• Nous continuons de croire qu’une légère récession est probable au Canada à partie du T2, même si les indicateurs économiques restent assez bien orientés. Nous ne prévoyons qu’une modeste hausse du chômage cette année en raison de la vigueur constatée sur les marchés du travail depuis le début de l’année et des indications claires que les pénuries de main‑d’œuvre continuent de représenter un grand motif d’inquiétude pour les employeurs canadiens.
  • En avril, les baromètres de base de l’inflation fondamentale ont augmenté sur un mois, ce qui nous a amenés à réviser à la hausse nos prévisions de l’inflation fondamentale malgré la baisse des cours du pétrole. Nous nous attendons aujourd’hui à ce que les baromètres de base de l’inflation s’établissent à une moyenne de 3,9 % cette année. Nos prévisions sur l’inflation totale n’ont essentiellement pas bougé et sont stables par rapport aux dernières prévisions. Ceci dit, nos prévisions inflationnistes sont supérieures à celles de la Banque du Canada depuis assez longtemps.
  • La flambée de l’inflation et surtout peut‑être l’emballement de l’activité du marché du logement et les marchés de l’emploi toujours aussi vigoureux laissent entendre que les risques qui pèsent sur les pronostics inflationnistes de la Banque du Canada basculent à la hausse, comme nous le faisons valoir depuis longtemps. Puisque l’inflation baisse peu à peu depuis de début de l’année, les risques sur le pronostic inflationniste étaient gérables selon les paramètres actuels du taux directeur.
  • Puisque l’inflation fondamentale augmente (pour un mois seulement, faut‑il le reconnaître), nous croyons que la Banque du Canada n’a plus le luxe d’attendre de savoir comment évoluera le bilan des risques inflationnistes dans les prochains mois. C’est pourquoi nous pensons aujourd’hui qu’il faudra hausser le taux directeur de 25 points de base à la réunion de juin. Le gouverneur Tiff Macklem devrait laisser la porte grande ouverte à d’autres hausses dans l’éventualité où il faudrait relever encore le taux. Nous continuons de nous attendre à ce que le taux directeur soit abaissé au début de l’an prochain et nous n’entrevoyons guère la possibilité d’une baisse cette année.
  • En somme, cette hausse constitue dans le meilleur des cas une protection contre l’inflation. Notre modèle n’indique pas s’il faut hausser les taux malgré le choc inflationniste d’avril et d’autres faits nouveaux.

Nous continuons de penser que le Canada connaîtra une légère récession au deuxième et au troisième trimestres, même si ce ralentissement, s’il se produit, se caractérise au mieux par un freinage de l’activité économique. Certains indices nous apprennent que l’activité économique se modère, même si les statistiques restent avares d’information. Statistique Canada fait observer que selon ses estimations, l’activité économique réelle a plongé en mars et que le trimestre pourrait éventuellement se solder par une baisse. Tout indique aussi que la conjoncture économique locale en temps réel s’est modérée en avril, ce qui vient encore confirmer un affaissement de la demande. De plus, les cours du pétrole sont nettement moindres qu’attendu, ce qui a des répercussions sur l’économie et sur l’inflation. Les feux de forêt qui ravagent l’Alberta viennent encore peser sur la conjoncture du deuxième trimestre; or, ce poids est probablement temporaire et s’inversera lorsque la situation redeviendra normale. Ces faits nouveaux contrastent avec la vive amélioration des ventes de logements en avril, malgré les très faibles inscriptions, ainsi qu’avec le marché du travail toujours aussi vigoureux, qui a permis de constater une croissance assez vigoureuse des heures de travail. De surcroît, la croissance de la population a atteint un sommet sur 50 ans d’après les estimations démographiques de l’Enquête sur la population active, qui viennent étoffer la croissance statistique de la population observée l’an dernier. Dans l’ensemble, les chiffres laissent entendre que l’activité économique est appelée à connaître une baisse modérée au deuxième trimestre, après avoir démarré l’année en trombe.

L’inflation reste trop élevée et les résultats de l’inflation pour avril montrent que les baromètres de base de l’inflation s’accélèrent par rapport à des niveaux qui étaient toujours inconfortablement élevés. Si un mois ne dessine vraiment pas une tendance, il est trop tôt pour affirmer catégoriquement qu’il s’agit d’une évolution inquiétante de la dynamique de l’inflation. Notre modèle pointe toujours une baisse graduelle de l’inflation d’ici la fin de l’année, même si la surprise d’avril nous amène à hausser nos prévisions de l’inflation fondamentale à 3,9 % pour 2023 et à 2,3 % pour 2024. Les chiffres d’avril viennent toutefois renforcer encore les risques asymétriques du profil inflationniste de la Banque du Canada. Les conséquences du surciblage de l’inflation par rapport aux prévisions ou aux attentes de la Banque du Canada sont beaucoup plus importantes que les mauvaises surprises de l’inflation (qui seraient très bienvenues). De ce point de vue, les résultats d’avril sont inquiétants, puisque les prévisions de la BdC pour l’inflation sont nettement inférieures aux nôtres sur quelques trimestres, ce qui laisse aujourd’hui entendre que la BdC pourrait être obligée de hausser appréciablement ses propres prévisions.

Les chiffres de l’inflation d’avril ne justifient pas, en soi et par eux‑mêmes, une hausse des taux directeurs. Notre modèle, qui réussit très bien à prévoir l’inflation et les taux d’intérêt, laisse entendre que les taux devraient rester à leur niveau actuel. Si l’économie évolue selon nos prévisions, il n’est pas nécessaire de décréter de nouvelles hausses de taux. Ceci dit, les conséquences de la hausse ou de la baisse de l’inflation sont asymétriques. La Banque du Canada ne peut pas tolérer un creusement de la divergence de l’inflation par rapport à sa cible de 2 %.

Les récentes données laissent entrevoir une accumulation des risques pour les pronostics inflationnistes de la BdC. Il s’agit de toute évidence des chiffres inflationnistes d’avril, qui suivent toutefois d’autres données dont l’impact est retentissant :

  • Les données d’avril sur le logement sont problématiques pour la Banque du Canada. Le marché du logement a pesé sur l’économie pour une grande partie de l’année écoulée, comme il fallait s’y attendre d’après l’évolution de la politique monétaire. En raison d’une inversion du marché à l’heure actuelle, déclenchée par la stabilité du taux directeur, de la baisse des coûts du crédit à plus long terme dans la foulée de la faillite de la SVB et de la demande refoulée évidente sur le marché du logement, les prix des logements se mettent à remonter, et le logement est appelé à muscler la croissance à terme. Nous en avons fait état dans nos prévisions actuelles; toutefois, la BdC pourrait freiner cette activité en relevant marginalement les taux.
  • Le marché du travail reste remarquablement vigoureux. Il y a des décalages bien documentés entre l’activité économique et les résultats du marché du travail; toutefois, la vigueur de l’emploi cette année est stupéfiante. Les employeurs canadiens ont déjà embauché depuis le début de l’année près de 250 000 travailleurs, et le plus récent Baromètre des affaires de la FCEI continue d’indiquer que les petites et moyennes entreprises croient que les pénuries de travailleurs sont les obstacles les plus critiques à surmonter dans la hausse des chiffres d’affaires ou de la production. Près d’un quart des entreprises s’attendent à recruter davantage en avril, alors que seulement 14 % prévoient un délestage de main‑d’œuvre — ce qui correspond au niveau le plus creux depuis mai 2022.
  • Comme l’a noté Derek Holt, certains autres risques potentiels de hausse des pronostics inflationnistes méritent d’être étudiés par la BdC.

Il y a bien entendu d’importants risques baissiers de l’inflation. Les plus importants se rapportent aux points de vue exprimés sur la production potentielle. La croissance record de la population pourrait laisser entendre que l’on sous‑estime, à l’heure actuelle, la production potentielle, même si la productivité est en fait à la baisse. Le plongeon des cours du pétrole pourrait aussi nourrir plus significativement, à mesure que l’année avance, les baromètres non fondamentaux de l’inflation. Et si la croissance de l’emploi a dépassé les attentes jusqu’à maintenant, il se peut qu’il y ait un rajustement plus important qu’escompté à la baisse alors que l’économie se ralentit. Dans nos prévisions, nous supposons que le taux de chômage augmentera légèrement, du point de vue statistique, cette année, pour passer de son niveau actuel de 5,0 % à 5,7 % à la fin de l’année. De plus, il est encore trop tôt pour avoir l’assurance que les problèmes bancaires aux États‑Unis resteront aussi anodins qu’ils l’ont été jusqu’à maintenant. Un certain repli du crédit est toujours probable.

Nous pensons que la BdC doit pondérer plus fortement que ce qui a été justifié, depuis qu’elle a annoncé la pause, les risques haussiers potentiels des pronostics inflationnistes. À nos yeux, il faut adopter une approche plus circonspecte dans la gestion de l’inflation, et il faut relever de 25 points de base encore le taux directeur à la réunion de juin. À nouveau, nous affirmons que nos perspectives actuelles pour l’économie et l’inflation ne laissent pas entendre, en soi et par elles‑mêmes, qu’il faut encore hausser les taux. Toutefois, la multiplication des risques haussiers pour les perspectives inflationnistes, dont la plupart sont déjà intégrés dans nos prévisions inflationnistes révisées à la hausse, laisse entendre que la BdC doit décocher une autre flèche de l’arc économique. La BdC n’a plus le luxe d’attendre pour savoir si ces risques se matérialiseront ou non compte tenu des coûts disproportionnés d’une autre déviation de la cible. La question, pour le gouverneur Tiff Macklem et ses collègues, est de savoir non pas s’il faut hausser les prévisions inflationnistes, mais plutôt de combien il faut le faire. Nous continuons de croire que la BdC n’abaissera pas son taux directeur cette année et qu’elle mènera une série graduelle de baisses au début de 2024.

Nous n’entrevoyons pas de changement, à l’heure actuelle, dans nos points de vue sur les taux directeurs américains. Nous continuons de penser que le taux cible des fonds fédéraux s’établit à son taux terminal, même si les risques sont de toute évidence orientés à la hausse. Nous continuons de prévoir une modeste récession aux États‑Unis cette année; toutefois, nous avons repoussé cette récession au T3 et au T4, alors que nous étions d’avis qu’elle se produirait plutôt au T2 et au T3. Les statistiques économiques ne semblent pas laisser entendre qu’une baisse du PIB est de mise pour le T2 à l’heure actuelle, même si l’on constate un ralentissement des dépenses de consommation dans les dernières semaines. La récession décalée, de pair avec un meilleur début d’année que prévu, permet de croire à une année 2023 légèrement plus vigoureuse que prévu auparavant et à une léthargie en 2024. Nous supposons que le problème du plafonnement de la dette américaine sera réglé, et nous n’avons pas intégré, dans nos prévisions, les impacts d’une rupture des négociations. Un défaut de paiement des États‑Unis parce qu’on ne peut pas s’entendre aurait des conséquences tragiques et comporte un fort risque de baisse pour les perspectives américaines et mondiales. Aux États‑Unis comme ailleurs, nous nous attendons à ce que l’inflation baisse peu à peu durant l’année; nous avons toutefois révisé le profil à la hausse en raison de la récente récalcitrance de l’inflation. Si nous ne croyons pas qu’une autre hausse de taux est nécessaire, nous ne prévoyons pas que la Fed baissera ses taux cette année. Cette prévision contraste vivement avec les cours boursiers actuels.

Tableau 1: International: PIB réel, Prix à la consommation 2019 à 2024
Tableau 2: Amérique du Nord: PIB réel 2019 à 2024 et Prévisions trimestrielles
Tableau 3: Taux des banques centrales, devises et taux d’intérêt 2020 à 2024
Tableau 4: Les provinces 2019 à 2024