Shaun Osborne
stratège cambiste en chef
Stratégie des marchés des changes
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Les marchés des changes étrangers se sont ragaillardis dans les dernières semaines après avoir été en berne pendant une durée prolongée, marqués par des échanges dans une fourchette de faible conviction sur les grandes monnaies. Le dollar US (USD) est léthargique à l’heure où les investisseurs prennent acte du ralentissement de l’inflation aux États‑Unis, de la décélération des marchés du travail américains et du durcissement de la conjoncture du crédit : ils s’interrogent sur le redurcissement de la politique monétaire que la Réserve fédérale (la Fed) mettra en œuvre pour ces motifs. Selon notre point de vue, les hausses ne devraient pas être sensiblement plus importantes. Dans le même temps, les pressions résilientes exercées par l’inflation fondamentale laissent entendre que les banques centrales européennes continueront de durcir leur discours dans les prochains mois. Après avoir passé l’essentiel du premier semestre de 2023 à se maintenir dans une vaste fourchette d’échanges, nous nous attendons à une phase plus dynamique de l’évolution des marchés pour le dollar US au T3 : au cours de cette période, nous nous attendons à ce que les méfaits de l’inflation se multiplient.

Le rapprochement des différentiels entre la croissance et les taux d’intérêt, qui étaient les deux grands piliers de l’ascension du dollar US depuis le début de 2021, constitue un aspect des perspectives négatives du dollar US dans les prochains mois. Les écarts sur les taux d’intérêt qui appuient le dollar US se sont amenuisés considérablement depuis la fin de 2022, à l’époque où les banques centrales européennes ont commencé à durcir leur politique monétaire. Les rendements tiennent déjà compte, dans une large mesure, des changements attendus dans les taux directeurs des banques centrales; or, les annales statistiques laissent entendre que les revirements dans le cycle de durcissement de la Fed ont tendance à être suivis d’une léthargie durable du dollar US. Les investisseurs, faut‑il le rappeler, n’attendent pas nécessairement que la Fed commence à calmer sa politique avant de faire baisser le dollar US. Depuis le début des années 1970, le dollar US a tendance à commencer à s’affaiblir à peu près au point de la dernière hausse des taux de la Fed dans le cycle. En moyenne, le dollar US perd environ 5 % dans le premier semestre suivant la dernière hausse des taux de la Fed dans le cycle et fléchit de 3 % approximativement sur 12 mois. Le pic dans le cycle de la Fed est aussi généralement suivi d’une remontée soutenue des marchés boursiers américains. En moyenne, l’indice S&P 500 a progressé de 12 % environ dans l’année des échanges qui a suivi la dernière hausse des taux de la Fed. Les lourdes pertes accusées en juillet par le dollar US laissent entendre que ce processus a sans doute été entamé. Dans une perspective à moyen terme, le dollar US aura plus nettement tendance à céder à certains facteurs techniques.

La baisse des rendements en dollars US et la perspective d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine réduiront l’attrait du dollar US pour les investisseurs qui cumulent des actifs libellés dans cette monnaie. La fin du cycle de durcissement des taux de la Fed, accompagnée d’un environnement de risques haussiers, devrait amener les investisseurs à se diversifier en délaissant les actifs libellés en dollars US pour privilégier d’autres investissements plus risqués. Puisque les rendements baissent, le dollar US est un peu plus exposé aux vents contraires structurels. Les déficits combinés (les comptes budgétaires et courants) ont monté d’un peu plus de 10 % par rapport au PIB américain au T1; il s’agit du plongeon conjoint le plus important depuis 2012 si l’on exclut la période de la COVID‑19. On ne peut pas ignorer totalement les risques haussiers du dollar US. On ne peut pas exclure non plus la recrudescence de la volatilité des marchés, même si le cycle de hausse des taux de la Fed paraît presque terminé et que les risques récessionnistes semblent vouloir décroître. La plus grande volatilité des marchés serait favorable au dollar US. Les risques géopolitiques paraissent moins prononcés aujourd’hui qu’il y a un an; ils continuent toutefois de représenter un risque évident en arrière‑plan.

Depuis le début de juin, le dollar canadien (CA) a repris un peu de mieux, en progressant de 2 % environ par rapport au dollar US généralement léthargique. Toutefois, le dollar CA a fait moins bien que la plupart des grandes devises comparables durant cette période. L’économie intérieure s’est illustrée par rapport aux attentes, et le marché du travail reste tendu. La Banque du Canada (BdC) a marqué une pause dans le durcissement de sa politique monétaire en janvier, mais a décidé de rehausser les taux d’intérêt en juin en réaction à l’évolution de l’économie. On ne peut pas complètement exclure un nouveau durcissement dans les prochains mois. Le dollar CA a profité du rapprochement des différentiels de taux d’intérêt à court terme par rapport au dollar US; or, il peine à accomplir d’autres progrès, et sa contreperformance généralisée lui a fait perdre du terrain dans les échanges. Nous nous attendons à une légère amélioration du dollar CA par rapport au dollar US au deuxième semestre de l’année et nous continuons de cibler un ralentissement de la paire USD/CAD à 1,30 d’ici la fin de l’année. Il ne faut pas exclure, parmi les risques du T3, un surciblage dans la zone de 1,28.

En Europe, les banques centrales continuent de hausser les taux d’intérêt pour contrer la résilience de l’inflation fondamentale. La Banque centrale européenne (BCE) semble être appelée à hausser son taux directeur à 4,00 % en septembre et à garder des taux d’intérêt élevés pendant une durée prolongée, jusqu’à ce que les pressions de l’inflation fondamentale se calment plus durablement. Les écarts entre la zone euro et les États‑Unis se sont rapprochés; toutefois, le dollar US garde une prime substantielle à l’heure actuelle. Les niveaux nettement supérieurs de l’euro (EUR) pourraient devoir attendre d’autres progrès avant de combler ce différentiel (il faut noter que les cours des marchés escomptent des baisses de taux beaucoup plus rapides aux États‑Unis qu’en Europe l’an prochain) ou plus de statistiques confirmant que la zone euro comble le déficit de croissance sur le dollar US. Nous relevons à 1,12 (contre 1,10) nos prévisions sur l’euro (EUR) pour la fin de cette année et à 1,18 (contre 1,12) pour la fin de 2024.

Au Royaume-Uni, les pressions inflationnistes sous‑jacentes doivent toujours donner des signes évidents d’apaisement malgré l’ambitieux durcissement de la politique de la Banque d’Angleterre (BoE). L’on s’attend en août à un nouveau durcissement; or, le marché table sur des taux qui atteindront plus de 6 %, ce qui paraît hors d’atteinte à notre point de vue. Toujours est‑il que les rendements des obligations du Royaume-Uni s’échangent moyennant une prime par rapport aux taux américains pour la plupart des grands noms de la courbe des rendements (aux environs de 40 points de base pour les obligations à 10 ans, par exemple), et les taux sont appelés à rester élevés par rapport aux taux américains pendant encore un certain temps. La livre (GBP) profite manifestement des vigoureux écarts sur les rendements et permet aux investisseurs de voir plus loin que les risques de stagflation, du moins pour l’instant. La livre sterling (GBP) a regagné plus des trois quarts de sa brusque baisse de 2022 et est appelée à rester solidement étayée par les écarts positifs sur les rendements à terme, même si le très fort durcissement de la politique monétaire fragilisera les perspectives de croissance du Royaume-Uni dans la prochaine année. Nous relevons à 1,35 nos prévisions pour la livre sterling d’ici la fin de 2023 (contre 1,30) et à 1,40 d’ici la fin de 2024 (contre 1,28).

Le creusement des écarts sur les rendements par rapport à l’essentiel des autres pays fait du yen (JPY) la grande monnaie la plus faible cette année (en baisse de 5,5 % par rapport au dollar US). Le yen a aussi perdu 17 % depuis la fin de 2021. La diminution des rendements américains après le recul des données de l’IPC des États‑Unis en juin a permis au yen de reprendre une partie du terrain perdu, après avoir glissé à 145 à la fin du mois dernier, ce qui amène les gouvernants de la politique monétaire du Japon à reconduire leurs mises en garde sur la léthargie du yen. Les décideurs japonais pourraient ne pas être très loin d’un léger redressement de la politique de régulation  de la courbe des rendements de la Banque du Japon (BoJ), qui vise à endiguer la hausse des rendements obligataires locaux; or, un changement prochain paraît improbable. Puisque les écarts sur les rendements entre les États‑Unis et le Japon sont appelés à rester lourds pour le yen, nous avons rajusté nos prévisions de fin d’année pour la paire USD/JPY à 135 (contre 130). Les prévisions pour la fin de 2024 sont inchangées, à 125.

La séquence haussière du peso mexicain (MXN) s’est prolongée pour ramener le dollar US à des niveaux sans précédent depuis 2015. Le peso mexicain a remonté pour franchir le niveau de 17 grâce aux influx positifs des rentrées de fonds, et essentiellement, grâce au maintien du coussin généralisé des taux d’intérêt par les décideurs locaux par rapport à la hausse des taux d’intérêt américains, ce qui donne lieu à une forte demande pour le MXN dans les transactions de portage. Les bonnes nouvelles structurelles (territorialisation) viennent aussi étayer à moyen terme le peso mexicain, dont la remontée commence à susciter des motifs d’inquiétude sur l’avantage concurrentiel des exportateurs locaux, et alors que l’ambitieuse politique de durcissement de la Banxico est appelée à s’infléchir d’ici la fin de l’année, les baisses de taux attendues dans la prochaine année sont inférieures à celles des monnaies régionales comparables au MXN, ce qui pourrait ralentir les pertes du MXN par rapport au dollar US à l’heure où les investisseurs en quête d’opérations de portage délaissent les monnaies comparables que sont le peso chilien (CLP) ou le peso colombien (COP).