Des chercheurs de l’Université de l’Alberta tentent de s’atteler à la tâche colossale de la décarbonation de l’industrie sidérurgique, qui est responsable de 7 % des émissions annuelles mondiales de carbone.

« Cela nécessite une transformation du secteur », explique Mohd Adnan Khan, professeur adjoint de génie chimique et des matériaux à l’Université de l’Alberta.

L’industrie sidérurgique est considérée comme un secteur où les émissions sont difficiles à réduire, puisque ses besoins en énergie sont très élevés et qu’il n’existe à peu près aucune technologie pour réduire ses émissions et sa dépendance aux combustibles fossiles.

M. Khan dirige le laboratoire Energy Transition Lab de l’Université de l’Alberta, qui a récemment reçu une subvention de recherche de 100 000 $ du fonds Net-Zero Research Fund de la Banque Scotia. La subvention servira à financer les travaux de recherche du laboratoire qui visent à élaborer une vision carboneutre et à trouver des voies de transition pour le secteur sidérurgique canadien. Elle permettra également de maximiser les avantages économiques, sociaux et environnementaux et de garantir la position concurrentielle du Canada dans la course mondiale à la production d’acier à faibles émissions de carbone.

« J’espère que les résultats de cette étude aideront le gouvernement et le secteur industriel du Canada à prendre des décisions importantes pour décarboner l’acier », ajoute M. Khan. 

En 2021, la Banque Scotia a créé le fonds Net Zero Research Fund de 10 millions de dollars. Ce fonds sert à octroyer 1 million de dollars annuellement à des laboratoires d’idées et à des établissements universitaires de premier plan afin de soutenir leurs recherches pour faire progresser l’élaboration de solutions de décarbonation et la transition vers la carboneutralité.

Dr. Kahn headshot

Photo : Mohd Adnan Khan, professeur adjoint de génie chimique et des matériaux


« La recherche visant à faciliter la transition de l’industrie sidérurgique vers un modèle écologique durable et rentable est essentielle non seulement pour notre pays, mais pour l’ensemble de la planète, déclare Kim Brand, vice-présidente et chef mondiale, Durabilité, à la Banque Scotia.

« La production d’acier représente environ 2 % des émissions de carbone du Canada. Nous sommes heureux de soutenir la recherche vitale de l’Université de l’Alberta pour aider à réduire l’empreinte écologique de cette industrie. »

L’industrie sidérurgique canadienne : un employeur de premier plan

Selon l’Association canadienne des producteurs d’acier (ACPA), l’industrie sidérurgique, d’une valeur de 15 milliards de dollars à l’échelle nationale, produit environ 13 millions de tonnes d’acier primaire par an et plus d’un million de tonnes de tubes et tuyaux en acier dans des installations réparties sur l’ensemble du territoire canadien. Au Canada, les entreprises sidérurgiques emploient directement quelque 23 000 personnes et soutiennent 100 000 emplois indirects supplémentaires.

Depuis 1990, le secteur a réduit ses émissions de CO2 de 25 %. Au début de l’année 2020, l’ACPA a annoncé un nouvel objectif : atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Celui-ci est en conformité avec les exigences stipulées par la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité adoptée en juin 2021, qui inscrit la cible de la carboneutralité d’ici 2050 dans la législation canadienne.

« À l’heure actuelle, je crois que le secteur sidérurgique canadien produit de l’acier en générant un taux d’émissions de carbone parmi les plus faibles dans le monde », estime M. Khan. Ce dernier illustre son point de vue en citant la mise en œuvre de mesures d’optimisation des procédés, d’amélioration de l’efficacité énergétique et de réduction des déchets pour diminuer les émissions liées à l’acier.

Toutefois, malgré ces efforts, l’industrie sidérurgique canadienne demeure responsable de 2 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau national, soit environ 15 millions de tonnes de CO2 par an. La majorité de ces émissions de carbone provient de l’Ontario, où le charbon, le coke et le gaz naturel sont utilisés pour alimenter de hauts fourneaux dans la production d’acier primaire.

On a recours à de hauts fourneaux, car ils sont en mesure de gérer une production à grande échelle et de faire fondre d’importants volumes de minerai de fer et de coke pour produire de l’acier.

M. Khan affirme que la prochaine étape de la décarbonation de la production d’acier constitue un défi de taille en raison du coût prohibitif de la technologie nécessaire pour produire de l’acier carboneutre.

C’est pourquoi l’objectif premier de M. Khan et de son équipe est de trouver des solutions de réduction des émissions de carbone dans l’industrie sidérurgique qui sont également viables économiquement. L’équipe cible actuellement la production d’acier primaire, concentrée dans le sud de l’Ontario.

Des émissions de carbone inévitables dans la fabrication de l’acier

L’acier primaire est produit à partir de minerai et de charbon, tandis que l’acier secondaire est fabriqué à partir de ferrailles recyclées. Ces deux procédés de fabrication émettent du CO2, et la teneur en carbone de l’acier est augmentée par diverses méthodes afin d’accroître la dureté et la durabilité de l’alliage. 

Les procédés chimiques d’extraction du fer du minerai de fer pour fabriquer l’acier nécessitent de la chaleur. Dans la méthode traditionnelle de fabrication dans un haut fourneau, cette chaleur est générée par du charbon, du coke ou du gaz naturel, lesquels sont également utilisés comme agents réducteurs pour la réduction du minerai de fer. Les recherches de M. Khan portent sur d’autres substances ou sources d’énergie propre pour la production de l’acier, et c’est exactement où l’hydrogène entre en jeu, puisque ce gaz présente un fort potentiel pour décarboner le procédé existant.

« Nous nous concentrons actuellement sur l’évaluation du rôle de l’hydrogène dans la décarbonation de l’acier, explique-t-il. Nous étudions la manière dont l’hydrogène peut devenir un vecteur énergétique viable. »

L’hydrogène est de plus en plus utilisé comme source d’énergie.

M. Khan cite l’exemple d’ArcelorMittal Dofasco, qui a reçu 1,8 milliard de dollars des gouvernements fédéral et provincial pour décarboner son aciérie à Hamilton, en Ontario. Arcelor est le principal producteur canadien d’acier plat, avec un four d’une capacité de 2,5 millions de tonnes. L’entreprise a recours à une nouvelle technologie de four électrique à arc (EAF) utilisant le fer de réduction directe (DRI). Connue sous l’acronyme DRI-EAF, cette technologie a une empreinte carbone beaucoup plus faible, élimine le charbon du procédé de production du fer et possède un avenir très prometteur. Le four a été conçu pour pouvoir s’adapter à la transition vers l’hydrogène. En effet, selon ArcelorMittal Dofasco, même s’il fonctionnera dans un premier temps au gaz naturel, le four pourra ensuite fonctionner à l’hydrogène vert lorsqu’un approvisionnement suffisant et rentable de cette source d’énergie propre sera disponible.

« L’utilisation du charbon entraîne beaucoup d’émissions de CO2, explique M. Khan. L’idée est que la transition vers des installations qui utilisent le fer de réduction directe offre une solution de remplacement à la méthode traditionnelle de fabrication de l’acier au moyen de hauts fourneaux, qui sont presque toujours alimentés au charbon.

« Nous évaluons également la manière dont le secteur sidérurgique canadien peut agir comme un pilier central pour renforcer la demande d’hydrogène, poursuit-il. Cela permettra non seulement de décarboner l’industrie de l’acier, mais aussi d’aider d’autres secteurs à faire de même. »

Des recherches sur la capture du carbone pour décarboner l’acier

Le projet de recherche de M. Khan, qui a débuté à la mi-septembre, s’intéresse également à la manière dont la capture et le stockage de carbone, qui consistent à piéger les émissions de dioxyde de carbone pour les empêcher de pénétrer dans l’atmosphère, peuvent faire partie d’une stratégie plus large visant à décarboner l’industrie sidérurgique.

Les méthodes de capture et de stockage de carbone se divisent en trois catégories en fonction des procédés de fabrication généraux : la capture postcombustion, la principale méthode utilisée dans les centrales électriques existantes; la capture précombustion, largement utilisée dans les procédés industriels; et les systèmes de capture par oxy-combustion, dans lesquels un combustible est brûlé avec de l’oxygène pur pour produire une fumée composée de CO2 et de vapeur, ce qui facilite grandement la capture du carbone.

La capture du carbone est un « morceau essentiel du casse-tête », souligne M. Khan.

Une demande d’acier à la hausse selon les projections

L’acier est le matériau le plus recyclé au monde. Polyvalent et durable, l’acier est omniprésent dans notre vie quotidienne et se retrouve dans tout, des appareils ménagers aux matériaux de construction, en passant par les moyens de transport et divers types de machines. L’acier est nécessaire même lorsqu’il s’agit de créer des technologies servant à la transition écoénergétique, telles que les éoliennes et les panneaux solaires.

« L’acier secondaire ou recyclé est plus facile à décarboner, car sa fabrication à partir de ferrailles requiert principalement de l’électricité et des fours électriques à arc », explique M. Khan.

Selon M. Khan, environ 40 % de l’acier est recyclé au Canada, tandis qu’à l’échelle mondiale, cette proportion est d’environ 30 %. « Et c’est là qu’on doit concentrer nos efforts », ajoute-t-il.

Cependant, l’acier secondaire à lui seul ne peut répondre à la demande mondiale croissante. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale en acier devrait augmenter de plus d’un tiers d’ici 2050.

Dans un contexte de forte concurrence avec des pays tels que la Chine, qui produit environ 50 % de l’acier mondial, il est essentiel de faire de l’acier du Canada un produit plus compétitif.

« La Chine produit de l’acier à très bas prix, ce qui explique pourquoi la transition vers l’acier à faibles émissions de carbone est si difficile, déclare M. Khan. Il faut à la fois s’assurer que le prix de l’acier canadien reste compétitif sur le marché mondial et investir dans des technologies de réduction des émissions. »

M. Khan et son équipe étudient également les éventuelles politiques que le gouvernement pourrait adopter pour soutenir la production d’acier à faibles émissions de carbone au pays, en particulier depuis que le Canada a lancé son initiative pour aider les entreprises à réduire leurs émissions.

« J’espère que les résultats de l’étude contribueront à orienter les décisions importantes concernant la décarbonation de la production d’acier au Canada. »