LE MARCHÉ CANADIEN DU LOGEMENT : REDRESSEMENT À L’HORIZON

RÉSUMÉ

En juin, les ventes de logements au Canada ont plongé pour le quatrième mois d’affilée : elles ont perdu 5,6 % (en chiffres désaisonnalisés sur un mois), alors que les inscriptions ont gagné 4,1 % (en chiffres désaisonnalisés sur un mois). Le marché s’est donc rééquilibré : le ratio des ventes par rapport aux nouvelles inscriptions, indicateur du durcissement du marché, a plongé à 51,7 % — son plus creux depuis janvier 2015 et ce qui est inférieur à sa moyenne à long terme de 55,1 %. Cette détente de la conjoncture a provoqué un autre repli de l’indice des prix des propriétés (IPP) MLS composé, qui a perdu 1,9 % (en chiffres désaisonnalisés sur un mois) en juin par rapport à mai.

Ce fléchissement des ventes s’est étendu à l’ensemble des marchés locaux que nous suivons. Parmi les 31 marchés suivis, les ventes ont plongé dans 26 marchés, essentiellement dans les centres urbains de l’Ontario (St. Catharines, London, Hamilton‑Burlington, Ottawa, Guelph, Peterborough, Kingston, Barrie et Brantford) et de la Colombie‑Britannique (Okanagan‑Mainline, Victoria et Vancouver) — qui ont tous comptabilisé des baisses dans les deux chiffres. Ce fléchissement dans l’ensemble du pays rapproche le niveau des ventes de ce qu’il était avant la pandémie : les ventes de juin cadrent avec la moyenne à long terme du mois.

Les inscriptions ont augmenté dans les trois quarts de nos marchés locaux, ce qui explique que plus de marchés soient sortis du territoire favorable aux vendeurs pour passer dans le territoire équilibré et favorable aux acheteurs. Seulement deux de nos centres locaux (Saint John et St. John’s) restent en territoire favorable aux vendeurs. Dix centres, dont la majorité en Ontario, se situent en territoire favorable aux acheteurs, dont Toronto; les autres se trouvent en territoire de marché équilibré. Les mois de stocks ont continué de monter après avoir atteint des creux sans précédent, pour s’établir à 3,1 mois en juin — ce qui est toujours inférieur à la moyenne à long terme de cinq mois, mais ce qui constitue le plus haut atteint depuis l’été 2020.

Pour le deuxième mois consécutif, tous les types de logements ont inscrit des baisses mensuelles de prix, dont les appartements. Les habitations familiales d’un étage ont mené la baisse des prix (‑2,8 % en chiffres désaisonnalisés sur un mois) suivies des habitations familiales de deux étages (‑1,7 % en chiffres désaisonnalisés sur un mois), des appartements (‑1,4 % en chiffres désaisonnalisés sur un mois) et des maisons en rangée (‑1,3 % en chiffres désaisonnalisés sur un mois). Dans l’ensemble, l’IPP MLS composé pour toutes les habitations au Canada s’est établi à 14,9 % (en chiffres non désaisonnalisés sur un an), de plus en juin 2022 par rapport au même mois l’an dernier, ce qui représente la moitié des hausses records sur un an de 30 % en janvier et février 2022.

CONSÉQUENCES

En juin, dans de nombreuses régions du Canada, le marché du logement a continué de s’adapter à la hausse des taux et au basculement de la psychologie et de la dynamique des marchés.

Depuis que la Banque du Canada a commencé à hausser son taux directeur en mars cette année, les ventes nationales ont fléchi de 27 %, alors que le prix de vente moyen a perdu 14 % par rapport à son pic de février 2022.

La conjoncture de l’offre et de la demande s’est détendue dans bien des villes du pays : le marché national se situe aujourd’hui en territoire équilibré. Le récent rééquilibrage du marché du logement est une bonne nouvelle et est une conséquence voulue de la hausse des taux du crédit. Les hausses de taux visaient à éliminer une partie de l’exubérance du marché, ce qu’elles permettent effectivement de faire — faut‑il le reconnaître. Or, elles le font à un rythme beaucoup plus rapide que celui auquel on s’attendait.

Cette réaction rapide s’explique essentiellement parce que les marchés sont plus sensibles aux hausses de taux, comme nous l’avons vu dans nos précédents rapports. En raison de la hausse incessante du crédit hypothécaire à consentir pour permettre aux acheteurs de faire l’acquisition des logements très chers après deux années de valorisation intenables, les hausses marginales des taux de crédit se traduisent par des augmentations démesurées des mensualités hypothécaires et par la réduction de l’abordabilité, ce qui a haussé la réaction de la demande de logements aux relèvements des taux de la Banque du Canada et à l’augmentation consécutive des taux de crédit hypothécaire et des seuils des critères de résistance. De plus, si les ménages canadiens ont porté leur valeur nette à leurs plus hauts pendant la pandémie, ils ont aussi augmenté leurs passifs, encouragés par les taux d’intérêt qui n’ont jamais été aussi faibles et par la dette « bon marché ». Cet accroissement de l’endettement a rendu plus sensibles, au renouvellement des prêts à des taux supérieurs, les ratios de remboursement de la dette. (Le lecteur est invité à consulter la Revue du système financier du Canada pour prendre connaissance de l’analyse circonstanciée de l’impact de la hausse de l’endettement sur la sensibilité aux taux.) Cette sensibilité s’explique aussi par le caractère spéculatif de la demande qui nourrissait les hausses intenables des prix pendant la pandémie. Les investisseurs, dont la demande est naturellement plus élastique aux taux compte tenu de leurs ratios supérieurs dans le remboursement de la dette et de leurs plus grandes incitations à la rentabilité, ont représenté une plus large part de l’ensemble des acheteurs. À l’heure où les taux augmentent et que leur coût emboîte le pas, une baisse de la demande dans ce segment donne lieu à un plongeon démesuré des ventes.

Le basculement de la psychologie des marchés entre aussi en ligne de compte. Les consommateurs qui s’attendent aujourd’hui à ce que les prix baissent par rapport à ce qu’ils étaient auparavant sont plus nombreux, et par conséquent, les acheteurs ont de plus en plus le sentiment d’être moins pressés et attendent que les prix baissent. En outre, les offres conditionnelles resurgissent : en temps normal, il s’agit d’un levier sensé du marché, que les temps anormaux de pandémie ont désactualisé, puisque l’on considérait que ces offres n’étaient pas concurrentielles pour les acheteurs. Puisque certaines conditions, dont les inspections, redeviennent normales, les expertises des logements pourraient faire baisser les prix et les rapprocher des valeurs marchandes. Et à l’heure où le sentiment d’urgence des acheteurs pourrait battre en retraite, ce sentiment hante probablement les vendeurs qui ont acheté une nouvelle maison avant de vendre la leur, puisqu’ils ne pouvaient pas veiller à ce que leur offre soit conditionnelle au succès de la vente de leur propriété actuelle. Certains ménages pourraient aujourd’hui se retrouver dans une situation où ils pourraient avoir besoin de capitaux et se dépêchent donc d’inscrire leur logement et de le vendre, ce qui pourrait créer sur le marché une offre plus temporaire et donner lieu à des baisses de prix plus importantes, puisqu’ils sont appelés à accepter des offres inférieures aux prix demandés. Un autre segment de vendeurs pourrait se situer dans une phase de déni et de rejet des faits : en sachant à quel prix des logements comparables se sont vendus il y a à peine quelques mois, ils ont de la difficulté à reconsidérer leurs attentes et les prix demandés, ce qui crée un déséquilibre entre les stocks et le prix qu’ils devraient afficher pour être vendus.

Le marché du logement est donc en train de réagir à toutes sortes de facteurs et se redresse en fonction de la hausse des taux d’intérêt — ce qui est normal! Or, il le fait à vive allure, et la hausse-surprise de 1 % des taux de la Banque du Canada cette semaine ne fera qu’accélérer ce redressement. 

Il va de soi qu’il y a des variations dans ces efforts d’adaptation parmi l’ensemble des régions et des différents segments de marché. À Toronto par exemple, par rapport au même mois l’an dernier, les ventes ont plus baissé dans le vaste segment des habitations individuelles par rapport aux appartements : les baisses mensuelles de prix dans le segment des maisons unifamiliales ont doublé par rapport aux appartements. Dans le segment des habitations individuelles, les ventes dans la banlieue ont plus baissé que dans le cœur des centres‑villes. C’est logique, puisque l’inversion de la conjoncture pandémique, qui a donné lieu à une valorisation significative des prix dans ce segment, est désormais en cours. Parmi les villes, les plus fortes baisses des ventes se produisent dans les régions dans lesquelles on relève la plus grande divergence de prix par rapport aux revenus et aux fondamentaux. Le graphique 1 trace le niveau des ventes en juin par rapport à février (soit le mois précédant la première hausse des taux de la Banque du Canada) comparativement aux ratios des prix moyens par rapport aux revenus en 2021 parmi les différentes provinces : sauf en Alberta, une tendance évidente émerge, dans laquelle les provinces qui avaient les ratios de prix les plus importants par rapport aux revenus à la fin de 2021 ont enregistré en quatre mois les plus fortes baisses des ventes, notamment l’Ontario et la Colombie‑Britannique, ce qui cadre avec les récentes données d’Equifax, qui indiquent que la plus forte réduction des nouveaux volumes hypothécaires par rapport à l’an dernier s’est produite dans ces deux provinces. 

Graphique 1 : Ventes de logement dans les provinces et ratios des prix par rapport aux revenus

À l’heure où l’horizon s’éclaircit et que cette dynamique se met en branle, nous pouvons nous attendre à ce que le marché du logement adopte un rythme d’adaptation plus tenable à court et à moyen termes et tienne compte des fondamentaux de la demande à plus long terme.

Tableau 1: Ventes, Nouvelles inscriptions, Prix moyen, IPL MLS, Ratio ventes/Mois d’inscriptions actives; Graphique 1: Ventes de logements dans certaines villes
Veille du marché du logement de la Banque Scotia — juin 2022
Indice des prix des logements (IPL) MLS — ouest du Canada
Indices des prix des logements MLS (suite) — est du Canada
Indices des prix des logements MLS (suite) — est du Canada et total du Canada