• La BdC a maintenu comme prévu son taux directeur à 5 %.
  • Dans sa déclaration, tout porte à croire qu’elle maintiendra son taux directeur jusqu’en octobre.
  • Elle a à peine évoqué le faux pas de janvier.
  • Les données publiées pour les États‑Unis et le Canada étaient plus intéressantes et le discours se durcit.
  • Les dirigeants politiques canadiens jouent à la roulette russe.

On s’y attendait largement : la Banque du Canada a maintenu à 5 % son taux à un Ce parti pris a amené la BdC à maintenir son taux directeur conformément aux attentes : elle fait simplement preuve d’attentisme dans sa prochaine décision et devrait publier un compte rendu prévisionnel complet le 26 octobre 2023.

Il n’y a presque rien à perdre en ne bougeant pas maintenant et il pourrait y avoir beaucoup à gagner en déposant le mois prochain un compte rendu plus complet, puisqu’on disposera alors de plus d’information probante. J’espère que c’est ce qu’elle prévoit d’une manière ou d’une autre; or, je crains que la BdC réagisse une fois de plus inconsidérément à ce qui constitue bien évidemment un passage à vide distorsionné de l’économie, qui pourrait avoir un effet de boomerang sur elle. Je ne crois pas que l’intervention politique soit responsable de cette dernière position vacillante; je m’inquiète toutefois des points de vue des dirigeants politiques qui n’ont pas de compétences dans la politique monétaire, mais qui fustigent hypocritement la banque centrale pour hausser les taux quand une partie de la décision consiste plutôt à masquer les folles dépenses des gouvernements de tout acabit.

Ce qui a compliqué la réaction des marchés, c’est la publication simultanée de données haussières sur les services ISM aux États‑Unis : ces données font état de l’accélération du secteur des services et d’intentions de recrutement plus fermes, ainsi que de pressions plus fortes sur les prix. Le dollar CA a donc fléchi par rapport au dollar US, qui a pu compter sur le coup de pouce des statistiques, et les rendements des obligations du gouvernement du Canada à plus court terme ont gagné quelques points de base. Honnêtement, les statistiques américaines qui laissent entrevoir le risque haussier de l’économie externe la plus importante pour la Banque du Canada étaient plus intéressantes que la déclaration publiée. Il en va de même des statistiques canadiennes, publiées avant la déclaration de la BdC.

LE PARTI PRIS

Nous invitons le lecteur à consulter la déclaration reproduite à la fin de cette note. Il faut surtout consulter le paragraphe de conclusion, dans lequel elle justifie son maintien.

Dans le paragraphe de la déclaration précédente du 12 juillet, la Banque affirme qu’elle a haussé les taux « [s]ur la base de l’accumulation de données montrant que la demande excédentaire et l’inflation fondamentale élevée sont plus persistantes que prévu… ». Dans la déclaration d’aujourd’hui, elle affirme qu’« [é]tant donné les signes récents montrant que la demande excédentaire diminue dans l’économie, et comme les effets de la politique monétaire se font sentir avec un décalage… ». On peut en quelque sorte dire que c’est l’épiphanie dans quelques semaines et que jusqu’à maintenant, le discours s’est calmé à la limite. J’espère toutefois qu’elle ne remâchera pas ses mots éventuellement dans une reprise des effets de janvier (comme nous le verrons plus loin dans cette note).

Dans ce même paragraphe, elle enchaîne en affirmant qu’on est « prêt à augmenter de nouveau le taux directeur si nécessaire », puisque le Conseil de direction « reste préoccupé par la persistance des pressions inflationnistes sous-jacentes ». À la limite, le discours est toujours aussi dur. Et c’est ce qu’il faut qu’il soit. Il n’empêche qu’elle n’a probablement pas d’autre choix que de tenir ce discours puisque dès qu’elle laisse tomber, les acteurs du marché basculent leurs positions, en misant sur le court terme et en commençant à réanticiper prématurément des baisses de taux dans l’ensemble.

Dans la dernière phrase de ce paragraphe, elle répète qu’elle suit notamment « l’évolution de la demande excédentaire, les attentes d’inflation, la croissance des salaires et les pratiques de fixation des prix des entreprises ». Pourtant, elle vient juste de dire que ce ne sont pas les pratiques de fixation des prix des entreprises qui portent l’inflation. (Veuillez cliquer sur ce lien.) Je suppose qu’elle serait la première à ignorer les travaux de recherche de son personnel.

LA LUTTE CONTRE L’INFLATION EST LOIN D’ÊTRE GAGNÉE

Le discours inflationniste s’est durci sans aucune ambiguïté. Les pressions inflationnistes « demeurent généralisées ». La Banque s’attend à une hausse de l’inflation à court terme en raison des prix de l’essence; or, ce qui compte, c’est l’inflation fondamentale, et non les prix de l’essence.

Pour ce qui est de l’inflation fondamentale, la Banque a attiré l’attention sur la moyenne mobile de trois mois de l’IPC à moyenne tronqué et à médiane pondérée, qui se chiffre à 3,5 % en rythme désaisonnalisé et annualisé. Le même indicateur, quand il n’est pas lissé, s’établissait à 4,2 % en juillet, ce qui multiplie les pressions à la limite par rapport à l’indicateur lissé. Elle a aussi affirmé qu’« il n’y a presque pas eu de mouvement à la baisse de l’inflation sous-jacente récemment » tout en lançant une mise en garde sur les dangers des pressions inflationnistes chroniques. Et non, ces indicateurs fondamentaux ne sont pas portés par les intérêts hypothécaires, qui ne sont même pas compris dans ces chiffres.

Faut-il demander à tout le monde de bien vouloir se souvenir que le seul travail de la BdC consiste à maintenir durablement l’inflation sur sa cible de 2 %, sur un horizon à moyen terme raisonnable. Elle n’a pas réussi à le faire jusqu’à maintenant. Il y a plusieurs facteurs porteurs de l’inflation, au-delà de la demande excédentaire, dans un monde dans lequel les pressions structurelles sur l’inflation restent probablement dans un état très balbutiant de leur développement.

LES EFFETS TRANSITOIRES PAR RAPPORT AUX EFFETS DE CONJONCTURE FAVORABLE DANS L’ÉCONOMIE CANADIENNE

La BdC a maintenu son taux directeur sur la base de son interprétation des données récentes; or, elle paraît en somme trop persuadée que l’économie canadienne soit effectivement « entrée dans une période de plus faible croissance ». Est-ce à nouveau la même rengaine?

Proverbialement, elle affirme que le PIB du T2 fait état d’« une baisse marquée de la croissance de la consommation et [d’]un recul de l’activité dans le secteur du logement ». Ce qui n’est pas clair, c’est ce qu’elle pense des facteurs explicatifs et de la durabilité de ce fléchissement. Je crois qu’une partie de l’explication remonte à l’acquis qui s’est transposé sur le T1, et par conséquent, il faudrait lisser la croissance volatile supérieure à la tendance, en plus des chocs transitoires comme l’offre de produits déficitaire durant le T2, les incendies de forêt, la météo durant le mois historiquement humide de juillet, ainsi que les grèves. Au T1, la consommation a progressé de 4,7 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé, et par conséquent, la léthargie du T2 ne devrait guère étonner la BdC. Cette dernière ne devrait pas basculer pour passer du plus bas au plus haut pour tout balayer dans la même année, au lieu de garder une main plus ferme sur le gouvernail. Le parti pris haussier témoigne de cette fermeté; or, il faudra attendre la publication des statistiques et la nouvelle réaction de la BdC.

Toujours proverbialement, elle a évoqué la léthargie de la croissance, portée par « les répercussions des feux de forêt dans de nombreuses régions du pays ». Elle n’a toutefois pas parlé des autres chocs, comme les effets disruptifs des grèves et de la météo. Et pourtant… Il n’en a pas été question. Elle voulait sans doute rester politiquement neutre devant les syndicats de travailleurs et ainsi éviter de pointer du doigt les travailleurs en grève. Or, si cette omission correspond vraiment à ce que pense la BdC, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’une saine application des principes de l’économie.

La vulnérabilité aux perspectives de la BdC pourrait prendre la forme d’un rebond de l’activité lorsque les chocs transitoires se dissiperont et se confirmeront par rapport à tous les autres signes confirmant que l’économie américaine continue d’inscrire une solide performance, comme je l’ai déjà fait valoir.

UNE ÉVALUATION INTERNATIONALE NUANCÉE

La déclaration confirme la léthargie de l’économie chinoise et précise que « les perspectives de croissance en Chine ont diminué ». C’est probablement ce qui se produit. Or, nous surveillons les efforts de relance en temps réel, sur un marché dans lequel de nombreuses mauvaises nouvelles sont actualisées dans les marchés financiers de la Chine. Pourtant, ce qui est plus important pour le Canada, c’est que dans l’économie américaine, « la croissance a été plus forte que prévu, tirée par les robustes dépenses de consommation ». On ne gagnera pas de prix pour deviner quelle économie est la plus importante pour le Canada.

Il faut noter l’ironie ici, puisqu’au moment même où la BdC a publié sa déclaration, les statistiques du secteur des services aux États‑Unis, qui expliquent les parts dominantes des dépenses de consommation américaines et plus de la moitié du PIB, ont contre toute attente évolué à la hausse. Les services ISM ont gagné 1,8 point pour s’inscrire à 54,5, ce qui est encore supérieur au seuil de 50 qui établit la démarcation entre la contraction et l’expansion. Les prix payés ont bondi de 2,1 points à 58,9 et l’emploi a crû de 4 points à 54,7. Les services ISM ont contredit la détérioration de l’indice PMI mondial des services S&P, qui a glissé à 50,2 en raison d’une révision légèrement négative pour le même mois d’août. Il faut se souvenir que l’ISM capte les services de l’économie intérieure, alors que les baromètres S&P font état des opérations mondiales des entreprises de services américaines.

QUE DIRE DE TIFF MACKLEM?

Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada, prendra la parole demain à 14 h 10 (HE), devant la Chambre de commerce de Calgary pour présenter l’habituel rapport sur la situation économique, qui s’inscrit dans la foulée des décisions distinctes du RPM. Son discours sera prêt à 13 h 55 (HE). Il animera ensuite une conférence de presse, à 15 h 30 (HE).

Je me serais attendu à ce qu’il débite la liste des chiffres sur l’inflation comme sur les salaires, la productivité et les attentes inflationnistes, qui indiquent bien que la lutte n’est pas encore terminée. Un autre piteux rapport sur la productivité pour le T2 a été publié juste avant la décision (voir plus loin), ce qui prolonge la longue séquence de ces rapports. Je me serais aussi attendu à ce qu’il répète que la BdC progresse dans la réalisation de sa cible inflationniste, mais qu’elle croit toujours que pour atteindre durablement cette cible de 2 %, il faudra attendre jusqu’en 2025.

Il serait toutefois essentiel qu’il étoffe son interprétation du passage à vide, durant l’été, de la croissance du PIB canadien. Quels ont été les effets transitoires et quels sont les signes qui télégraphient essentiellement le fléchissement durable des effets de conjoncture favorable? Quelle est l’importance du décalage temporaire? Il pourrait paraître circonspect en se gardant de hausser le taux directeur et en affirmant simplement que la BdC surveillera attentivement les données et exprimera encore un parti pris pour la hausse des taux. Il s’agirait d’une amélioration sur janvier, pour autant que Tiff Macklem ne s’engage pas sur une période de maintien des taux sur plusieurs réunions qui aurait pour effet d’éliminer le parti pris des marchés toujours aussi prévalent pour l’anticipation d’une hausse.

Je crois qu’à la limite, le risque veut que la BdC reprenne ce qu’elle a fait en janvier en baissant la garde après la léthargie du T4 et en adoptant une pause qui s’étend à plusieurs réunions en attendant le rebond du risque pour la croissance et l’inflation. Il faut aussi qu’il se prépare à accorder sa politique avec la générosité des dépenses du gouvernement fédéral et des provinces s’il fallait que l’État reprenne ses mauvaises habitudes dans un autre cycle de déclarations durant l’automne ou de budgets en hiver et au printemps. Dans ce cas, il faut attendre à un crêpage de chignon encore plus féroce avec les dirigeants politiques de toutes les allégeances, qui portent une partie de l’inflation qui a nui aux niveaux de vie, surtout pour les cohortes des revenus de la classe inférieure et de la classe moyenne.

CE QUE NOUS ONT APPRIS LES DONNÉES POUR LE CANADA

La productivité des travailleurs canadiens est encore une fois freinée. Au T2, la production par heure de travail a cédé encore 0,6 % sur un trimestre en chiffres non annualisés. C’est un dixième de moins que ce que j’avais estimé. Il s’agit de la cinquième baisse trimestrielle d’affilée dans un indicateur qui se replie tous les trimestres depuis le T3 de 2020, sauf un trimestre, soit le T1 de 2022, au cours duquel l’indicateur n’a pas bougé (graphique 1). Les travailleurs canadiens sont donc payés plus cher pour produire moins, ce qui est une piètre combinaison pour le risque inflationniste.

Graphique 1 : La croissance de la productivité de la main-d'œuvre canadienne

Pour renchérir sur ce point, le Canada a comptabilisé le gain le plus important dans les coûts unitaires de main-d’œuvre depuis le T1 de 2022. Ces coûts ont augmenté de 2,1 % sur un trimestre, en données désaisonnalisées non annualisées. C’est un autre coup dur pour la compétitivité canadienne, qui permet de mesurer les coûts de l’emploi corrigés de la productivité. Les coûts unitaires de la main‑d’œuvre ont commencé à s’accélérer après 2017; toutefois, l’accélération la plus forte s’est produite pendant la pandémie et empire au moment d’écrire ces lignes (graphique 2). Les coûts unitaires de main‑d’œuvre ont augmenté de plus de 30 % depuis 2017, et les deux tiers environ de cette détérioration se sont produits durant la pandémie. Cette détérioration pénalisera le Canada surtout par rapport aux bénéficiaires de la délocalisation de proximité comme le Mexique, qui ont géré beaucoup plus efficacement ces coûts unitaires.

Graphique 2 : Canada : Coûts unitaires de la main-d’œuvre

Le Canada a aussi actualisé pour juillet les chiffres de sa balance commerciale, qui se rapportent directement aux effets transitoires, en faisant une autre mise en garde pour inviter la BdC à ne pas trop donner d’importance au passage à vide de la période estivale. Ce que les chiffres sur la balance commerciale nous disent, c’est surtout que ce passage à vide estival de l’économie canadienne a été porté par d’énormes distorsions transitoires comme les effets des incendies de forêt et les grèves. Statistique Canada a signalé que les importations qui sont sorties des ports maritimes de la Colombie‑Britannique ont plongé de 18,5 % sur un mois en chiffres non désaisonnalisés, ce qui représente, de juin à juillet, la baisse la plus vertigineuse depuis 2005. Les exportations destinées aux ports maritimes de la Colombie‑Britannique ont dégringolé de 23 % sur un mois pour s’inscrire à leur plus creux depuis février 2020. Ces effets rendent compte, dans un cas comme dans l’autre, des incidences de la grève dans les ports de la Colombie‑Britannique.

Il y a eu aussi d’autres incidences. En somme, le volume des importations a perdu 4,3 % sur un mois en données désaisonnalisées, et le volume des exportations a baissé de 0,2 % sur un mois. La grève dans les ports de la Colombie‑Britannique explique probablement ces effets, et il faudrait donc passer outre. Voici ce qu’a déclaré Statistique Canada à propos des exportations :

« Bien que les répercussions de la grève dans les ports maritimes de la Colombie-Britannique aient été évidentes dans les exportations de certains produits, les baisses attribuables à la grève ont été plus que compensées par les augmentations affichées pour les produits moins touchés par cet événement. »

Les statistiques cahoteuses sur les exportations d’aéronefs ont brusquement augmenté, tout autant que les produits agricoles.

Pour ce qui est des importations, la distorsion supplémentaire s’explique par les produits en métal et les produits minéraux non métalliques, qui ont reculé de 25,3 % sur un mois en données désaisonnalisées. Statistique Canada l’a expliqué essentiellement par la baisse des transferts d’or entre les institutions financières, ce qui n’a rien à voir avec l’économie.

IL NE FAUDRAIT PAS BAISSER LA GARDE DANS L’INGÉRENCE POLITIQUE

Chrystia Freeland, la ministre des Finances du Canada, a inexplicablement publié cette déclaration après la publication de la décision, en se faisant entendre après les premiers ministres des provinces qui ont vertement tancé la BdC dernièrement. C’est un précédent à la fois inutile et rare. J’ai bon espoir que le Conseil de direction de la BdC fera le nécessaire; or, ce point de vue — surtout devant un auditoire international qui finance l’essentiel des marchés de capitaux ouverts du Canada et qui est sur un pied d’alerte augmenté vis‑à‑vis de l’ingérence politique mondiale — donne l’impression que les risques d’ingérence politique influent sur les décisions de la BdC. Si on se rappelle l’histoire de la BdC à l’époque de Jim Crow, on pourrait supposer inconsidérément que les dirigeants politiques ont la main mise sur la BdC. Il n’empêche que la conclusion sur les efforts à consacrer « pour veiller à ce que les taux d’intérêt puissent diminuer le plus rapidement possible » n’est pas du ressort de la ministre des Finances. Par contre, réduire les dépenses pour réduire l’inflation dont sont en partie responsables le gouvernement fédéral et les provinces relèverait de sa compétence!

Comparaison des déclarations du Banque du Canada