• Freinée en octobre, la croissance a réussi à dégager un modeste gain préliminaire en novembre.
  • D’autres chocs ont déformé l’image…
  • … dont la paralysie dans la construction automobile, les effets des grèves de l’UAW et de la Voie maritime du Saint‑Laurent et les problèmes de survalorisation.
  • Les marchés s’en sont assez bien remis, et la BdC en fera autant.

 

  • PIB du Canada, évolution en % sur un mois, octobre 2023, en données désaisonnalisées :
  • Données réelles : 0,0
  • Scotia : 0,2
  • Consensus : 0,2
  • Auparavant : 0,0 (révisé par rapport à 0,1)
  • Pronostic « éclair » de novembre : +0,1 % sur un mois en données désaisonnalisées.

L’économie canadienne garde la tête hors de l’eau après avoir enchaîné une autre séquence de statistiques anémiques en octobre et novembre (graphique 1). J’ai la certitude que certains ne vont pas digérer leur sirop d’érable et vont commencer à perdre leur sang-froid. En ce qui me concerne, le fait que l’économie ne se soit pas sensiblement repliée malgré tous les déboires comme les hausses de taux ou les chocs sériels continue de relever du miracle (graphique 2). La dernière séquence de données est venue reconfirmer les chocs transitoires qui exagèrent la léthargie sous-jacente toujours substantielle de l’économie, et il en faudra plus pour apaiser la BdC. 

Graphique 1 : L'évolution mensuelle du PIB au Canada; Graphique 2 : Le PIB de l'industrie canadienne

Les marchés et leurs incidences pour la Banque du Canada

Il n’y a guère eu de réaction aux statistiques de part et d’autre de la frontière, dont le PIB canadien et le chiffre de 0,1 % sur un mois, en données désaisonnalisées, plus anémique qu’attendu, pour l’inflation fondamentale des DCM aux États‑Unis. Dans les deux pays, les rendements sur deux ans ont perdu de 1 à 2 points de base après la publication des données. Le dollar canadien s’est légèrement valorisé, sans doute parce qu’il a été davantage porté par le ralentissement généralisé du dollar US.

Il n’y a aucune incidence importante pour la BdC. Absolument aucune. Nada. Zilch. Zippo. N’insistez pas.

Le gouverneur de la BdC, Tiff Macklem, a déjà fait savoir qu’il s’attend à ce que cette léthargie perdure dans le premier semestre de 2024, ce qui veut dire qu’il l’entrevoit comme un mal nécessaire dans la détente désinflationniste de l’économie. Par extension, on peut comprendre que la léthargie devra être nettement plus aiguë que ce qu’il prévoit pour qu’il commence à s’inquiéter.

Il y a toujours aussi différents facteurs idiosyncrasiques de risque inflationniste qui débordent la capacité de s’en remettre à la croissance du PIB pour capter ce risque dans la structure-cadre du déficit de production. Son mandat consiste à ramener l’inflation sur la cible de 2 % à moyen terme, et les facteurs qui entrent en ligne de compte dans les prévisions inflationnistes sont nombreux. D’une part, les salaires surpassent nettement l’inflation et la productivité. D’autre part, l’immigration est excessive; c’est maintenant qu’on a besoin de logements, et les gouvernements demandent aux nouveaux arrivants de se contenter d’attendre de 5 à 10 ans pour qu’on puisse éventuellement construire un nombre modeste de logements si on peut attirer les travailleurs et financer les travaux. Il y a plus de volutes de fumée politique que de logements construits, et la situation ne changera pas de sitôt.

Les détails — Les chocs perdurent

L’économie canadienne n’a pas bougé en octobre malgré les pronostics de Statistique Canada, qui font état d’un taux de croissance sur un mois de 0,2 %. Il s’agit du surciblage le plus considérable de son pistage préliminaire depuis avril; or, les révisions, dans un sens comme dans l’autre, sont monnaie courante depuis que l’agence a commencé à publier, durant la pandémie, son pistage avancé (graphique 3).

Graphique 3 : L'écart entre le PIB réel effectif et le pronostic éclair de Statistique Canada

En se rappelant cette mise en garde, les prévisions préliminaires nous apprennent que le PIB de novembre a gagné 0,1 % sur un mois et qu’il y a eu beaucoup de scepticisme, en hausse comme en baisse. Il s’agit d’une estimation prévisionnelle de l’organisme, qui ne donne pas de détails, sauf pour préciser que novembre a été porté par l’activité manufacturière, le commerce de gros, les agents et courtiers immobiliers et les dépenses du gouvernement fédéral, mais que le mois a été lesté par les reculs dans les mines, le pétrole et le gaz et dans les services publics.

Le graphique 4 fait état de la répartition du PIB d’octobre par secteur et le graphique 5 en fait autant d’après l’apport pondéré à la croissance. On a relevé la grande ampleur de la léthargie des services, en hausse de 0,1 % sur un mois; toutefois, la production du secteur des biens a été anémique, alors que la moitié des 20 secteurs a progressé et que l’autre moitié a régressé.

Graphique 4 : La croissance du PIB réel d'octobre par secteur; Graphique 5 : Les apports à la croissance du PIB en octobre

Dans le commerce de détail, les mines, le pétrole et le gaz, la santé et les services sociaux, l’agriculture, l’administration publique, l’hébergement et la restauration, l’enseignement et la finance, les gains ont été essentiellement masqués par les replis de l’activité manufacturière, du commerce de gros, de l’immobilier ainsi que des services professionnels et scientifiques.

Les chocs perdurent

La léthargie du PIB d’octobre a été exagérée par les chocs sériels constants. Certains diront qu’il s’agit d’excuses : je crois toutefois qu’il s’agit d’un point essentiel. L’économie du Canada est engluée dans une frustrante séquence de chocs sériels, à commencer par les grèves qui ont été lancées au T2 et qui se sont poursuivies au T4 et en enchaînant avec la maintenance non planifiée dans le secteur pétrolier et les effets des incendies de forêt d’un océan à l’autre.

Voici ce que nous pouvons maintenant ajouter à cette liste, d’après les lignes de conduite suivantes de Statistique Canada :

  • Le secteur manufacturier a été essentiellement tiré à la baisse par l’activité du secteur des transports en raison de la léthargie dans la construction automobile, causée par deux facteurs : la mise à l’arrêt d’une importante chaîne de montage pour une opération de réoutillage, puis l’impact, en deçà de nos frontières, de la grève de l’UAW aux États‑Unis.
  • L’extraction des sables pétrolifères a perdu 2,2 % sur un mois « en raison des revirements qui ont continué de s’abattre dans certaines usines de survalorisation des sables pétrolifères ».
  • La grève des travailleurs de la Voie maritime du Saint-Laurent a percuté différents secteurs de l’économie. Statistique Canada a vilipendé cette grève, qui constitue à son avis l’un des principaux facteurs de la léthargie dans le secteur des transports et de l’entreposage.

Je ne dis pas que l’économie serait florissante si ces chocs ne s’étaient pas produits. Ce que je dis plutôt, c’est qu’il est frustrant de constater que ces bouleversements se produisent constamment et que je suis quand même d’avis que notre analyse de l’évolution de l’économie est faussée par les développements passagers qui débordent les incidences de facteurs comme le durcissement de la politique monétaire, et c’est mal servir le discours public sur la situation de l’économie de constater que tant de ces commentaires font fi de ces facteurs.

Ce qui est amusant, c’est que le Canada a déjà été témoin de périodes de chocs sériels qui ont pesé sur l’économie, par exemple sous la houlette de l’ancien gouverneur Stephen Poloz à la BdC, et pourtant, l’importance qu’on leur donnait alors est absente dans bien des commentaires exprimés aujourd’hui sur l’économie canadienne…