L’annonce de la création de Cedar Leaf Capital, la première maison de courtage dirigée et détenue par des Autochtones, a marqué un tournant historique.

La nouvelle a été annoncée après plus de deux ans de planification entre ses trois actionnaires principaux autochtones – la société en commandite Nch'ḵay̓ Development en Colombie-Britannique, la société en commandite Des Nedhe Financial en Saskatchewan et la Première Nation des Chippewas de Rama en Ontario – et la Banque Scotia.

Pour Sean Willy, président et chef de la direction, Des Nedhe Group, c’est là l’aboutissement des décennies de dur labeur des aînés de la Première nation d’English River et des progrès accomplis par la communauté autochtone en général.

« Maintenant, nous avons voix au chapitre », a-t-il déclaré.

C’est aussi le signe d’un changement de dynamique entre les entreprises et la communauté autochtone. Selon les constats de M. Willy, ces relations sont souvent centrées sur la question des droits sur les terres et les titres; les Autochtones ne sont pas considérés comme des ressources ou des partenaires.

« Ce que la Banque Scotia a fait, c’est qu’elle a affirmé voir la valeur et l’intérêt d’une participation autochtone. »

À la fin de février, la Banque Scotia a fait l’annonce d’une entente, moyennant l’approbation des organismes de réglementation, pour créer et exploiter une nouvelle maison de courtage de valeurs au Canada, nommée Cedar Leaf Capital Inc. d’après les rameaux de cèdre que l’on trouve dans de nombreuses communautés autochtones d’Amérique du Nord et du rôle important qu’ils tiennent dans la culture autochtone. 

Cedar Leaf Capital logo

Source : Cedar Leaf Capital


L’entreprise telle que proposée sera détenue à 70 % par ses trois principaux actionnaires autochtones (dans une proportion de 23,3 % chacun) et à 30 % par la Banque Scotia. Elle sera exploitée dans un premier temps par la Banque Scotia, qui fournira de l’infrastructure et du soutien aux activités de Cedar Leaf pour lui permettre ensuite d’être entièrement détenue et exploitée par des Autochtones. Une fois la maison de courtage autonome, la Banque Scotia réduira petit à petit sa participation. Cedar Leaf prévoit lancer ses opérations entre l'automne 2024 et février 2025, sous réserve des approbations réglementaires requises.

« Même si la participation économique des communautés autochtones a grandement progressé, il reste encore beaucoup à faire, affirme Scott Thomson, président et chef de la direction, Banque Scotia. La création de Cedar Leaf Capital constitue une étape importante pour élargir l’accès des communautés autochtones aux possibilités offertes dans les marchés des capitaux. »

Une fois l’approbation réglementaire reçue, Cedar Leaf offrira des services-conseils financiers, en tant que consortium ou membre d’un groupe de maisons de courtage, à des clients institutionnels (notamment à des entreprises et à des gouvernements au Canada) pour mobiliser des capitaux au moyen de titres à revenu fixe, comme des obligations.

Cedar Leaf permettra aussi aux investisseurs et aux entreprises de soutenir l’avancement des peuples autochtones et la réconciliation économique, expression qui renvoie à l’inclusion des peuples, des communautés et des entreprises autochtones dans tous les aspects de l’activité économique. Les communautés autochtones se sont longtemps heurtées à de nombreux obstacles les empêchant de participer pleinement à l’économie. L’un des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation concerne d’ailleurs les entreprises et la réconciliation.

En mai 2023, la Banque Scotia a officialisé son engagement en élaborant un plan d’action pour la vérité et la réconciliation et en formant une équipe spécialisée. Une fois établi, le plan énoncera les étapes vers la réconciliation : soutien des programmes déjà existants et élaboration de nouvelles mesures pertinentes et progressives destinées à établir des relations de confiance avec les employés, clients et communautés autochtones.

Selon Clint Davis, chef de la direction de Cedar Leaf, plus de la moitié des principales entreprises canadiennes se sont engagées publiquement pour la réconciliation, et une collaboration avec Cedar Leaf contribuerait à appuyer ces efforts. Pour sa part, Cedar Leaf offre une valeur ajoutée en se démarquant des maisons de courtage traditionnelles, toujours selon Davis qui travaille depuis plus de 20 ans avec des organisations et des institutions financières autochtones.

« La réconciliation économique n’est pas une aumône, déclare-t-il. Il ne s’agit pas de donner sans rien obtenir en retour, mais d’avoir une chance de participer et de trouver ainsi les bons partenaires pour croître et gagner en compétitivité. »

Pour Davis, un Inuit originaire du Labrador, Cedar Leaf, en engageant des talents autochtones et en les aidant à évoluer dans la sphère financière, ouvrira aussi la voie à des changements durables et permettra d’accroître la participation des Autochtones sur les marchés des capitaux, à tendance historiquement exclusive.

« On voit de plus en plus de communautés recourir aux marchés des capitaux pour accéder à du financement ou à des capitaux afin de participer, souvent, à des projets d’envergure, notamment dans les secteurs du pétrole et du gaz, des énergies renouvelables ou des grandes infrastructures, ajoute-t-il. Il est pertinent et important que des Autochtones contribuent à cette mobilisation de capitaux. »

L’idée de Cedar Leaf est née de la demande d’un client des Services bancaires et marchés mondiaux qui faisait appel à des sociétés de courtage détenues par des minorités aux États-Unis et qui souhaitait s’adresser à une société de courtage autochtone au Canada.

De là a éclos une conversation au sein de la Banque Scotia pour chercher à répondre à ce besoin en établissant une maison de courtage détenue par des Autochtones au sens aiguisé des affaires.

Les partenaires idéaux se trouvaient parmi les clients autochtones de longue date de la Banque. (La Banque Scotia a été la première institution financière canadienne non autochtone à ouvrir une succursale dans une communauté des Premières Nations il y a de cela plus de 50 ans.)

La société en commandite Nch'ḵay̓ Development a été établie en tant que société de développement économique de la Première Nation Squamish et s’est construit un portefeuille varié d’entreprises, qui comprend notamment le projet d’urbanisation diversifiée Sen̓áḵw sur une aire de 10,5 acres de terres riveraines à Vancouver.

« Devenir un partenaire fondateur de Cedar Leaf permettra à Nch’ḵay̓ non seulement de diversifier ses placements, mais aussi de participer à la création de nouveaux parcours professionnels enthousiasmants pour les Autochtones qui s’intéressent à la finance », a déclaré Mindy Wight, cheffe de la direction, Société de développement Nch’ḵay̓.

« Plusieurs secteurs et communautés reconnaissent l’importance de la participation des Autochtones et se montrent prêts à les inclure et à apprendre les uns des autres, et Cedar Leaf est un pionnier dans le secteur financier, ajoute Mindy Wight. Avec Cedar Leaf, nous montrons comment établir des partenariats rentables et qui génèrent de nouveaux investissements avec des groupes autochtones. »

L’entreprise la plus connue de la Première Nation des Chippewas de Rama est le Casino Rama, créé en 1996. La Première Nation de Rama exploite plusieurs entreprises, toutes constituées en société et détenues par la communauté, notamment le magasin de souvenirs Biindigen, Tim Hortons, le Rama Country Market et son poste d’essence, l’Ojibway Bay Marina, Rama Cannabis et Rama Maawnjiydiwag Gtigaan. Ramcor Developments est une société de développement communautaire, et Rama Gaming exploite deux salles de bingo dans la région du Grand Toronto.

Ted Williams, chef de la Première Nation de Rama, était intrigué par un partenariat de cette ampleur, aussi novateur.

« En tant que Première Nation, nous nous sommes investis dans le développement du pays, déclare Ted Williams. C’est une occasion pour nous de devenir acteur du monde financier. »

Il considère également qu’il s’agit d’une manière de montrer ce qui est possible aux autres communautés autochtones.

« Si vous savez gouverner et diriger des entreprises, les occasions sont infinies. C’est que je retire de tout cela. »

Il a bon espoir que de nouvelles portes s’ouvriront pour la communauté autochtone grâce à l’avancée que représente la création de cette entreprise.

« On ne s’en rend peut-être pas encore compte, mais quand on regarde cinq ou dix ans en arrière, on remarque une énorme différence quant à la présence des Premières Nations sur les marchés financiers. »

La société de développement économique Des Nedhe, créée en 1991 pour le peuple déné de la Première nation d’English River, a établi un vaste éventail d’entreprises, notamment dans les secteurs minier, des communications, de la construction, de la vente et de l’immobilier. Cedar Leaf cadre parfaitement avec sa stratégie.

« Nous devons augmenter nos sources de revenus et nous voulions nous lancer dans la gestion d’actifs. C’était donc un de nos objectifs que de nous insérer sur les marchés financiers », explique Sean Willy.

Lui aussi a bon espoir que Cedar Leaf serve de tremplin aux talents autochtones. Il note en outre que les jeunes femmes métisses ou des Premières Nations constituent le segment d’étudiants postsecondaires qui connaît la plus forte croissance.

« Je veux faire en sorte que ça fonctionne en engageant le plus possible d’employés autochtones et issus de la diversité. »

Clint Davis espère que Cedar Leaf permettra aux jeunes d’observer une représentation accrue des Autochtones.

Il mentionne sa propre expérience dans le monde des affaires et du droit. Il est la première personne de sa famille élargie à avoir obtenu un diplôme en administration des affaires. Il n’avait jamais rencontré d’avocat, jusqu’à ce que son professeur de droit des affaires lui conseille de se lancer dans ce domaine.

« J’y suis arrivé, mais sans cette intervention, ce n’aurait pas été possible, se rappelle-t-il. Cela a profondément changé ma vie… Tout ce dont ils ont besoin, c’est de ce petit coup de pouce. »

À long terme, il espère voir davantage d’Autochtones siéger à des postes de haute direction dans d’importantes entreprises institutionnelles canadiennes.

« J’adorerais voir le premier PAPE autochtone. Ce sera une entreprise technologique autochtone », déclare Clint Davis.

Pour Sean Willy, le partenariat avec Cedar Lead dépasse la réconciliation économique.

« Il s’agit d’autonomisation économique, et c’est ainsi que doivent fonctionner les affaires à l’avenir, pour permettre au pays d’atteindre son potentiel maximum. »