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La Banque du Canada a annoncé une hausse des taux d’intérêt, après les avoir maintenus inchangés en janvier. Jean-François Perrault, économiste en chef de la Banque Scotia, explique les raisons pour lesquelles les taux sont en hausse, décrit comment la situation en Ukraine influe sur la décision de la banque centrale et explique pourquoi cette hausse ne freinera pas l’inflation... pour le moment (Disponible en anglais seulement).

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Transcription

Stephen Meurice : Je m’appelle Stephen Meurice. Bienvenue à Perspectives.

Aujourd’hui, la Banque du Canada a finalement haussé ses taux d’intérêt directeurs d’un quart de point de pourcentage. La plupart des économistes s’y attendaient. Nous avons donc réinvité Jean François Perrault, économiste en chef de la Banque Scotia, pour nous expliquer ce que veut dire une hausse de taux d’intérêt pour les Canadiens et pour l’économie. Allons y.

Jean François, je vous remercie, comme toujours, de participer à cette baladodiffusion. C’est la troisième fois que vous le faites en l’espace d’environ un mois. Félicitations de ce tour du chapeau!

Jean François Perrault : [rires] Eh bien, merci!

SM : Nous sommes donc dans l’avant midi du 2 mars 2022, quelques heures à peine après la publication du communiqué de la Banque du Canada. Commençons par parler du contexte. Il y a bien entendu l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Aussi, l’inflation n’a pas été aussi forte depuis une trentaine d’années. Les chiffres publiés cette semaine pour le PIB sont satisfaisants. Les prix du pétrole sont élevés : si c’est une mauvaise nouvelle à la pompe, c’est une bonne nouvelle pour un pays producteur de pétrole comme le Canada.

Comment pensez vous que la Banque du Canada a pondéré tous ces facteurs pour prendre la décision qu’elle a annoncée aujourd’hui?

JFP : Écoutez : les facteurs dont vous venez de parler sont tous plutôt affolants, à mon avis, pour la Banque du Canada, puisqu’ils ont porté l’inflation au delà de sa fourchette cible. Comme vous le savez, le quatrième trimestre s’est soldé par une solide croissance, plus vigoureuse que ce que nous avions prévu. Elle est même supérieure à ce qu’avait prévu la Banque du Canada. Selon les indications de janvier, la croissance est aussi plus forte que ce que nous avions pensé. L’inflation, surtout, est en train de s’emballer. Il va de soi que la situation en Ukraine est un énorme enjeu géopolitique, qui crée de l’incertitude et qui provoque la volatilité des marchés financiers; or, cette situation donne aussi lieu à une hausse considérable des prix des produits de base, surtout le pétrole. Ces hausses nous apportent des avantages, mais créent aussi beaucoup plus d’inflation. Tous ces facteurs amènent donc la Banque du Canada à penser que l’inflation sera plus forte que ce qu’elle avait cru au début. 

SM : J’aurais pensé qu’une crise géopolitique comme celle qui se déroule en Ukraine, comme vous l’avez dit, causerait de l’incertitude et provoquerait la volatilité des marchés, entre autres, en plus de ralentir éventuellement la croissance économique mondiale. Or, comme vous l’avez dit, elle fait aussi monter les prix des produits de base. Ces facteurs viennent ils donc en quelque sorte s’annuler, ou la crise en Ukraine est-elle plus un risque d’inflation qu’un risque de ralentissement de l’économie mondiale?

JFP : Effectivement, il faut se rappeler plusieurs facteurs à cet égard, et les pays ne réagissent pas tous de la même manière à la crise en Ukraine. Ainsi, pour les pays qui importent des produits de base, c’est évidemment une mauvaise nouvelle pour eux, n’est ce pas? En effet, ils doivent payer plus cher les produits de base qu’ils achètent, et l’incertitude a toujours un impact mondial. Si vous avez des échanges commerciaux avec la Russie, la situation se répercute évidemment sur le commerce. Le Canada est suffisamment loin du conflit même, et nous sommes un producteur suffisamment important de denrées de base pour que l’équation soit légèrement différente. Le choc de la hausse des prix des produits de base pourrait l’emporter sur l’impact de l’incertitude et sur tous les autres types d’enjeux liés au commerce qui découlent de la crise en Ukraine. Il va de soi que la croissance mondiale sera un moindre enjeu pour cette raison, ce qui ne veut toutefois pas nécessairement dire que la croissance de l’économie canadienne sera par le fait même ralentie.

SM : Très bien. Donc, l’objectif de la hausse des taux est donc évidemment de tâcher d’enrayer l’inflation, qui se répercute partout sur les consommateurs, dans les supermarchés comme dans les stations-service. Quel impact cette hausse aura t elle sur la flambée des prix? Quand pensez vous qu’on pourrait s’attendre à un certain répit?

JFP : Il faudra attendre un peu. C’est la première hausse des taux de la Banque du Canada depuis un certain temps. Nous pensons qu’il y aura encore beaucoup d’autres hausses de taux. Or, il faut compter un certain temps entre la hausse des taux d’intérêt et leur impact sur l’inflation en définitive. En fait, il faut compter environ 18 à 24 mois. On est donc du début du cycle. Au fil du temps, cette hausse aura un impact sur la maîtrise et la baisse de l’inflation. Mais pour l’instant, l’inflation est en quelque sorte sur le pilote automatique, pourrait on dire. Nous sommes les otages des décisions qui ont été prises auparavant et de la conjoncture mondiale. Tout indique qu’à court terme, l’inflation est probablement appelée à monter plutôt qu’à baisser.

SM : Très bien. Il n’y aura donc pas de répit à court terme sous cet angle. Quelles sont les répercussions économiques ou les incidences de la hausse des taux sur le portefeuille des ménages? L’inflation se répercute sur les ménages d’une part, mais certaines personnes seront frappées de plein fouet par la hausse des taux également. Quel est l’impact de la hausse sur les consommateurs?

JFP : Évidemment, quand la Banque du Canada hausse les taux d’intérêt, elle le fait pour ralentir le rythme de la croissance économique. Et c'est ce qui se produit habituellement, puisque les ménages sont forcés à moins dépenser pour consacrer plus de fonds à leurs emprunts hypothécaires et à leurs prêts automobiles, qui coûtent plus cher. Donc, quand les taux augmentent encore, le poids de la hausse des taux d’intérêt sur les finances des ménages aura un impact sur la consommation, sur le logement et sur toutes sortes de produits et de services. C’est le mécanisme selon lequel les taux d’intérêt se répercutent généralement sur l’économie. La hausse viendra donc gruger les budgets des ménages. C’est indiscutable. C’est la raison pour laquelle la Banque hausse les taux. À notre avis, ce choc ne sera pas trop dramatique. En effet, les bilans des ménages sont très solides. Le marché du travail est lui aussi très vigoureux. La reprise est très forte. Nous effleurons à peine le problème, comme vous le savez : la croissance se ralentit par rapport à un scénario de base plutôt optimiste.

SM : Y a t il aussi des répercussions réelles positives? Y a t il des avantages pour les consommateurs ou peut être pour les investisseurs quand les taux d’intérêt augmentent?

JFP : Absolument. Si vous avez des dépôts et que vous vous en remettez à des investissements dans les titres à revenus fixes, en règle générale, vous allez profiter de la hausse des taux d’intérêt, puisque ces placements vous rapporteront davantage. La hausse de l’inflation va donc compenser un peu. Mais si on hausse les taux d’intérêt, c’est surtout pour ralentir la consommation.

SM : Le marché du logement est en surchauffe et continue de l’être. Le printemps est à nos portes. La hausse des taux d’intérêt est d’un quart de point. Mais permet elle en quelque sorte de calmer les ardeurs du marché du logement?

JFP : Il faut l’espérer. Or, il y a en quelque sorte une dynamique contradictoire dans ce cas. Il y a d’abord la première hausse des taux d’intérêt. Il n’est pas impensable que des ménages se précipitent à court terme sur le marché pour tâcher de déjouer les nouvelles hausses de taux qui sont plutôt fortement attendues. Il est possible qu’à court terme, la situation devienne encore un peu plus difficile sur le marché du logement. Il faut aussi tenir compte de l’évolution du conflit en Ukraine, sans oublier l’impact sur l’inflation. La guerre a eu pour conséquence de provoquer une ruée plutôt importante sur les valeurs refuges. C’est pourquoi des investisseurs d’envergure mondiaux thésaurisent le dollar US et les bons du Trésor américain. C’est pourquoi aussi on constate une réduction assez considérable du rendement sur les obligations d’État à 5 ans au Canada et aux États Unis. Cette baisse est de l’ordre de 30 à 40 points de base. Et si les taux d’intérêt à court terme augmentent, les taux d’intérêt à plus long terme ont des répercussions sur le financement du crédit hypothécaire à 5 ans dans la dernière semaine ou dans les derniers jours. À court terme, les effets se compensent en quelque sorte. Tout évolue évidemment en fonction du déroulement du conflit en Ukraine. Il faut se demander si la conjoncture financière sera plus stable et si les inquiétudes financières se multiplieront. Mais pour l’instant, il faut se dire que les effets se compensent un peu : les taux d’intérêt à court terme augmentent et les taux d’intérêt à long terme baissent.

SM : Vous êtes de ceux qui ont invité la Banque du Canada à augmenter les taux, en espérant même qu’elle le fasse plus rapidement. Mais puisqu’elle l’a fait aujourd’hui, pensez vous que c’était ce qu’il fallait faire? Quel en sera l’impact, à votre avis, dans les prochains mois?

JFP : Et bien, si on essaie de lire les feuilles de thé de la Banque du Canada et d’interpréter sa déclaration, il est assez évident qu’elle s’inquiète beaucoup plus des perspectives inflationnistes que dans sa dernière déclaration. Par conséquent, nous sommes plus optimistes que nous l’avons été dans la prévision des taux : il faut s’attendre à une série de hausses de taux assez ambitieuse durant l’année. En particulier, nous croyons que les taux augmenteront de 50 points de base en avril. C’est pourquoi nous sommes attentifs à la déclaration, à l’évolution de l’inflation et des prix des produits de base, et à nos yeux, tout laisse entendre, peut être encore plus maintenant, que la prochaine hausse sera de 50 points de base au lieu de 25 points de base. Il faut donc s’attendre à une accélération du rythme du durcissement de la politique monétaire à court terme.

SM : Très bien. Voici ma dernière question : à la fin de l’année, quel sera le taux d’intérêt?

JFP : Nous pensons qu’à la fin de l’année, le taux directeur de la Banque du Canada sera de 2 %; après la hausse de cet avant midi, il s’établit actuellement à 0,5 %.

SM : Merci encore d’avoir répondu à notre invitation, J.F. Nous apprécions toujours le temps que vous consacrez à nous donner des explications.

JFP : Je vous en prie, Steve.

SM : Nous venons de parler à Jean François Perrault, économiste en chef à la Banque Scotia.