Shaun Osborne
Stratège cambiste en chef
Stratégie des marchés des changes
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Au début de la nouvelle année, le dollar US (USD) a repris un peu de mieux après son dégagement de la fin de 2023. Il a entamé l’année sur une bonne note grâce à un certain nombre de facteurs à court terme. Premièrement, les marchés étaient devenus très ambitieux dans leur anticipation des baisses de taux de la Fed pour le début de 2024, et une certaine réintégration des attentes dans les cours des marchés, induite par la résilience des statistiques économiques, a haussé considérablement les rendements américains par rapport aux niveaux constatés à la fin de l’an dernier. Deuxièmement, en conséquence de cette mauvaise appréciation boursière des risques à court terme de la Fed, le positionnement des marchés était devenu trop baissier pour le dollar US, et un rééquilibrage s’est produit dans la foulée du rajustement à la hausse des rendements américains. Troisièmement, il faut tenir compte de la demande saisonnière exprimée pour le dollar US, qui est typiquement vigoureux au T1 de l’année civile. Depuis le début des années 1990, janvier est le meilleur mois de l’année pour le dollar US dans l’ensemble, et le DXY dégage en moyenne 0,8 %. En février et en mars, le soutien saisonnier du dollar US se modère — mais reste bien orienté — alors que le T2 et le T3 sont généralement les périodes les plus apathiques de l’année civile pour le dollar US.

Même si le dollar US a commencé l’année en force, nous nous attendons toujours à ce qu’il fléchisse d’ici la fin de 2024 par rapport aux autres grandes devises. Le cycle de la hausse des taux de la Fed a culminé; toutefois, les progrès accomplis sur les cours semblent se ralentir ou être freinés dans de nombreuses administrations depuis quelques mois, ce qui explique que les décideurs restent sur leurs gardes. Or, nous nous attendons toujours à ce que la croissance des cours se modère suffisamment dans les prochains mois pour convaincre la Fed qu’elle peut lancer le processus de baisse des taux d’intérêt à l’heure où la croissance de l’économie intérieure se ralentit. Nous prévoyons que la Fed commencera à assouplir son discours monétaire au T3 de 2024 et nous prévoyons aujourd’hui des baisses de taux cette année (de 100 points de base au total, contre 150 points de base dans nos dernières prévisions).

Le ralentissement (modeste) de la croissance et les différentiels de taux d’intérêt se conjugueront pour faire souffler des vents contraires sur le dollar US en 2024. La synchronisation de l’économie mondiale veut probablement dire que la baisse des taux des banques centrales par les grandes puissances économiques pourrait s’amorcer plus ou moins en même temps. En règle générale toutefois, la baisse des taux d’intérêt sera une bonne nouvelle pour les investisseurs qui ont le goût du risque et une mauvaise nouvelle pour le dollar US dans l’ensemble. Typiquement, les cycles d’assouplissement monétaire musclent la demande exprimée pour les actifs à rendement supérieur plus risqués et réduisent la demande exprimée pour les devises refuges comme le dollar US. La forte valorisation du dollar US est une autre considération. En chiffres effectifs réels, le dollar US s’est considérablement apprécié (de l’ordre de 28 %) dans les 10 dernières années. La portée des autres gains du dollar US pourrait être limitée à moyen et à plus long termes, et sa valorisation élevée appelle une correction, d’autant plus que les vents contraires structurels (soit le déséquilibre budgétaire américain) continuent de se multiplier. L’agence de notation Fitch a récemment fait savoir que le déficit du gouvernement général des États-Unis pourrait franchir la barre des 8 % du PIB par an dans les prochaines années, ce qui est nettement supérieur à ses précédentes estimations.

À l’évidence, certaines incertitudes assombrissent l’horizon du marché des changes et pourraient se répercuter sur le rendement du dollar US à court et à moyen termes. Les révisions apportées aux prévisions de croissance et de taux d’intérêt pourraient en définitive limiter l’envergure des pertes du dollar US cette année, même si nous ne modifions pas, pour l’instant, nos prévisions de 2024. Les points névralgiques de conflits partout dans le monde continuent de représenter un motif d’inquiétude pour les marchés et pourraient être plus disruptifs pour les zones économiques ou pour le goût du risque dans les prochains mois. Par exemple, le blocage du fret dans la mer Rouge fait augmenter les frais de transport et pourrait raviver les problèmes de chaîne logistique et les inquiétudes sur les prix dans les prochains mois. Les inquiétudes que font peser les banques régionales américaines ont refait surface en janvier et ont lesté les rendements et le dollar US; les préoccupations qui pèsent sur l’exposition du secteur au crédit dans l’immobilier commercial pourraient perdurer. En outre, certaines élections se dérouleront (ou sont appelées à se dérouler) en 2024, et les présidentielles américaines viendront vraisemblablement faire de l’ombre aux marchés financiers vers la fin de l’année.

Le dollar canadien (CAD) et le peso mexicain (MXN) ont tous deux résisté, mieux que les autres grandes devises, au rebond du dollar US au début de 2024, même si ces deux devises ont perdu du terrain depuis le début de l’année. Au Canada, des signes évidents laissent entrevoir un ralentissement de l’économie intérieure à l’heure où le durcissement de la politique monétaire porte un dur coup. Or, les progrès accomplis pour enrayer l’inflation sont lents, et les décideurs hésitent à admettre qu’il y aura bientôt des baisses de taux. Les perspectives de « hausse pour une durée prolongée » des taux d’intérêt intérieurs ont eu pour effet de rapprocher dans la courbe les différentiels de taux d’intérêt entre les États-Unis et le Canada, et nos prévisions de taux révisés (qui laissent entrevoir des baisses de 75 points de base de la Banque du Canada [BdC] cette année, contre 100 points de base dans nos précédentes prévisions) laissent entendre que l’écart se rapprochera, entre les États-Unis et le Canada, sur les taux directeurs d’ici la fin de l’année (et en 2025). Nous ciblons une baisse de la paire USD/CAD à 1,28 d’ici la fin de 2024.

Au Mexique, les taux d’intérêt locaux élevés et la lenteur du début des baisses de taux par rapport aux prévisions des investisseurs ont continué de bien porter le MXN par rapport aux monnaies comparables de l’Alliance du Pacifique; le peso est resté bien ancré, non loin du niveau de 17 par rapport au dollar US. Les investisseurs redoutent le programme politique; toutefois, le déroulement des présidentielles américaines est aussi pertinent pour les marchés que la campagne présidentielle mexicaine, qui sera lancée officiellement le 1er mars. Nous nous attendons à ce que l’assouplissement de la politique monétaire intérieure fasse baisser un peu le MXN cette année; toutefois, le taux de change sera sensible aux commentaires probables au candidat républicain Donald Trump sur le commerce et les tarifs à l’heure où se déroule la campagne électorale américaine. Ailleurs dans la région, le peso chilien (CLP) s’illustre par son rendement lamentable. La baisse de l’inflation a permis à la banque centrale de réduire vigoureusement ses taux (de 100 points de base dans sa décision monétaire de janvier) et a amené les marchés à s’attendre à une autre baisse de taux importante (voire même plus importante) dans sa décision d’avril, même si la léthargie chronique du peso chilien peut modérer les paris sur les baisses de taux. Une baisse de taux plus modeste qu’attendu de la BanRep de la Colombie à la fin de janvier et la résilience de l’activité économique sont venues calmer la pression que fait peser, sur le peso colombien (COP), le rebond généralisé du dollar US.

Les baisses de taux pourraient se produire un peu plus tôt en Europe qu’en Amérique du Nord. Nous nous attendons à ce que la Banque d’Angleterre (BoE) et la Banque centrale européenne (BCE) abaissent les taux au T2. Cette année, la baisse totale des taux pourrait être comparable (BCE) ou légèrement supérieure (BoE) à celle de la Fed. Toutefois, les modestes gains de l’euro (EUR) et de la livre sterling (GBP) devraient toujours pouvoir se produire grâce au rebond généralisé du goût du risque mondial. Dans le même temps, la Banque du Japon (BoJ) se rapprochera prudemment de la fin de sa politique de taux d’intérêt négatifs; or, il est toujours aussi difficile de préciser le moment auquel elle recommencera à hausser ses taux. Les taux d’intérêt locaux marginalement supérieurs et la perspective d’une baisse des rendements aux États-Unis vers la fin de l’année devraient permettre, à court terme, d’endiguer les pertes du yen (JPY). Or, le rebond devra attendre une baisse plus évidente des rendements hors du Japon pour que le fardeau du JPY soit moins handicapant pour les hausses de cette monnaie.