Myles Zyblock, stratège principal en placements de Gestion mondiale d’actifs (GMA) Scotia, gère plus de 200 milliards d’actifs pour des millions d’investisseurs au Canada et ailleurs dans le monde. Il nous livre le plus récent éclairage de GMA Scotia sur les marchés et les placements.

Dans ce numéro mensuel, M. Zyblock nous parle des bulles boursières : Comment les définir, ce qui les provoque et pourquoi elles finissent toujours par éclater.Dans ce numéro mensuel, M. Zyblock nous parle des bulles boursières : Comment les définir, ce qui les provoque et pourquoi elles finissent toujours par éclater.

 

Dans les 35 dernières années, depuis qu’Alan Greenspan a pris les rênes de la Réserve fédérale américaine, l’« argent facile » est devenu monnaie courante dans la pratique des banques centrales. Les périodes prolongées d’hyperstimulation se sont multipliées dans les 15 dernières années.

Voilà pourquoi, surtout lorsqu’on ne peut que s’attendre à ce type de comportement de la part des banques centrales, on perd l’idée que la valeur des placements peut baisser. Comme nous l’avons récemment constaté, les politiques monétaires ultra conciliantes peuvent avoir pour effet de surévaluer le prix des actifs dans le logement (par exemple au Canada et en Australie), dans les titres boursiers (comme aux États-Unis), dans les titres à revenu fixe (comme les obligations gouvernementales à échéance lointaine) et dans les taux de change.

Une bulle se caractérise par une augmentation fulgurante des prix, ce peut être extrêmement lucratif pour certains. Or, quand l’inévitable se produit et que les prix fléchissent — ce qui arrive presque toujours —, le patrimoine de l’investisseur peut rapidement et spectaculairement dégringoler.

Les valeurs le plus durement touchées par la déflation des prix des actifs cette année sont celles qui s’étaient le plus valorisées. La plupart de ces actifs ont d’abord été portés à la hausse par les colossales mesures de relance post-pandémique, amplifiées par des discours enthousiastes, pour ensuite se dévaloriser à cause d’un brusque basculement des critères de ces politiques.

Nous sommes aujourd’hui captifs de la malencontreuse « bulle universelle ». Il va de soi que nous entendons par là non pas l’universalité des actifs, mais seulement le nombre exceptionnellement considérable des actifs qui ont subi des hausses de prix sans précédent, pour ensuite inscrire des baisses abyssales.

L’histoire est jonchée d’exemples de bulles qui finissent par éclater. Il s’agit d’un trait dominant des marchés financiers depuis au moins les années 1600. La tulipomanie, soit la « crise de la tulipe », survenue peu de temps après la fondation de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales en 1602, est la première bulle spéculative à avoir été détaillée dans les annales. On se passionnait pour les fleurs. Les prix des bulbes ont commencé à s’accélérer au milieu des années 1630, et comme tous les excès qui ont suivi, ils ont spectaculairement flambé peu de temps après.

Malgré les hauts et les bas périodiques des marchés, les analystes ont de la difficulté à définir la bulle financière et à en expliquer les causes approximatives et le dénouement lorsqu’elle a atteint son apogée critique. Deux moyens pourraient permettre de mieux analyser les bulles financières et leur déflation subséquente.

Le premier moyen se fonde sur la manière de définir ou de reconnaître la bulle financière. Comme l’a dit le professeur Eugene Fama, le terme « bulle » est utilisé beaucoup trop largement dans la presse populaire et dans la communauté des praticiens, et seul le recul nous permet de bien définir ces événements. Il fait valoir que les bulles sont des phénomènes qui doivent être prévisibles pour qu’on puisse ainsi les caractériser.

On a à maintes reprises tenté de définir la bulle spéculative. Ce qui s’apparent le mieux à une approche objective et cohérente pour reconnaître les bulles se fonde sur les travaux de Didier Sornette, pionnier dans le domaine de l’éconophysique, et de ses nombreux collaborateurs. Bien qu’il s’agisse d’une approche très mathématique pour classifier les bulles, sa méthode peut sans doute être le plus facilement résumée comme suit : dans les phases d’accélération des corrections et des rebonds, le prix d’un actif augmente encore plus rapidement. Lorsqu’on me demande comment définir une bulle, je réponds souvent que « je sais en reconnaître une quand je la vois », ce qui reprend l’argument utilisé dans le débat judiciaire de 1964 dans l’affaire Jacobellis c. Ohio, qui porte sur la définition de l’obscénité. Dans l’ensemble, un processus (mathématique ou autre), la connaissance de son environnement financier et l’expérience professionnelle nous apportent des indices sur le moment raisonnable où se produiront les excès des marchés financiers qu’il faut traiter avec circonspection.

Le deuxième facteur essentiel, soit la cause de la bulle des marchés financiers, est aussi un thème âprement débattu. Or, il y a certains points communs importants parmi les explications. Hyman Minsky, économiste connu pour sa théorie des bulles financières et des fortes contractions, affirmait que les racines d’un extrême sur les marchés financiers pouvaient se trouver dans la facilité de l’accès au crédit, modelé par la baisse des taux d’intérêt, et dans l’avènement des technologies nouvelles. Il s’agit des moyens qui nous aideraient à mieux comprendre les périodes d’euphorie dans le lancement des moteurs à combustion interne, de la radio, de la généralisation de l’électricité, de la biotechnologie et de l’Internet. Une bonne dose de politique monétaire de l'argent facile (soit les taux d’intérêt faibles) et un discours captivant plantent le décor des feux d’artifice.

Or, ce n’est probablement pas tout ce que Minsky évoquait à l’origine. Il a sans doute oublié le fait que nous avons la mémoire courte, surtout à propos des bulles du passé, et que souvent, nous abandonnons commodément les méthodes standard de valorisation des actifs quand elles ne sont plus adaptées à un certain parti pris. L’expérience acquise dans la foulée de l’éclatement de la bulle point-com dans les années 2000 n’a pas du tout empêché la bulle des cours du pétrole de 2008 d’éclater, que ce soit à cause des méthodes de valorisation innovantes devenues populaires (par exemple les baromètres sur l’utilisation et les indicateurs de la mobilisation des clients) ou d’une conviction que la croissance est sans limites (par exemple dans l’économie chinoise). Dans un cas comme dans l’autre, les cours des actifs ancrés dans un discours convaincant et dans l’argent facile ne pouvaient semble-t-il évoluer à la hausse. Le réseau Internet, un peu comme la Chine lorsqu’elle a demandé à faire partie de l’Organisation mondiale du commerce, constituait le facteur déterminant qui allait faire encore plus monter les cours des actifs, du moins jusqu’à ce que le scénario cesse de fonctionner.

Presque toujours, les discours qui accompagnent les bulles sont fascinants. Moins on s’en remet à la preuve matérielle et plus on se fie à l’histoire, plus il est probable que nous soyons distraits de la réalité.

En 2022, les actions, les obligations et les autres actifs se sont laissés bercer par un « faux » sentiment de confort après des années d’interventions monétaires conciliantes. Les cours de certains actifs ont atteint des extrêmes. Aujourd’hui, ces excès se dénouent à l’heure où les marchés financiers sont dépouillés de leurs liquidités. Il s’agit d’un trait dominant, et non d’un bogue, des marchés financiers, ce qui ne devrait pas décourager l’investisseur à long terme.

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Jouissant d’une grande renommée en Amérique du Nord, Myles Zyblock a recours à une méthode alliant finance et psychologie pour mettre à profit les points d’inflexion majeurs dans les marchés des capitaux. Fort de plus de 25 années d’expérience en répartition de l’actif, il guide et conseille un éventail de clients institutionnels et de particuliers dans le monde entier. Entré au service de la firme en 2013 à titre de stratège en chef des placements, Myles Zyblock travaille en étroite collaboration avec l’équipe des placements. Sa vaste expérience englobe plusieurs catégories d’actif dans différentes régions du monde.