Créer un milieu de travail diversifié et accueillant dans les grandes entreprises établies depuis longtemps, ça prend du temps et des efforts, mais ça en vaut la peine, explique Mme Jael Richardson. « Toutes les bonnes idées mettent du temps à produire des résultats probants. Il faut donc savoir que ce sera un chemin long et difficile. »

« En fait, il est quasiment plus facile de bâtir quelque chose d’entièrement nouveau… que d’amener des organisations comme la Banque Scotia à prendre un virage. Ma mère me disait toujours : "un paquebot change difficilement de cap" », explique la fondatrice du Festival of Literary Diversity (FOLD), un festival littéraire de Brampton en Ontario qui s’est donné comme mission de célébrer les auteurs et les histoires des groupes sous-représentés. C’est au moment de créer son festival qu’elle a fait cette prise de conscience.

L’auteure de The Stone Thrower: A Daughter’s Lesson, a Father’s Life, un récit biographique sur sa relation avec son père Chuck Ealey, quart arrière dans la Ligue canadienne de football, participait à une webdiffusion avec Barbara Mason, chef des Ressources humaines de la Banque Scotia, à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs.

Le fait d’être une grande organisation n’empêchera pas la Banque Scotia de prendre un virage pour faire ce qui est bon, explique Mme Mason. Le but de cette webdiffusion, c’est justement de continuer à apprendre comment, à la Banque, nous pouvons avoir les discussions importantes sur l’expérience des Noirs.

Mme Richardson (photo ci-dessus, photo de Simon Remark) souligne qu’au Canada, l’expérience varie selon d’où on vient. Son père par exemple, quart arrière vedette de son école secondaire de Portsmouth, en Ohio et à l’Université de Toledo, ne pouvait pas jouer à cette position dans la Ligue nationale de football à cause de sa race. Quand les Tiger Cats de Hamilton de la Ligue canadienne de football (LCF) ont frappé à sa porte, il n’a pas hésité une seconde à déménager au Canada. En 1972, à sa première année dans la LCF, les Tiger Cats de Hamilton ont remporté la Coupe Grey avec M. Ealey comme quart arrière.

Pourtant, Mme Richardson peinait à comprendre ce que signifie être Noir au Canada et pourquoi elle ne ressemblait en rien à l’idéal canadien. « L’écriture chez moi est née du désir de partager ce que je vivais et des raisons pour lesquelles je ne me sentais pas incluse dans ce que je voyais à la télévision et aux nouvelles », raconte-t-elle.

L’une des choses difficiles de l’année dernière dans la foulée du décès de George Floyd, explique-t-elle, c’est que des amis blancs l’ont appelée parce qu’ils voulaient connaître son expérience à elle ou lui disaient qu’ils allaient acheter son livre, alors qu’il était publié depuis cinq ans déjà. Mais pire encore, ce sont les personnes qui ne pensaient pas que de telles choses se produisent au Canada. « C’est très offensant pour les Noirs du Canada d’entendre des personnes qui prétendent que c’est bien mieux ici, qu’on n’a pas de problème majeur au Canada, souligne-t-elle. Le fait que soudainement des gens portent attention parce qu’un homme a été tué sur vidéo, ça a été très difficile. Ça montrait que les personnes ne sont pas à l’écoute. »

Sa famille n’a jamais hésité à prendre la parole et à parler publiquement de l’expérience de son beau-frère. Il y a seize ans, il a été arrêté et questionné par des policiers, sévèrement battu et faussement accusé de possession de cocaïne. Sa carrière en a été bousillée et il s’est retrouvé en cour. Il a quand même eu de la chance parce qu’il a pu prouver son innocence et montrer comment le système était dans l’erreur. Toute la famille a compris que le fait d’être titulaire d’une maîtrise et de travailler dans un centre communautaire avec les jeunes l’avait aidé quand ils voyaient l’issue de causes semblables où la personne n’avait pas une réputation irréprochable.

Elle explique que les Canadiens peuvent afficher leur reconnaissance de vivre dans un pays libre sans pour autant partir en guerre contre les inégalités ou redresser les torts. « Mais nous n’avons pas corrigé ce qui ne va pas dans les relations avec les Autochtones; nous n’avons pas corrigé ce qui ne va pas dans l’expérience des Noirs. Il faut voir les choses en face », explique-t-elle.

Pour Mme Richardson, les événements de l’an dernier l’ont aidée à trouver la bonne conclusion à son premier roman, Gutter Child, publié en janvier dernier. « J’avais une meilleure idée de ce que je voulais faire avec cet ouvrage à cause de ce qui se passait dans la vraie vie », raconte-t-elle.

Selon Mme Mason, les employés de la Banque Scotia font plus souvent un examen de conscience sur eux-mêmes et leur pays ces temps-ci. Elle fait remarquer que la Banque a des conversations plus franches et transparentes — avec des choses difficiles à entendre parfois — avec des groupes d’employés issus de la diversité. « La démarche est beaucoup plus humaine et personnelle. Et ça amène des changements beaucoup plus sains, parce qu’ils ne découlent pas d’obligations. »