LE MARCHÉ CANADIEN DU LOGEMENT : LE PLANCHER EST UN TRAMPOLINE
RÉSUMÉ
Au Canada, les ventes de logements ont légèrement baissé en juillet, en perdant 0,7 % (en données désaisonnalisées sur un mois), alors que les inscriptions ont enchaîné un autre gain mensuel de 5,6 %, ce qui a allégé le poids du ratio des ventes par rapport aux nouvelles inscriptions, indicateur de la tension du marché, pour le deuxième mois d’affilée. Ce ratio s’établit à 59,2 % en date de juillet, contre 63 % en juin et son récent pic d’avril à 68,3 %; il reste toutefois supérieur à sa moyenne à long terme de 55,2 %. Toutefois, il s’agit d’un niveau qui indique que le marché national du logement est toujours en territoire équilibré, après avoir regagné le territoire vendeur en avril. Les mois de stocks se sont hissés à 3,2 mois : il s’agit d’une légère amélioration par rapport à juin (3,1 mois) même si c’est presque deux mois de moins que la moyenne à long terme d’environ cinq mois.
La baisse nationale des ventes s’explique par certaines différences régionales, alors que la hausse des inscriptions a été plutôt généralisée dans l’ensemble des marchés locaux que nous suivons. Malgré la répartition assez équilibrée parmi les marchés dont les ventes ont augmenté et dont les ventes ont fléchi (17 contre 14), une baisse de presque 30 % à Peterborough semble avoir fait pencher la balance pour une légère baisse dans l’ensemble du pays. Par contre, les inscriptions ont augmenté dans 24 des 31 marchés locaux que nous suivons. Dans le dernier mois, sur les 17 marchés sur lesquels les ventes avaient augmenté en juin, les inscriptions ont aussi augmenté dans 13 marchés — ce qui veut dire que l’offre nouvelle sur le marché est immédiatement absorbée en raison de la demande refoulée. La hausse des inscriptions, de concert avec le freinage des ventes, explique que les marchés soient plus nombreux en territoire équilibré par rapport à juin : seulement quatre marchés ont été en territoire vendeur (contre huit en juin), Toronto étant le seul marché à entrer en territoire acheteur.
Les prix, mesurés selon l’indice des prix des propriétés (IPP) MLS, ont augmenté de 1,1 % (en données désaisonnalisées sur un mois) en juillet : il s’agit d’une hausse mensuelle plus modeste, mais quand même importante par rapport aux trois derniers mois. Il s’agirait de la quatrième hausse mensuelle importante consécutive, après une année de baisses en réaction à la hausse des taux d’intérêt et à la conjoncture économique. La hausse de juillet a été menée par les habitations unifamiliales (1,3 %), talonnées par les appartements et les maisons en rangée (1,0 %). Grâce aux résultats de ce mois, l’IPP MLS décroche encore plus des niveaux atteints avant la pandémie, pour s’inscrire désormais à 39 % de plus, ce qui réduit à 10 % seulement la correction par rapport à son pic de février 2022. (Le plus creux, atteint en mars 2023, s’est situé à 15 % de moins que le pic.)
CONSÉQUENCES
Les ventes de logements ont relativement peu bougé en juillet : elles ont inscrit une perte de moins d’un pour cent par rapport à juin. En juin, le rythme des hausses de ventes s’était même ralenti par rapport au début de l’année, en raison de la recrudescence prématurée de la remontée, portée essentiellement par la conviction généralisée, à l’époque, que la Banque du Canada avait dénoué son cycle de durcissement et qu’elle s’apprêtait à baisser les taux. Cette recrudescence avait en partie nourri la décision adoptée par la BdC en juin de reprendre son cycle de hausses des taux et de durcir le ton de son discours dans l’évolution des taux directeurs, puisqu’elles nuisaient aux efforts de la BdC de ralentir l’activité économique et de ramener l’inflation sur la cible de 2 %.
Comme nous l’avons vu dans le rapport du mois dernier (accessible en cliquant sur ce lien), les deux hausses récentes de la BdC et le changement de discours ont porté à la hausse les taux variables et les taux fixes, ce qui a augmenté le loyer de l’argent et ralenti la demande dans ce circuit. Nous continuons toutefois de croire que c’est l’effet d’incertitude créé par les interventions de la BdC qui est le premier facteur du ralentissement du secteur du logement dans les derniers mois. En télégraphiant qu’une pause n’est pas garante de la fin des hausses, l’incertitude à propos des résultats projetés des taux, de l’inflation et de l’activité économique a probablement pesé sur les acheteurs potentiels, tout en permettant d’enrayer l’activité spéculative — qui est plus sensible au changement de discours lorsqu’il s’agit de la hausse des coûts du crédit pour une période d'amortissement plus longue et une rentabilité moindre.
En prenant du recul dans les comparaisons de mois en mois, le nombre de transactions de vente de juillet correspond exactement à la moyenne de 2000‑2019 observée pour le mois de juillet, ce qui veut dire que les marchés regagnent un niveau d’activité plus durable dans le logement : la stabilité de l’activité dans la comparaison entre juillet et juin devient ainsi encore plus logique.
Pourtant, ce n’est pas parce que les chiffres concordent avec ce qui était considéré comme une moyenne à long terme plus durable par rapport aux récentes années que tout va pour le mieux sur le marché du logement au Canada, puisque l’abordabilité reste hors d’atteinte pour bien des primo‑accédants à la propriété et que l’offre continue d’être à la traîne. En fait, les prix des logements ont continué d’augmenter en juillet, pour enchaîner une quatrième hausse mensuelle consécutive (après la correction des prix qui a duré 13 mois pendant le cycle de durcissement de la BdC) et en tenant compte des déséquilibres fondamentaux de la conjoncture des marchés.
Il va de soi qu’il y a des différences régionales dans les mouvements de prix. Afin de prendre un peu de recul, il est bon de se souvenir que l’essentiel des baisses de prix durant ces 13 mois a permis de compenser les hausses intenables et injustifiables dans la précédente envolée de l’ère pandémique, d’où la « correction » des prix. Il faut se souvenir que c’est pendant la correction que les prix ont le plus dégringolé dans les villes dans lesquelles ils avaient culminé pour s’inscrire à leur plus haut pendant cette envolée. Le graphique 1 trace l’évolution des prix pendant l’envolée du marché du logement sur l’axe vertical — soit l’évolution des prix maximums dans chaque ville, qui s’est produite, pour la plupart des villes, à peu près à l’époque où la BdC a commencé à hausser les taux en février 2022, et les prix prépandémiques (février 2020) — par rapport à la variation des prix pendant la correction sur l’axe horizontal — soit le changement entre le prix au plus creux de chaque ville, atteint plus tôt cette année avant que les prix se remettent à augmenter, et le prix maximum des villes correspondantes. Fait exception à cette règle, Calgary : dans cette ville, sauf quelques légères baisses au milieu de l’an dernier, les prix ont continué d’augmenter malgré les hausses de taux et d’autres faits nouveaux; c’est pourquoi il n’y a ni pic ni creux. C’est pour cette raison que les graphiques 1 et 2 ne font pas état de Calgary.
La hausse des prix dans les quatre derniers mois paraît jusqu’à maintenant suivre une logique comparable, mais dans le sens inverse. Le graphique 2 trace l’évolution des prix pendant la correction à nouveau sur l’axe horizontal (valeurs inversées) par rapport à la variation des prix pendant la recrudescence récente sur l’axe vertical — soit l’évolution des prix en juillet par rapport au plus creux pour chaque ville. Les prix augmentent plus dans les régions dans lesquelles ils ont été corrigés pour mieux regagner leurs niveaux prépandémiques, ce qui représente une inversion de la progression absolument nécessaire sur la voie de l’abordabilité. Il va de soi que les mouvements de prix ont tendance à décaler l’activité des ventes; effectivement, l’augmentation de juillet a été la plus modeste parmi les récentes hausses; c’est pourquoi nous pourrions être témoins d’un dénouement de cette évolution si les ventes continuent de fléchir. Or, tous les paliers de gouvernement doivent adopter une approche plus proactive afin de mieux viabiliser la conjoncture des marchés et de produire des incidences concrètes sur les prix et sur l’abordabilité au lieu de continuer d’être empêtrés dans le modèle qui veut que ce qui monte redescende; pourtant, le plancher est un trampoline trop haut pour que bien des Canadiens puissent l’atteindre et profiter des prix qui s’apprêtent à rebondir.
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