarif de 12 %. Cette voie de sortie potentielle apporte (en théorie) une part de certitude sur l’orientation qui sera adoptée, puisqu’on a maintenant une bonne idée de ce qui viendrait remplacer l’ACEUM si les négociations achoppent. Il confirme aussi une inquiétude : il est très improbable que l’on revienne à un libre‑échange sans sanctions tarifaires dans les quatre prochaines années.

Deuxièmement, ces deux pays ont des économies qui sont tributaires du commerce et des produits de base. La léthargie de la croissance américaine et l’impact négatif sur les produits de base à cause de la croissance mondiale freineront l’économie.

LE CANADA RIPOSTERA

Le premier ministre Mark Carney s’est déjà engagé à riposter. Il a déjà déclaré que ces mesures changeront de fond en comble les relations commerciales internationales et qu’en agissant ainsi, Trump a essentiellement préservé la relation canado‑américaine. Pourtant, les tarifs qui s’appliquent aux automobiles continueront de produire leurs effets, et les États-Unis ont laissé entendre qu’il y aurait d’autres tarifs sur les secteurs stratégiques. Mark Carney a déclaré que ce sera une mauvaise nouvelle pour l’économie américaine et qu’il y aura des répercussions sur le Canada, puisque des millions de Canadiens seront touchés. Il a carrément déclaré que « [n]ous allons riposter par des contremesures » et que « [n]ous réagirons avec force et détermination ». Il a fait observer qu’il s’entretiendrait demain avec les premiers ministres des provinces et qu’il se réunirait dans l’avant‑midi avec le comité du Cabinet chargé des relations canado-américaines. Tout indique que le Canada annoncera par la suite les mesures qu’il adoptera.