• Les solides statistiques mènent à un relèvement des prévisions de croissance pour le Canada et les États‑Unis en 2024.
  • Cette forte croissance a une rançon inflationniste. Même si les pressions inflationnistes se sont calmées aux États‑Unis, la vigueur de la croissance nous amène à repousser au troisième trimestre cette année la première baisse, soit une baisse totale de 100 points de base.
  • Au Canada, la vigueur de la croissance et les forts gains de salaires, de concert avec la dégringolade de la productivité et les indicateurs toujours aussi élevés de l’inflation sous-jacente, laissent tous entendre que la Banque du Canada devra attendre la fin du troisième trimestre avant d’abaisser ses taux. Nous nous attendons désormais à des baisses d’à peine 75 points de base cette année.
  • Dans ces deux pays, la croissance et la dynamique de l’inflation pourraient laisser entendre que ces prévisions mêmes révisées pourraient être trop optimistes du point de vue des baisses de taux attendues. Si la croissance est encore plus vigoureuse ou que la baisse de l’inflation se fait attendre, il se pourrait qu’il n’y ait pas du tout de baisses des taux cette année. Ce n’est vraiment pas ce à quoi nous nous attendons. Or, il s’agit d’un risque considérable à nos yeux.

Les statistiques économiques sont presque unanimement meilleures qu’escompté au Canada et aux États‑Unis dans les dernières semaines. Le discours sur la résilience continue de se faire entendre à l’heure où de part et d’autre de la frontière, les ménages continuent de dépenser à une cadence plus rapide qu’attendu. L’impact des taux directeurs élevés reste moins négatif que l’on craignait. C’est pourquoi 2023 s’est soldé par un résultat beaucoup plus solide que prévu. De pair avec les premiers indices de la vigueur qui perdure en 2024, nous sommes en train de réviser nos prévisions fortement à la hausse pour l’année. Aux États‑Unis, nous nous attendons aujourd’hui à ce que le taux de croissance soit de 2,3 % en 2024, soit un point de pourcentage complet de plus que nos précédentes prévisions. Pour 2025, notre pronostic reste essentiellement inchangé : nous prévoyons un taux de croissance de 1,5 %. Au Canada, nous sommes en train de quasiment doubler notre taux de croissance prévu à 0,9 % cette année contre 0,5 % auparavant; or, la croissance est appelée à baisser en 2025, puisque nous prévoyons aujourd’hui que l’économie progressera de 2,0 %. Bien qu’il y ait des raisons de saluer cette évolution, la croissance plus vigoureuse attise les pressions inflationnistes et obligera les banques centrales à retarder le processus de la normalisation monétaire. Nous nous attendons à ce que la Réserve fédérale américaine et la Banque du Canada abaissent leurs taux au troisième trimestre plutôt qu’au deuxième et nous prévoyons que les deux banques centrales les réduiront moins qu’attendu. D’ici la fin de l’année, nous prévoyons que l’extrémité supérieure de la fourchette des taux directeurs aux États‑Unis s’établira à 4,5 % et que le taux directeur de la BdC s’inscrira à 4,25 %. Il y a un risque : les banques centrales pourraient les réduire encore moins.

Nous continuons de nous attendre à ce que l’activité économique américaine se ralentisse à l’heure où le durcissement des taux d’intérêt se répercute sur l’économie. Ceci dit, la récente performance économique n’a été rien moins que spectaculaire. Dans le dernier trimestre de 2023, la croissance s’est chiffrée à 3,3 %, ce qui est nettement supérieur aux attentes. Ce chiffre s’enchaîne avec une hausse de presque 5 % dans le trimestre précédent. Sur le site GDPNow, la Fed d’Atlanta laisse entendre un pistage de la croissance à plus de 4 % au T1 de 2024 en date du 1er février. En janvier, la croissance de l’emploi a été vigoureuse, même si elle a aussi révélé de solides gains de salaires. La vigueur économique constatée est assez généralisée; or, les dépenses de consommation s’illustrent, malgré les taux d’intérêt élevés. La plus grande surprise est peut-être le rythme fulgurant de la croissance de la productivité, qui a permis de ralentir considérablement l’inflation. Si la modération de l’inflation est une très bonne nouvelle, la vigueur de l’activité économique comporte des risques de hausses pour le profil de l’inflation. Le rythme auquel les gains de productivité peuvent se dérouler aux États‑Unis est soumis à une limite, et en définitive, il y a un lien entre l’activité économique et l’inflation. À notre avis, la croissance plus forte qu’attendu aux États‑Unis amènera la Fed à abaisser ses taux plus tard dans l’année que ce qui était prévu. Un autre blocage des chaînes logistiques en raison des faits nouveaux dans la mer Rouge et dans le canal de Panama augmente l’incertitude pour les perspectives inflationnistes, ce dont pourrait tenir compte la banque centrale. Il est très probable que les marchés anticipent une baisse de taux dès mai. Nous pensons toutefois que cette éventualité est improbable et nous pensons plutôt qu’une décision quelque part au troisième trimestre est plus vraisemblable et appropriée.

Au Canada, la croissance étonne aussi à la hausse, mais dans une moindre mesure. Le pistage de Statistique Canada pour la croissance du PIB en décembre est solide : certains indicateurs confirment que l’activité a été plus vigoureuse que prévu à la fin de l’année dernière et au début de cette année (graphique 1). Ce qui ne veut pas dire que les dépenses sont vigoureuses. Bien qu’elles ne le soient pas, elles se sont quand même ralenties moins que prévu. C’est pourquoi nous nous attendons aujourd’hui à une moins grande léthargie au S1 de 2024 que dans les prévisions précédentes.

Cette révision à la hausse de la croissance au Canada est plus problématique pour notre banque centrale qu’elle l’est aux États‑Unis. Au Canada, la dynamique inflationniste reste inquiétante. Les baromètres de l’inflation sous-jacente pistés par la Banque du Canada se sont accélérés à un rythme proche de 4 % à la fin de 2023. Les gains de salaires restent totalement incompatibles avec la croissance de la productivité selon la cible inflationniste. Les baisses de productivité signifient que ces gains de salaires constituent une plus grande difficulté pour les entreprises canadiennes que pour les entreprises américaines, et par conséquent, qu’ils font encore monter l’inflation (graphique 2). Les attentes inflationnistes restent assez éloignées de la cible de 2 %. En outre, les blocages du fret dans la mer Rouge et dans le canal de Panama entravent les chaînes logistiques et augmentent les risques de hausses de l’inflation. Ces pressions inflationnistes seraient plus gérables si l’économie se ralentissait plus rapidement que ce à quoi on s’attend aujourd’hui. Il faut se rappeler que la Banque du Canada prévoit que le ralentissement de la croissance créera une offre excédentaire qui fera baisser l’inflation, ce qui finira par l’aider à revenir sur la cible en 2025. Les révisions à la hausse de la croissance qui ne sont pas accompagnées d’une meilleure productivité réduiront l’importance de l’offre excédentaire et apaiseront les pressions désinflationnistes.

C’est probablement ce qui explique que la Banque du Canada soit plus sensible aux résultats de la croissance que la Fed. Il s’agit d’un grand motif d’inquiétude en raison du volume massif de la demande refoulée pour le logement au Canada. Comme permettent de le constater les statistiques sur les ventes dans l’immobilier de décembre et les données anecdotiques pour janvier, les ventes de maisons familiales existantes s’accélèrent rapidement à l’heure où les acheteurs réagissent à la baisse des coûts hypothécaires à plus long terme et aux attentes vis-à-vis de la baisse des taux à court terme. Il se pourrait très bien que le déclenchement de cette demande pour l’immobilier au début de l’année tire l’activité économique à la hausse (de concert avec les prix des loyers), ce qui viendra réduire encore l’importance de l’offre excédentaire dans l’économie. Il devrait s’agir d’une très grande inquiétude pour la Banque du Canada compte tenu des risques évoqués ci-dessus. C’est pourquoi nous croyons aujourd’hui que le gouverneur Tiff Macklem pourrait réduire le taux directeur plus tard que tôt au troisième trimestre, voire attendre encore plus, s’il ne renonce pas à une telle intervention cette année.