Shaun Osborne
stratège cambiste en chef
Stratégie des marchés des changes
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Le dollar américain (US) s’échange presque à son plus creux en un peu plus d’un an par rapport aux grandes devises comparables, essentiellement d’après l’indice. La consolidation et la vigueur relative du dollar US au T1 ont donné lieu à de nouvelles pertes à l’heure où les investisseurs ont les yeux encore plus rivés sur la réduction du soutien apporté au dollar US par les différentiels de rendement et de croissance. En Europe, la croissance semble prendre de l’élan alors que le choc de la guerre en Ukraine s’apaise pendant que les cours boursiers (et nos prévisions) permettent de prévoir une accalmie de la politique monétaire américaine plus tôt et plus rapidement qu’en Europe. La tourmente du secteur bancaire et ses conséquences devraient rester essentiellement confinées aux États‑Unis, d’après les enquêtes statistiques menées auprès des investisseurs, ce qui conforte le point de vue voulant que les rendements américains se replient plus rapidement qu’ailleurs. La question du plafonnement de la dette américaine pourrait se répercuter sur la volatilité du dollar US dans les prochains mois; cette monnaie a eu tendance à s’échanger selon un parti pris moins prononcé dans les jours qui ont précédé les crises du plafonnement de la dette américaine (en 2011 et 2013); or, l’incertitude et la plus grande volatilité des marchés pourraient temporairement porter la demande exprimée pour le dollar US comme valeur refuge.
Nos prévisions sur le dollar US n’ont pas changé depuis la dernière déclinaison de ce rapport. Nous continuons de nous attendre à ce que l’inflation américaine culmine et à ce que le point fort du cycle de la politique de la Fed déclenche de plus grandes pertes pour le dollar US dans les prochains mois. Nous nous attendons à ce que les pertes sur le dollar US soient plus prononcées durant le S2 cette année puisque les investisseurs scrutent l’horizon au‑delà du point fort du cycle de la Fed et commencent à se demander quand la politique de la Fed pourrait commencer à s’assouplir.
Aux confins des perspectives générales du dollar US, la « dédollarisation » commence à émerger et devient une autre difficulté potentielle. Indéniablement, les réserves de dollars US des banques centrales mondiales ont baissé dans les dernières années, ce qui s’explique essentiellement par les choix dans les investissements portés par la conjoncture géopolitique de certains pays qui détiennent d’importantes réserves (comme la Russie et la Chine). Or, la part du dollar US dans les réserves attribuées par les banques centrales mondiales ne cesse de fléchir depuis le début des années 2000; elle s’inscrit aujourd’hui à un peu moins de 60 %, soit la part la plus faible des réserves attribuées depuis le milieu des années 1990. À défaut de solutions de rechange viables, le dollar US est appelé à rester le principal actif de prédilection pour les réserves de la plupart des banques centrales et un élément essentiel de l’architecture financière mondiale dans l’avenir prévisible. Pourtant, la volteface contre le dollar US qui retient l’attention des investisseurs représente une difficulté pour la conjoncture de cette monnaie et augmente à la limite notre conviction que les risques à plus long terme sont orientés à la baisse depuis que le dernier cycle haussier du dollar US a atteint son zénith à la fin de 2022.
Le dollar canadien (CA) n’a guère évolué dans les échanges depuis le début de l’année par rapport au dollar US, et la fourchette plus vaste de la paire USD/CAD en place depuis la fin de l’an dernier reste intacte. Le dollar CA n’a pas pu remonter considérablement par rapport au dollar US, mais n’a pas non plus fléchi, ce qui correspond à notre prévision pour un mouvement limité par rapport au niveau de 1,35 sur le premier semestre de l’année. La croissance intérieure relativement ferme, les marchés du travail à l’équilibre et la forte croissance des salaires pourraient freiner la lutte que mène la Banque du Canada (BdC) contre l’inflation, et les décideurs se sont empressés de résister à l’anticipation des baisses de taux d’intérêt sur les marchés à la fin de l’année. Dans la foulée de la décision monétaire d’avril, le gouverneur Tiff Macklem a expressément déclaré qu’une baisse de taux d’ici la fin de l’année n’était pas le scénario le plus probable. Dans nos prévisions, nous ne nous attendons pas à d’autres hausses de taux de la BdC dans ce cycle, alors que nous avons bon espoir que le cycle de hausse des taux de la Fed a atteint son point culminant, ce qui devrait permettre de hausser le goût du risque et le dollar CA dans le deuxième semestre de 2023. Nous nous attendons à ce que la paire USD/CAD plonge à 1,30 au troisième et au quatrième trimestres.
Le peso mexicain (MXN) est toujours la grande monnaie la plus performante par rapport au dollar US depuis le début de 2023, grâce à un gain de 8,3 % (au moment d’écrire ces lignes). Le MXN a été porté par les ambitieuses hausses de taux de la Banxico, qui tâchait de mater l’inflation intérieure et de garder un avantage significatif sur les rendements par rapport au dollar US puisque la politique de la Fed s’est durcie. Les rendements élevés et la volatilité relativement faible font du MXN un moyen d’échange et de financement attrayant pour les investisseurs. Toutefois, le ralentissement de la flambée inflationniste laisse entendre que le cycle de durcissement ambitieux de la banque centrale pourrait tirer à sa fin. (La Banque Scotia s’attend à ce qu’elle durcisse un peu plus ses positions à 11,75 % pour le taux à un jour, contre 11,25 % à l’heure actuelle.) Autrement dit, le peso pourrait reprendre un peu plus de vigueur à court terme avant de retomber dans la zone supérieure de 18 à la fin de l’année.
L’euro (EUR) évolue à des niveaux légèrement supérieurs à ceux que nous avions prévus dans les derniers mois, ce qui témoigne du regain de croissance de la zone euro, de l’inflation chronique et de la spéculation voulant que le taux directeur de la Banque centrale européenne (BCE) puisse augmenter et être supérieur à ce que nous avions prévu (3,50 %) dans les prochains mois. Les statistiques économiques laissent entendre que ce regain de croissance se cimente alors que les effets de la guerre en Ukraine s’apaisent. Ce regain de croissance apportera aux décideurs une marge de manœuvre pour hausser les taux afin de mater l’inflation. Les marchés tablent sur un taux directeur culminant à un peu plus de 3,50 % à l’heure actuelle; or, ils s’attendent aussi à des baisses limitées du taux directeur par rapport au taux terminal dans les prochains trimestres. Le rapprochement des écarts de rendement à court terme a porté les gains de l’EUR dans la zone de 1,10 déjà (aux alentours de nos prévisions de fin d’année) et à un niveau supérieur pour la politique des taux à plus long terme dans la zone euro, ce qui laisse entendre qu’il y a des risques de surciblage par rapport à nos prévisions de 1,10 d’ici la fin de l’année. La livre sterling (GBP) s’échange elle aussi sur des assises plus solides que celles auxquelles nous nous attendions : la paire GBP/USD s’échange autour de nos prévisions de 1,25 d’ici la fin de l’année. L’économie du Royaume-Uni a esquivé la récession, et les pressions qui pèsent sur les cours restent fortes; autrement dit, la Banque d’Angleterre (BoE) devrait durcir un peu plus sa politique par rapport à nos prévisions (4,25 %), ce qui est un risque évident. Les cours boursiers laissent entendre que le taux directeur de la BoE pourrait gagner encore 50 points de base dans les prochains mois. La livre sterling a évolué depuis la tourmente politique de l’an dernier. S&P a relevé la perspective du Royaume-Uni à stable, alors qu’elle était négative, et si les risques d’un durcissement de la politique monétaire ralentissent sensiblement la croissance dans les prochains mois, le profil « moins risqué » de la GBP pourrait donner lieu à des gains de l’ordre de 1,28/1,30 cette année.
Le dollar australien (AUD) et le dollar néozélandais (NZD) ont relativement moins bien performé parmi les grandes devises dans les trois derniers mois. La balance commerciale australienne s’est rapidement détériorée dans les récents mois. Si les cours du charbon se sont stabilisés après s’être réduits de moitié depuis le début de l’année, les cours du minerai de fer ont décroché à une époque plus récente sur fond de léthargie de la demande chinoise, ce qui a pesé sur l’humeur vis‑à‑vis du dollar AUD. La dégringolade de la balance commerciale laisse entendre que le dollar AUD pourrait peiner à atteindre nos prévisions de fin d’année (0,69) même si la Reserve Bank of Australia (RBA) a pris de court les marchés avec une autre hausse de taux à sa réunion de politique monétaire de mai (ce qui laisse aussi entendre qu’elle pourrait être appelée à durcir encore sa politique). Au Japon, l’inflation récalcitrante et la nouvelle direction de la banque centrale musclent les attentes : la Banque du Japon (BoJ) pourrait renoncer, dans les prochains mois, à sa politique monétaire très conciliante. Il se pourrait qu’on doive compter sur une plus grande stabilité de la conjoncture mondiale pour favoriser ce processus; toutefois, un changement même modeste permettrait au yen (JPY) de se rapprocher de nos prévisions de fin d’année de 130 par rapport au dollar US.
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