• Il existe, en matière d’immigration économique, un point d’équilibre, où tous se portent mieux à la longue. Or, ce point est ténu, et le Canada s’est égaré du droit chemin.
  • Le Canada a accueilli l’an dernier 1,25 million de nouveaux résidents; le chiffre final représente plus de 2,5 fois la cible débattue dans l’élaboration de la politique pour fixer le nombre de résidents permanents, puisque les arrivées temporaires ont explosé (graphique 1).
  • Compte tenu de la difficulté chronique des faibles taux d’investissement au Canada, nous estimons à environ 350 000 nouveaux arrivants seulement — temporaires ou autres — le rythme de croissance de la population neutre du point de vue de la productivité pour le Canada. Si l’investissement n’est pas plus vigoureux, les hausses de population au‑delà de ce chiffre viennent abaisser le ratio capital‑travail et déprimer la productivité. Selon nos estimations, les deux tiers des baisses de productivité depuis 2021 sont imputables à ce choc démographique (graphique 2).
  • Les relèvements à court terme de la croissance de synthèse (et des recettes de l’État) viennent retarder les redressements nécessaires malgré la multiplication des contraintes dans la réalité. Les décideurs en sont réduits à colmater les brèches et à réparer un système très fragmenté.
  • La politique d’immigration du Canada a besoin d’un recentrage, et non de solutions miracles. Il faudrait d’abord recentrer fermement l’immigration économique1 dans le contexte d’un programme de productivité plus vaste. Ce programme devrait essentiellement consister à muscler les dépenses d’infrastructures pour qu’elles concordent avec les investissements historiques déjà consacrés à l’immigration (soit le capital humain).
  • En étant plus attentif au potentiel économique, on pourrait mieux utiliser les outils d’admission prédictifs par points du Canada pour les résidents permanents, en explorant un seuil équivalent pour les entreprises qui espèrent embaucher des travailleurs venus de l’étranger. Les investissements collaboratifs dans le potentiel des nouveaux arrivants longtemps après leur arrivée sont également décisifs.
  • Le Canada a besoin d’un chiffre pour la planification et la prévisibilité; or, il devrait s’agir d’un plafond pour le total des influx nets, quel que soit le statut. Les admissions permanentes (économiques) devraient être portées par le potentiel (et non par un chiffre fixe), en consentant un supplément à la transparence procédurale pour réconforter les attentes.
  • En définitive, la croissance de la population devrait constituer une source de vigueur économique et apporter au Canada un avantage sur la concurrence exercée par les pays dont la population baisse. Cette revigorisation de l’économie ne se produira que si le Canada veille à ce que sa politique d’immigration favorise l’accueil de personnes qui offrent un fort potentiel économique et que, parallèlement, l’on constate des progrès aussi importants dans l’investissement des entreprises.
  • Sinon, le pays gardera sa trajectoire actuelle de baisse de productivité et de compétitivité. Il s’agit d’un parcours que le Canada ne peut pas se permettre de suivre. 
Graphique 1 : Les résidents non permanents portent l'explosion démographique; Graphique 2 : L'effet de la récente explosion démographique sur la productivité  des travailleurs

PAS DE POINTS POUR LA PRÉVISIBILITÉ

La croissance de la population canadienne est explosive. En 2023, le pays s’est officiellement enrichi de 1,25 million de personnes, soit un bond de 3,2 % sur un an selon Statistique Canada. Ce bond spectaculaire a pris de court les décideurs (et les prévisionnistes). Les efforts quasi exclusifs consacrés aux résidents permanents (RP) ont aveuglé les décideurs sur la croissance exponentielle du nombre de résidents non permanents (RNP). Bien que le gouvernement fédéral ait sans surprise atteint sa cible pour le nombre de RP (465 000), il faut dire que l’an dernier, en chiffres nets, 800 000 résidents non permanents (1,3 million en chiffres bruts) se sont établis au Canada (graphique 1).

D’un océan à l’autre, le nombre de titulaires du permis de séjour temporaire a doublé depuis que le pays a rouvert ses frontières. Plus de 6 % de la population canadienne est aujourd’hui constituée de résidents non permanents (et près de 8 % en tenant compte des estimations gouvernementales des résidents sans papiers). Alors que les défaillances dans les programmes destinés aux étudiants internationaux ont monopolisé beaucoup de temps d’antenne, les permis d’études ont « à peine » augmenté d’environ 25 % par an dans les deux dernières années (graphique 3). Les visas de travail ont bondi de presque 70 % l’an dernier (à 900 000) et portent les chiffres de synthèse (sans compter que les chiffres de janvier ont gagné 30 % sur un an).

Graphique 3 : Le nombre de titulaires du permis temporaire double grâce à la réouverture des frontières après la pandémie

Ce qui est temporaire est désormais permanent. En partie du fait de leur nature et en partie par défaut, un nombre croissant de résidents permanents sont déjà admis dans ce pays. Un demi-million de titulaires de visas temporaires ont mérité le statut permanent depuis 2021 — soit plus du tiers des admissions en 2023 (graphique 4). Il faut avouer que c’est en quelque sorte un jeu de dupes lorsqu’il s’agit d’avoir un instantané de la situation compte tenu du large éventail de parcours d’entrée dans les catégories des résidents permanents et des résidents non permanents, dans les échanges entre ces catégories, dans la durée variable des visas et dans les changements qu’on ne cesse d’apporter à la politique. Or, dans l’ensemble, les tendances sont plutôt flagrantes.

Graphique 4 : Le pied dans la porte : résidents temporaires devenus permanents

Les facteurs qui portent les politiques domineront dans les chiffres de synthèse à publier dans les prochaines années; or, on peut pronostiquer un ralentissement dans l’évolution de la population, qui continuera de s’accroître. La cible de 485 000 RP est probablement ferme cette année. Le plafond fixé pour les nouveaux visas d’études (soit 360 000 nouveaux permis délivrés) paralysera probablement la croissance, mais stabilisera l’ensemble des étudiants internationaux dans ce pays. Le nombre de permis de travail est la grande inconnue. Si on n’abaisse pas le rythme de la délivrance des nouveaux permis de travail (et en supposant une attrition annuelle du tiers), les gains nets de population frôleraient quand même le million d’habitants en 2024. Toujours est-il que le rythme de la croissance de la population s’est accéléré depuis le début de l’année d’après les données recueillies dans l’Enquête sur la population active : la hausse de la population en janvier et en février est la plus fulgurante sur deux mois dans les annales.

Dans le même temps, l’immigration est injustement devenue un paratonnerre pour presque tout ce qui malmène le Canada. Qu’il s’agisse des déficits de productivité et des pénuries de logements ou des délais d’attente dans les hôpitaux et des salles de classe surfréquentées, la collectivité pointe du doigt l’impréparation de l’influx massif des nouveaux arrivants dans ce pays. La faible ligne de mire sur les chiffres, de concert avec les épisodes d’abus non vérifiés (ou du moins du laxisme dans la mise en œuvre des politiques) dans le système d’immigration au Canada, n’a guère aidé.

Le Canada est aux prises avec des choix de politique difficiles à l’horizon. Les délibérations devraient se fonder sur des principes économiques et sociaux rigoureux et être éclairées par les meilleures données publiées (qui sont abondantes).

RIEN N’EST GRATUIT

La rhétorique populaire est de plus en plus ancrée dans les principes économiques. Isolément, la croissance de la population n’est ni un porteur ni un poids pour la production par habitant à long terme. Selon la théorie économique classique, la production par habitant est fonction du taux de chômage à inflation stationnaire (TCIS), du taux de participation à la population active au point d’équilibre, du ratio capital‑travail et d’une sauce magique résiduelle (soit la productivité factorielle totale). C’est pourquoi l’investissement (corporel et incorporel) et la productivité factorielle totale jouent un rôle prépondérant dans le niveau de vie.2

L’économie empirique (la réalité économique) laisse entendre qu’il existe un point d’équilibre. La croissance de la population peut porter des améliorations soutenues à la longue; or, le contexte et les conditions sont plutôt exigus : les chocs sont ponctuels, ils sont relativement modestes, et les investissements dans les infrastructures sont « vigoureusement » réceptifs, d’après les récents travaux transnationaux du FMI (graphique 5). Sa première analyse vient aussi souligner un rôle potentiellement fortifiant pour le marché des travailleurs actifs et les politiques d’intégration qui peuvent se prêter à des gains économiques positifs et soutenus pour tout ce qu’apporte l’immigration. 

Graphique 5 : L'impact des grands chocs de l'immigration : travaux empiriques transnationaux du FMI

Le Canada a de loin dépassé ce point d’équilibre. Depuis le début de 2022, la population canadienne en âge de travailler croît à un rythme annualisé moyen de l’ordre de 2,5 % par rapport à sa tendance prépandémique d’à peine plus de 1 % par an. (Le choc moyen de l’étude de la « grande vague » du FMI était d’un peu moins de 1 %.) Ce qui est peut‑être le plus important, c’est que la réaction du Canada dans l’investissement a été loin d’être vigoureuse. Ce n’est guère étonnant, compte tenu des résultats des investissements massivement documentés et depuis longtemps décevant au Canada.

L’ampleur du choc démographique est venue encore plus museler cette réaction dans l’investissement. L’explosion de l’immigration a presque certainement endigué ce qui aurait normalement représenté des hausses de salaire encore plus substantielles et a ainsi fait de la main‑d’œuvre une option moins chère que le capital. C’est ce qui a naturellement encouragé les entreprises à préférer l’accroissement du nombre de travailleurs à l’investissement. Voilà pourquoi il était plus ou moins certain que l’explosion démographique mènerait à une baisse de la productivité. C’est ce que nous constatons dans le contexte de notre modèle macroéconomique de l’économie canadienne. Compte tenu de la réaction typique de l’investissement au Canada aux facteurs macroéconomiques, nous estimons que la croissance de la population a concouru à 1,0 % de la baisse colossale de 1,6 % du PIB par employé par rapport à la fin de 2021 (graphique 2, au début des abscisses). Nous estimons en outre que sur cette période, un taux neutre, du point de vue de la productivité, de la croissance démographique aurait été de l’ordre de 350 000 par an. Ce chiffre est une fraction de ce qui s’est effectivement produit. En outre, nous pensons très approximativement qu’il faudrait hausser d’environ 15 % sur deux ans l’investissement des entreprises pour chaque hausse d’un million d’habitants dans la population au-delà du rythme historique moyen de la croissance démographique. Nous avons déjà été témoins de ces fortes augmentations de la formation du capital auparavant; or, ces épisodes ont été peu nombreux et ont été considérablement espacés dans le temps; ils ont aussi eu tendance à se produire aux moments où les cours du pétrole ont augmenté astronomiquement.

Les difficultés à long terme de la productivité du Canada ne préfigurent pas un redressement en bonne et due forme. Bien qu’il y ait encore énormément de distorsion causée par la pandémie et la politique dans les données à court terme sur les salaires et la productivité dans l’ensemble des secteurs, le tableau télégraphie dans l’ensemble du signal clair : la production par travailleur est en chute libre. Le Canada s’installe fermement en territoire de « dilution du capital » : les chocs démographiques considérables et chroniques — exacerbés dans le contexte d’une léthargie dans la réaction de l’investissement — abaissent en permanence le ratio capital-travail (graphique 6). Même si l’immigration n’en est pas la cause originelle, son accélération n’aide guère en définitive. 

Graphique 6 : Plus d'habitants, moins d'outils

ÉCHOUER LE TEST DE LA GUIMAUVE

Les gains économiques à court terme retardent les redressements à apporter. Les marchés du travail ont jusqu’à maintenant remarquablement amorti le choc démographique. Plus de la moitié des 1,7 million de postes créés depuis 2021 a été confiée à des immigrants (reçus et temporaires) par rapport à leur part d’environ un tiers dans l’ensemble de l’économie. La croissance s’est accélérée, surtout parmi les récentes arrivées : les travailleurs temporaires interviennent pour presque 40 % dans les gains de l’emploi l’an dernier — et pour plus de 70 % en tenant compte de ceux qui sont arrivés depuis les cinq dernières années (graphique 7). Le taux de chômage se relève lentement à l’heure où le taux de croissance de la population active surpasse celui des emplois mesurés dans les rapports toujours signés à l’encre noire. 

Graphique 7 : L'offre de main-d'œuvre  est abondante

C’est ce qui porte la productivité globale. En nous rappelant que le PIB est fonction des heures de travail, nous estimons que cette offre de travailleurs incrémentielle (qui a dépassé la tendance prépandémique) explique le gain de 1,4 point de pourcentage du niveau du PIB depuis 2021. Il a aussi enrichi les coffres de l’État de centaines de milliards de dollars de recettes, puisque les revenus des ménages et les rentrées fiscales (apportées par la consommation) continuent d’être supérieurs aux attentes.

Si la simple baisse moyenne de la productivité par habitant est brusque, elle est loin d’être généralisée (pour l’instant). L’humeur des consommateurs est sans aucun doute faible; or, dans l’ensemble du spectre des revenus, les ménages canadiens se tirent toujours mieux d’affaire aujourd’hui par rapport à la situation avant la pandémie pour l’ensemble des indicateurs des revenus et du bilan. Ce sont essentiellement les travailleurs supplémentaires — soit le sous‑groupe des nouveaux arrivants auxquels on confie les postes moins bien rémunérés — qui tirent dans l’immédiat la courte paille, soit à cause l’inconcordance des compétences et des emplois, des écarts de salaires ou du choc des prix lorsqu’il s’agit de trouver un logement — en propriété ou en location.

Le mal se généralisera à la longue. Pour reconstruire le stock de capitaux en fonction de la croissance démographique, il faudrait investir davantage, ce qui laisse entendre qu’il faudrait aussi épargner davantage — au détriment de la consommation à court terme. Le Canada ne suit pas cette voie.

CE N’EST PAS (SEULEMENT) LA TAILLE QUI COMPTE

On serait mal avisé de se consacrer exclusivement aux chiffres. Bien que ce soit beaucoup trop simpliste et en lançant une multitude de mises en garde, le maintien de niveaux de vie constants laisse essentiellement entendre que le revenu moyen des nouveaux arrivants converge avec celui de l’ensemble de la population au fil du temps. Les choix compositionnels dicteraient les niveaux d’efforts dans l’ensemble des catégories.

À l’heure actuelle, environ 30 % des admissions de résidents p permanents sont issues de la priorité donnée à l’immigration économique. Si la catégorie « économique » du gouvernement fédéral était constituée de 58 % de RP admis en 2023, les chiffres tiennent également compte des conjoints et des personnes à charge (ce qui est normal) selon un ratio d’environ un pour un (en recoupant imparfaitement les données alignées de l’ARC et d’IRCC). Dans le même temps, le parrainage familial et les courants humanitaires ont représenté respectivement 23 % et 16 % des admissions (graphique 8). 

Graphique 8 : Une pléthore de parcours menant à la résidence permanente

Seuls les principaux candidats à l’immigration économique surpassent le seuil du revenu canadien médian. Et ils surpassent ce seuil assez considérablement, puisqu’ils gagnent un tiers de plus que le Canadien moyen cinq ans après leur arrivée (graphique 9). Par contre, les candidats qui appartiennent aux catégories à caractère familial (conjoints et parrainages) gagnent environ 25 % de moins cinq ans plus tard. Toutefois, il est beaucoup plus probable que les relations familiales appelées à suivre les immigrants économiques participent à la population active que ceux qui appartiennent aux courants du parrainage. On relève aussi une certaine variabilité dans les courants économiques et certaines surprises : on constate des résultats insatisfaisants dans le courant entrepreneurial et des dénouements assez bons pour les soignants (graphique 10). 

Graphique 9: Les écarts perdurent (esssentiellent) 5 ans après l'arrivée*; Graphique 10 : La variabilité dans les courants économiques Candidats primaires 5 ans après l'arrivée*

LES POINTS DE PRÉVISIBILITÉ

Les décideurs devraient avoir une bonne ligne de mire sur ces résultats économiques. Le système de points du Canada (soit son Système de classement global), de concert avec des données longitudinales exceptionnelles, permet assez bien de prédire le potentiel des revenus. On peut encore affûter cet outil (comme l’indique l’Institut C.D. Howe et IRCC même); or, on peut faire valoir que la généralisation de cet outil pourrait apporter les gains les plus importants. L’an dernier, seulement 71 000 invitations ont été lancées dans ce système de points centralisé, soit 15 % de la cible des 465 000 RP.

Les cibles chiffrées mettent au jour les compromis consentis sur le potentiel. Le relèvement des cibles du point de vue du nombre de RP a fait baisser les notes de passage, surtout lorsqu’on solde le nombre croissant de candidats provinciaux dans les notes élevées (graphique 11). Par concession pour les provinces, on attribue à ces candidats 600 points dès le départ, même si en cours de route, les revenus ne corroborent pas parfaitement le supplément de points par rapport à l’expérience canadienne ou aux catégories de travailleurs spécialisés (graphique 10).

Graphique 11 : Abaisser la barre pour atteindre  les cibles

Au Canada, l’éducation et l’expérience améliorent à l’évidence les résultats économiques; or, le modèle en deux étapes est devenu une épée à double tranchant. Dans un récent rapport, le DPB pointe les progrès prépandémiques dans le rapprochement des écarts de salaires parmi les nouveaux arrivants, en partie en raison de leur expérience canadienne avant de s’installer dans ce pays. Or, Statistique Canada avait présciemment averti, en 2020, que les programmes temporaires non plafonnés couraient le risque d’être captés par les besoins à court terme du marché du travail. Si les résidents non permanents comblent les déficits sur le marché du travail dans tous les secteurs, y compris les secteurs très productifs, leur proportion est surpondérée dans les secteurs moins bien rémunérés (graphique 12). Selon les données du recensement, par exemple, près de 30 % des RNP travaillaient dans le commerce de détail, ainsi que dans l’alimentation et l’hébergement. (Ce pourcentage est probablement supérieur aujourd’hui.) 

Graphique 12 : Le rôle démesuré des travailleurs temporaires dans certains secteurs moins bien rémunérés

Les programmes temporaires libéralisés ont aussi eu pour effet d’ériger, pour le gouvernement fédéral, un mur colossal d’attentes non gérées. La grande majorité de ceux qui sont déjà installés dans ce pays aspire temporairement à y rester (3 millions de temporaires et de sans‑papiers). Or, la réalité veut que ceux qui ne réussiront pas à mener cette transition soient nombreux. On a déposé devant les tribunaux fédéraux, en 2023, 16 000 examens judiciaires — soit une moyenne de plus de 40 par jour — pour contester les décisions d’IRCC. Le gouvernement fédéral doit désormais gérer décisivement non seulement la croissance du nombre de nouveaux arrivants, mais aussi le nombre considérable de ceux qui sont déjà installés ici. Et en se penchant sur les options de politique pour les résidents sans papiers, le danger moral est un risque considérable qu’il faut mettre en équilibre par rapport au rôle du gouvernement dans les attentes non gérées.

Le Canada n’a pas non plus accompli un travail particulièrement satisfaisant dans le potentiel des nouveaux arrivants après leur installation. Hormis les gains attribués au processus en deux étapes, il n’y a guère eu de progrès dans le rapprochement des écarts entre l’éducation et les compétences. Le taux de surqualification (soit le nombre de titulaires de diplômes universitaires qui se consacrent à des emplois réclamant au plus un diplôme d’études secondaires) parmi les immigrants étrangers instruits est deux fois celui des pairs nés au Canada ou formés dans ce pays. On a fait appel à environ 10 % des services d’établissement pour l’aide liée à l’emploi avant la pandémie. Dans un cas comme dans l’autre, les politiques sur le marché du travail actif sont appelés à jouer un rôle plus prépondérant.

HAUSSER LA BARRE

Le Canada a l’occasion de recentrer le discours sur l’immigration, mais est aux prises avec des choix de politique difficiles. À elle seule, l’immigration ne porte pas les gains de productivité; or, les meilleures conditions de la politique pourraient au moins appuyer orientationnellement de meilleurs gains du point de vue du bien-être au fil des ans, ce qui obligerait à apporter de vastes changements.

  1. Il faut d’abord mieux décliner les objectifs économiques du pays. L’objectif implicite actuel de l’immigration économique consiste à améliorer les niveaux de vie de tous les Canadiens; or, les parcours économiques piètrement ciblés à l’heure actuelle ne permettent pas au Canada de suivre cette trajectoire. Une déclinaison explicite des objectifs pourrait favoriser l’exécution, l’évaluation et la redevabilité, en éclairant mieux les liens entre les écosystèmes économiques et les écosystèmes démographiques du Canada.
  2. Le Canada devrait être plus attentif au potentiel économique des nouveaux arrivants dans ses processus d’admission. Les améliorations et surtout la généralisation du Système de classement global (SCG) permettraient d’accroître la transparence, d’éliminer la subjectivité et de conforter les résultats économiques (pour les nouveaux arrivants comme pour les tous les Canadiens) au fil des ans.
  3. Le Canada devrait privilégier un seuil d’admission établi d’après ce potentiel, et non selon un nombre fixe de résidents permanents. Les choix de politique pourraient calibrer la composition et les délais au cours desquels les écarts doivent se rapprocher; or, les calculs permettraient alors essentiellement de déterminer le « point d’équilibre », soit le seuil calculé en points à atteindre pour maintenir les niveaux de vie à la longue. Une plus grande transparence pourrait aussi être très utile en améliorant la gestion des attentes vis-à-vis des arrivées temporaires dans les cas où les nouveaux arrivants espèrent accéder à leur permanence grâce à leurs études et à leur expérience.
  4. Le Canada a toujours besoin d’un plafond de planification pour le nombre de synthèses des arrivées annuelles, sans égard aux circuits empruntés. Puisque le nombre de résidents permanents est déterminé selon le potentiel, les arrivées non permanentes supplémentaires devraient porter à ce plafond l’influx net total. On pourrait ainsi qualifier comme il se doit les infrastructures — publiques et privées — en envoyant aux intervenants un signal clair sur les limites des modèles de gestion privilégiant la « main‑d’œuvre bon marché » ou les « rentrées de fonds rapides ».
  5. Le Canada devrait hausser la barre pour les entreprises qui veulent faire appel à la main‑d’œuvre venue de l’étranger. Il pourrait éventuellement mettre au point un équivalent commercial du SCG, soit un outil prédictif porté par les données et misant sur les indicateurs de performance sectoriels et propres aux entreprises pour cerner l’utilisation la plus productive de l’offre de main‑d’œuvre incrémentielle. Ce système récompenserait les secteurs et les entreprises qui ont fait leurs preuves en investissant dans le potentiel humain et financier. Il réduirait aussi l’empreinte du gouvernement dans la sélection des secteurs « stratégiques » (même s’il est probablement essentiel de prévoir une distinction pour les catégories liées à la santé dans des structures‑cadres sainement gouvernées).
  6. Le Canada pourrait faire plus pour aider à maximiser le potentiel des nouveaux arrivants longtemps après leur arrivée. Les politiques sur le marché du travail actif, ainsi que les partenariats avec les secteurs des universités et des entreprises, pourraient rapprocher plus économiquement les écarts de salaire et les pénuries de main‑d’œuvre, tout en préservant l’importante mobilité des travailleurs. Nous avions déjà proposé un mécanisme de redevabilité commun (le « passeport pour l’accessibilité en milieu de travail ») afin de veiller à continuer de consacrer des efforts pour rapprocher activement et plus rapidement les écarts après l’arrivée des immigrants.

Ce type de programme ciblé pourrait rapprocher le Canada de son « point d’équilibre » et même le relever à la longue dans le contexte d’un programme de productivité plus vaste. Il y va de l’intérêt de tous les Canadiens, dont ceux qui sont récemment arrivés ou qui doivent encore arriver dans ce pays.

 

1 Dans cette note, nous reconnaissons que l’immigration répond aussi à d’autres priorités non économiques, dont les besoins humanitaires; or, elle porte exclusivement sur les catégories liées à l’économie, tout en tenant compte des compromis économiques dans les choix compositionnels des politiques.

2 Pour une analyse plus complète, veuillez consulter les travaux du Canadian Labour Economics Forum.