- La Fed a haussé ses taux de 75 points de base, en laissant entendre qu’ils continueront de monter.
- Les marchés ont d’abord réagi à cette déclaration dans le calme.
- Pendant la conférence de presse, ils ont changé leur fusil d’épaule.
- Comme l’a déclaré M. Powell, le taux terminal est appelé à augmenter plus qu’il le croyait.
- Il a aussi dit qu’il était « très » prématuré de s’attendre à une pause.
Cet après-midi, les marchés ont encaissé deux séries différentes de messages du FOMC. La déclaration a enchaîné les messages de conciliation, en faisant essentiellement état de l’évidence à laquelle ils ont d’abord surréagi à mon avis, pour ensuite modérer leur élan dans la conférence de presse avec deux commentaires retentissants. Les marchés ont été ébranlés par l’ensemble des communiqués, qui ont d’abord fait plonger les rendements et le dollar et fait décoller les titres boursiers dans la foulée des déclarations, avant de faire marche arrière pendant et après la conférence de presse, pour finalement interpréter un durcissement de la politique monétaire dans l’ensemble. Les graphiques 1 à 3 font état de certains mouvements sur les marchés.
Je vais d’abord revoir les changements dans les déclarations, avant de passer à ce qui s’est dit pendant la conférence de presse.
CHANGEMENTS DANS LES DÉCLARATIONS
Les déclarations sont essentiellement des copies conformes de la déclaration de décembre, comme l’indique la comparaison ci‑jointe, sauf qu’on a inséré l’affirmation suivante. L’auteur a mis en italiques et en caractères gras les nouveaux passages du texte.
« Le Comité prévoit que les hausses continues dans la fourchette cible permettront d’atteindre un palier de politique monétaire suffisamment restrictif pour ramener l’inflation à 2 %. En déterminant le rythme des éventuelles hausses de la fourchette cible, le Comité prendra en compte le durcissement cumulatif de la politique monétaire, les décalages des effets de la politique monétaire sur l’activité économique et l’inflation, ainsi que la conjoncture économique et financière. »
Les rendements et le dollar se sont affaissés et les actions se sont envolées quand on a constaté qu’il était question de tenir compte des décalages. Je me suis senti mal à l’aise, puisque ce paragraphe ne comprend rien de particulièrement étonnant. À l’heure où la Fed se rapproche de son taux terminal, on pensait qu’elle allait faire marche arrière pour prendre une pause prolongée afin d’évaluer les effets décalés du durcissement monétaire.
En outre, la Fed n’a pas contenu ses taux en deçà des 75 points de base, malgré quelques voix conciliantes, et n’a pas non plus cessé d’évoquer de nouvelles hausses ni clairement signifié la fin prochaine des hausses de taux. Je n’arrive pas à comprendre parfaitement pourquoi les marchés ont d’abord ainsi réagi à cette déclaration.
Par ailleurs, la Fed n’a pas annoncé de changements dans ses projets de contraction bilancielle ni dans la description de la conjoncture actuelle, ce à quoi il fallait s’attendre. La déclaration a été adoptée à l’unanimité.
LA CONFÉRENCE DE PRESSE
Dans la conférence de presse, on a commencé à insister sur cette réaction des marchés quand le président Jerome Powell a déclaré que la Fed continuerait de durcir sa politique « expressément » plutôt qu’« expéditivement », comme elle l’avait laissé entendre auparavant. Le ton était un peu moins vigoureux.
Tout a changé quand Jerome Powell a fait deux grandes déclarations. Il a entre autres signalé que le taux terminal sera probablement supérieur à celui évoqué dans le tracé en pointillé de septembre. Il a aussi annoncé qu’il est très prématuré de penser à suspendre les hausses de taux de la Fed ou même d’en parler.
Quand on lui a demandé si le parti pris est défavorable à une autre hausse de 75 points de base en décembre, pour plutôt ralentir le rythme, M. Powell n’a pas vraiment fermé la porte à une autre mégahausse en décembre :
« Le moment de réévaluer le rythme des hausses… peut arriver dès la prochaine réunion ou à celle d’après. »
Quand on lui a demandé jusqu’où la Fed pourrait aller avant de suspendre les hausses, les marchés ont vraiment commencé à rajuster le tir :
« Sur le niveau que doit atteindre le taux directeur, nous pensons qu’il doit être suffisamment restrictif pour atteindre notre cible inflationniste de 2 % à la longue. Nous croyons qu’il y a du chemin à faire avant d’atteindre cet objectif. Il se pourrait qu’en définitive, nous enchaînions avec des taux plus élevés que ce que nous pensions à la réunion de septembre. Ce niveau est incertain, et nous finirons bien par réussir à le fixer. »
Cette déclaration a été explicitement renforcée par le commentaire voulant que « le niveau ultime des taux d’intérêt sera plus élevé que prévu », puis en rappelant que le prochain tracé en pointillé sera supérieur à celui de septembre. Il faut se souvenir que le tracé en pointillé de septembre faisait état de chiffres égaux aux pointillés des membres du FOMC, pour atteindre des pics de 4,5 %, 4,75 % et 5 % dans le taux directeur, avec une projection médiane de 4,75 %. C’est pourquoi Jerome Powell laisse entendre que la médiane atteindra probablement 5 % ou plus, ce qui pourrait vouloir dire que plusieurs membres du FOMC se prononceront en faveur d’un niveau supérieur.
Jerome Powell a encore relevé sa déclaration en affirmant ce qui suit :
« Il est très prématuré d’évoquer une suspension des hausses de taux et… il y a encore du chemin à faire pour amener le taux directeur à un niveau restrictif suffisant pour ramener l’inflation dans la cible. »
En outre, l’expression « très prématuré » laisse entendre qu’il y a aura probablement au moins plusieurs autres réunions avant de jeter la serviette sur les hausses de taux. C’est ce qui fait probablement encore basculer les risques à la hausse plutôt qu’à la baisse pour ce qui est de notre prévision d’un taux terminal de 5 %.
Il a aussi balayé l’affirmation selon laquelle la Fed a trop durci sa position en parlant de la situation de l’inflation.
AUTRES THÈMES
Plusieurs autres questions tangentielles ont été abordées.
Quand on lui a demandé s’il avait changé son évaluation quant à savoir si le risque de sous-ciblage était supérieur au risque de surciblage, M. Powell a déclaré que non, parce qu’il est plus facile d’inverser le durcissement ensuite que d’affronter les conséquences d’un dérapage de l’inflation.
Lorsqu’on lui a demandé s’il relevait des éléments d’information démontrant que l’inflation risque de s’inscrire dans la durée, M. Powell a nuancé ses arguments en affirmant que « les attentes inflationnistes à plus long terme ont évolué à la baisse. Nous n’avons pas de moyens scientifiques permettant de dire à quel point l’inflation s’inscrit dans la durée. Nous devons nous servir de nos outils pour faire baisser l’inflation ».
Jerome Powell a répété que le créneau pour un atterrissage en douceur s’est réduit, mais qu’il est toujours envisageable, en paraissant aussi sceptique qu’il l’avait été dans la conférence de septembre.
Sur la question de savoir si les loyers équivalents des propriétaires commenceront à faire baisser l’inflation en 2023, M. Powell a rappelé que l’IPC capte ces loyers et permet de calculer des indicateurs du logement généraux pour tous, alors qu’il est important de se souvenir que les baromètres des loyers privés indiquent que les pressions marginales pourraient être en décrue. Il a fait observer qu’il y a toujours des pressions en gestation qui se répercuteront sur les hausses de loyers.
On a demandé à Jerome Powell s’il continuerait de penser, dans son interprétation, que l’inversion de l’indicateur préféré de la Fed, soit la courbe des rendements qui s’est beaucoup aplanie (graphique 4), télégraphiait une baisse de taux probable. Il a répondu que la Fed continue de surveiller cet indicateur, mais que les raisons de son inversion sont également importantes, en précisant qu’elles télégraphient l’inflation, dans ce qui paraît être un effort de prendre ses distances par rapport à ses précédents commentaires.
On lui a demandé de revoir ses commentaires antérieurs à propos de la surchauffe du marché du travail; il a conclu en affirmant qu’« il n’est pas évident qu’il se produise un apaisement graduel » et en répétant que le marché de l’emploi est en situation de demande excédentaire et qu’il est « absolument très vigoureux ».
On lui a aussi posé une question sur les inquiétudes que fait peser la spirale des salaires et des prix; il a affirmé qu’à ses yeux, ce n’était pas encore le cas, mais qu’on a aussi tendance à le constater alors qu’il est trop tard.
LES INCIDENCES POUR LA BANQUE DU CANADA
Quand la Fed affirme qu’il est « très prématuré » de penser à suspendre les taux et qu’elle hausserait les estimations du taux terminal qui n’ont été publiées que le mois dernier, on a l’impression de placer la Banque du Canada dans une position dans laquelle elle creuse prématurément un différentiel de taux négatif par rapport à la Réserve fédérale américaine si elle se consacre vraiment aux effets du dollar canadien et aux effets de répercussion sur les prix à l’importation. Le dollar CA a perdu environ trois quarts de cent par rapport au dollar US à la fin des déclarations (graphique 5).
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