Shaun Osborne
stratège cambiste en chef
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Stratégie des marchés des changes
shaun.osborne@scotiabank.com

Le dollar US reste vigoureux plus longtemps que nous l’avions prévu, ce qui mène à de nouvelles révisions de nos prévisions à court terme du mois dernier pour le dollar US (USD). Les pressions inflationnistes aux États‑Unis — et partout dans le monde — restent intenses (malgré le rapport de l’IPC de juillet, plus clément qu’attendu). C’est ce qui conduit à une pression haussière soutenue sur les rendements américains même si les statistiques sur le PIB des États‑Unis laissent entendre que l’économie connaît une « quasi‑récession ». Le retentissement du conflit qui perdure en Ukraine et d’autres difficultés limitent les possibilités de hausser les taux en Europe, malgré la flambée des prix, alors que les décideurs japonais ne voient pas l’urgence de modifier les paramètres des politiques intérieures, en veillant à ce que le yen (JPY), qui est la grande monnaie la moins performante cette année, reste anémique.

Nos plus récentes prévisions du dollar US laissent entendre que cette monnaie restera relativement vigoureuse jusqu’à la fin de l’année. Le dollar US a résisté au T2 à un deuxième résultat négatif de suite pour le PIB, ce qui veut généralement dire qu’il y a une récession. Les décideurs ont écarté la notion d’une récession en raison de la vigueur des marchés du travail et du rapport de juillet sur l’emploi salarié non agricole, qui fait état d’un gain de 528 k emplois, ce qui tend à étayer ce point de vue. À l’évidence toutefois, le risque d’un ralentissement de la croissance augmente, compte tenu du durcissement des paramètres de la politique monétaire; nous nous attendons toutefois à ce que la Fed aille de l’avant avec des hausses de taux, puisqu’elle cible un atterrissage en douceur. Dans nos prévisions, nous nous attendons à ce que le taux cible des fonds fédéraux atteigne — et culmine à — 3,25 % d’ici la fin de l’année; or, les cours boursiers laissent aujourd’hui entendre que les investisseurs s’attendent à des hausses de taux directeur à 3,50 — dont 75 % dans le S1 l’an prochain. Nous croyons que le cycle haussier du dollar US paraît très étendu, mais que les tenants de la baisse de cette monnaie devront rester patients : faute de catalyseurs négatifs majeurs, les rendements américains, les incertitudes généralisées sur les marchés et l’absence de solutions de rechange attrayantes viendront continuer d’étayer le dollar US.

Le dollar canadien (CAD) est toujours la monnaie la plus performante du G10 — hors de la zone USD — jusqu’à maintenant cette année. La résilience de l’économie et le durcissement de la banque centrale, ainsi que la vigueur des prix des produits de base, qui constitue une bonne nouvelle du point de vue de la balance commerciale pour la monnaie, viennent solidement étayer le dollar CA, même s’il a de la difficulté à rendre compte de ces facteurs par rapport au dollar US. Le dollar CA garde un profil vigoureux par rapport aux autres grandes monnaies et semble être appelé à rester ferme à l’heure où les rendements intérieurs évoluent à la hausse. D’après nos prévisions, la croissance intérieure et les taux d’intérêt sont supérieurs à ceux des États‑Unis cette année et l’an prochain, ce qui devrait limiter la capacité du dollar US à évoluer au‑delà des pics récents de la fourchette par rapport au dollar CA, et, à notre avis, ils porteront légèrement à la hausse le dollar CA d’ici la fin de l’année, surtout si la conjoncture généralisée des risques s’améliore, ce qui devrait permettre au dollar CA de mieux rendre compte de ses fondamentaux sous‑jacents positifs. Nous nous attendons à ce que la Banque du Canada (BdC) porte son taux à un jour à 3,50 % d’ici la fin de l’année et le maintienne à ce niveau en 2023.

En Europe, les conséquences de la guerre en Ukraine continuent de représenter une contrainte évidente pour les perspectives. La sécurité énergétique de l’Europe reste une considération essentielle pour les perspectives des prochains mois. Priver d’emblée l’Europe de son ravitaillement en gaz naturel ne répond pas aux intérêts supérieurs de la Russie, et l’Europe fait un honnête travail en se constituant des réserves de gaz en prévision de l’hiver. Or, l’incertitude du ravitaillement est réelle et la flambée des coûts de l’énergie relève l’inflation et endigue les dépenses discrétionnaires et la production industrielle. Dans la zone euro, les risques récessionnistes explosent, et la météo caniculaire de l’été intensifie les vents contraires qui soufflent sur l’économie; les faibles niveaux d’eau fragilisent les trajets logistiques sur le Rhin (qui permet de transporter environ 30 % des matières premières énergétiques allemandes). En juillet, la Banque centrale européenne a haussé de 50 points de base les taux d’intérêt; or, les marchés ne s’attendent qu’à de modestes hausses des taux d’ici la fin de l’année, et les différentiels de rendement viennent ternir l’attrait de l’euro (EUR) pour l’instant. Les surprises de la croissance négative ou les blocages logistiques dans le ravitaillement en énergie risqueraient, à notre avis, de faire plonger l’EUR en deçà de la parité par rapport au dollar US. En Italie, l’instabilité de la conjoncture politique a amené Moody’s à dégrader la note de la perspective souveraine de ce pays, ce qui constitue un autre risque balbutiant pour l’EUR.

Au Royaume-Uni, la crise du coût de la vie — aujourd’hui exacerbée par la perspective d’un autre bond fulgurant des prix de l’énergie des ménages durant l’hiver — et la léthargie de la croissance pourraient empêcher la Banque d’Angleterre d’affronter la flambée de l’inflation et de répondre aux attentes des marchés dans le durcissement de la politique monétaire. Cette conjoncture pèsera généralement sur la livre sterling (GBP). Les difficultés évidentes du Royaume-Uni et, en particulier, de la zone euro laissent entendre que le franc suisse (CHF) est appelé à rester relativement vigoureux, d’autant plus que la Banque nationale suisse pourrait tolérer un taux de change supérieur pour mater l’inflation intérieure coriace.

La hausse des rendements américains et l’absence évidente d’un sentiment d’urgence dans le rajustement des paramètres de la politique de la Banque du Japon (BoJ) continuent de peser sur le yen (JPY). Au Japon, les récentes élections de la Chambre haute ont conforté le statu quo politique et laissent entendre que la BoJ n’est pas du tout pressée de modifier sa trajectoire monétaire. Les énormes différentiels de rendement entre les États‑Unis et le Japon feront en sorte que le JPY restera léthargique dans l’avenir prévisible, à l’heure où les cours élevés des produits de base constituent une autre impulsion négative sur cette monnaie (en raison du choc de la balance commerciale négative). Nous croyons effectivement que les gains de la paire USD/JPY, qui évoluent dans la zone des 140 au S2, pourraient toutefois constituer un repère de crue, puisque le JPY paraît nettement survendu. En raison de la léthargie du JPY, les tendances régionales dans l’évolution des taux de change en Asie restent timorées depuis quelques mois; toutefois, le ralentissement de la progression des exportations, les politiques sanitaires rigoureuses de la Chine et les tensions géopolitiques régionales entrent tous en ligne de compte dans la léthargie des marchés des changes régionaux.

Certaines monnaies des pays de l’Alliance du Pacifique ont fait preuve de résilience par rapport à la vigueur généralisée du dollar US et à la forte incertitude internationale. Le peso mexicain (MXN) a connu des accès de volatilité avivée cette année; toutefois, la paire USD/MXN a basculé dans une vaste fourchette aux alentours de sa moyenne mobile sur 200 jours et inscrit actuellement un modeste gain, depuis le début de l’année, par rapport au dollar US et au dollar CA. Les brusques hausses des taux d’intérêt intérieurs sont venues étayer le MXN, et nous nous attendons à ce que les décideurs durcissent encore les taux, en gardant la paire USD/MXN en deçà des fourchettes récentes. Le sol péruvien (PEN) continue lui aussi d’augmenter légèrement par rapport au dollar US depuis le début de l’année sur fond de hausses des taux d’intérêt intérieurs; or, le bruissement politique dans l’entourage du président Pedro Castillo reste intense, ce qui rehausse l’incertitude. La pression exercée sur le peso chilien (CLP) s’est modérée grâce au déploiement réussi — mais coûteux — des réserves de la banque centrale. Toutefois, l’incertitude qui plane sur les réformes constitutionnelles perdure, et la flambée de l’inflation aura pour effet de durcir la politique monétaire, ce qui ralentira la croissance. L’ampleur des gains du CLP reste relativement limitée à terme. Les perspectives du peso colombien (COP) sont elles aussi assombries par la conjoncture politique intérieure, par l’incertitude internationale et par la vigueur du dollar US; toutefois, les extrêmes de juillet paraissent démesurés, et nous nous attendons à certains gains modestes pour le COP d’ici la fin de l’année.