LES BUDGETS PROVINCIAUX 2024 EN AVANT-PREMIÈRE

  • C’est cette semaine qu’on lance, sur la côte Ouest, la saison des budgets 2024. En raison des perspectives économiques incertaines et de la multitude de difficultés, de légères pressions incrémentielles pèsent sur les parcours budgétaires tracés l’automne dernier.
  • Dans leur dernier plan directeur budgétaire, la plupart des provinces prévoient des déficits légèrement moindres dans l’EF 2025 (graphiques 1 et 2). À défaut d’importantes mesures officielles, l’Alberta et le Nouveau‑Brunswick continueront probablement de comptabiliser des excédents.
  • La conjoncture économique reste très incertaine à l’heure où l’économie s’essouffle. Bien que le ralentissement de l’économie soit évident, il ne sera sans doute pas suffisant pour favoriser un atterrissage en douceur. Les risques de stagflation pourraient lester encore les finances publiques.
  • Les trajectoires budgétaires projetées pour le prochain budget 2024 sont appelées à fléchir, en raison de la multitude de priorités pressantes du point de vue des dépenses. Il s’agit entre autres d’enjeux comme la baisse de la productivité, la crise généralisée de l’abordabilité du logement, les déficits dans la santé, la transition énergétique et les besoins en infrastructure en raison de l’explosion démographique.
  • Du fait de l’accroissement du refinancement, des déficits projetés et des investissements rehaussés dans les infrastructures, il est probable que les provinces lancent collectivement des emprunts dans l’EF 2025. Selon les projections, le ratio agrégé de la dette nette sur le PIB devrait atteindre 29,4 % dans l’EF 2024 et augmenter encore, selon les prévisions, pour dépasser 30 % dans le prochain exercice budgétaire.
  • Les provinces doivent mettre en équilibre les efforts de réduction de la dette avec des emprunts stratégiques pour étayer les investissements critiques et les grandes initiatives de promotion de la croissance économique. Nous préconisons l’austérité soutenue des dépenses tout en continuant de faire preuve de prudence dans les mesures de protection contre la certitude comme meilleure ligne de conduite à adopter dans la prochaine saison budgétaire.
Graphique 1 : Les projections des soldes budgétaires des provinces; Graphique 2 : Les projections des soldes budgétaires des provinces

NOTRE AVIS

Les provinces s’apprêtent à connaître une année de croissance modérée; elles restent toutefois optimistes à propos de leur résilience en pilotant l’économie pour éviter les écueils de la récession. Il n’empêche qu’un ralentissement assombrit l’horizon. La plupart des provinces s’attendent à différents degrés de stagnation de la croissance de l’emploi, qui sera à la traîne des solides gains démographiques, ce qui aura pour effet de relever marginalement les taux de chômage, même s’ils devraient rester plus proches du taux de chômage naturel au lieu de frôler des niveaux récessionnistes. La résilience constatée ces derniers mois sur les marchés du travail laisse entendre que la croissance économique sera plus vigoureuse que prévu auparavant, ce qui pourrait muscler les projections de recettes de l’État lorsque la saison budgétaire sera lancée cette semaine, même si on peut s’attendre à ce que les mesures de protection soient préservées ou étoffées. Ces scénarios épousent notre point de vue actuel et laissent entrevoir la possibilité d’une hausse de la croissance pour l’année.

Toujours est-il que les perspectives économiques restent plombées par l’incertitude en raison des violents vents contraires qui soufflent sur l’économie. Durant l’année écoulée, les provinces ont rajusté à la baisse leurs prévisions sur la croissance réelle en 2024 en raison du ralentissement décalé (graphique 3). Bien qu’à notre avis, ces scénarios soient réalistes, les risques de hausse de l’inflation sont très plausibles, ce qui pourrait donner lieu à des risques de baisse de la croissance, portés par la politique de la banque centrale. Le risque de stagflation pourrait aussi exacerber les difficultés pour les ménages et les bénéfices des entreprises, tout en faisant augmenter les dépenses de l’État, ce qui ferait peser de nouvelles contraintes sur les finances publiques des provinces. Une multitude de risques géopolitiques menace aussi la trajectoire actuelle que décrivent les provinces. 

Graphique 3 : Les perspectives économiques des provinces

Dans l’EF 2024, la stabilité des tendances dans l’évolution des recettes constitue un très bon point de départ pour l’EF 2025. À l’exception de l’Ontario, qui a dû réduire de 1,7 G$ ses projections de recettes en raison d’une réforme fiscale, la plupart des provinces ont publié des prévisions de recettes légèrement améliorées pendant l’exercice budgétaire. La plupart des provinces s’attendent à ce que les recettes continuent de croître en 2025 (graphique 4), même si l’Alberta et la Saskatchewan prévoient des baisses dans les recettes sur les ressources naturelles. L’Alberta s’attend à ce que les recettes au titre des ressources non renouvelables diminuent de plus de 10 % à cause de la léthargie des prix du gaz naturel et parce que les cours du pétrole s’affaisseront pour passer de 79 $ US le baril dans l’EF 2024 à 76 $ US le baril dans l’EF 2025, alors que les recettes sur les ressources de la Saskatchewan continuent d’être minées par la baisse des cours de la potasse.

Graphique 4 : Les recettes et les projections de dépenses des provinces

Malgré la baisse éventuelle des cours du pétrole, les provinces tributaires des produits de base restent en bonne position de se prémunir contre le ralentissement en cours. Dans son compte rendu budgétaire semestriel, l’Alberta s’attend à ce que la croissance réelle continue de s’inscrire à un niveau élevé, soit 2,6 %, en 2024, et la Saskatchewan projette un taux de croissance réelle de 1,3 % sur la même période : dans les deux cas, ces chiffres sont nettement supérieurs à la moyenne nationale. En Alberta, la production pétrolière est appelée à progresser de 8 % en 2025 dans la foulée de l’achèvement de projets de maintenance à grande échelle. De concert avec le rapprochement du différentiel entre le WTI et le WCS et la mise en service du réseau pipelinier rehaussé de Trans Mountain (TMX), ce relèvement augure bien des perspectives de la région. En 2023, la production pétrolière de la Saskatchewan a connu une baisse, ce qui explique que l’on s’attend à un ralentissement de la croissance en 2024, comme l’indique son compte rendu semestriel. Or, cette province est plus optimiste pour les cours du pétrole : d’après ses projections, les cours du WTI devraient s’établir à une moyenne de 81 $ US le baril en 2024.

Les provinces devraient faire preuve de sobriété dans leurs dépenses afin de préserver la marge de manœuvre nécessaire dans un environnement très volatil dans la colonne des recettes. Même si elles ont relevé leurs projections de dépenses dans l’année écoulée, les provinces se sont essentiellement abstenues de lancer de nouvelles initiatives majeures dans l’EF 2024. Les dépenses des programmes sont appelées à croître de 3,3 % dans l’EF 2024 dans les quatre grandes provinces, au lieu du taux de 1,7 % comptabilisé au moment du budget (graphique 5). Dans leurs plus récents plans directeurs budgétaires, ces provinces s’attendent à ce que les dépenses des programmes continuent de progresser de 1,7 % dans l’EF 2025 — ce qui est nettement inférieur à l’inflation et à l’accroissement de la population. Les coûts de la charge de la dette devraient, selon les projections, augmenter de 6 % dans l’EF 2025 — soit un rythme comparable à celui de l’EF 2024 — en augmentant de 1,8 G$ (soit 0,3 % du total des recettes) les dépenses des quatre premières provinces. 

Graphique 5 : La croissance des dépenses des programmes (ON + QC + AB + CB)

Grâce à des perspectives de recettes positives et à l’austérité planifiée des dépenses, la plupart des provinces prévoient des déficits légèrement réduits dans l’EF 2025 selon leurs plans directeurs à moyen terme les plus récents (graphiques 1 et 2). À défaut d’importantes mesures officielles, l’Alberta et le Nouveau‑Brunswick sont appelés à continuer de dégager des excédents. À Terre‑Neuve‑et‑Labrador, l’excédent projeté dans le prochain exercice budgétaire est conditionné à un solide relèvement de la production pétrolière.

Or, les provinces sont aux prises avec des pressions considérables sur leurs dépenses, et il est de plus en plus difficile de continuer de faire preuve de rigueur dans les dépenses comme l’expliquent leurs plans actuels. Les provinces continuent de conforter leurs plans individuels pour améliorer le réseau de la santé grâce au financement attribué par le gouvernement fédéral. À l’heure actuelle, six provinces ont signé avec le gouvernement fédéral des accords sur le financement de la santé dans le cadre de l’accord bilatéral « Travailler ensemble »; or, il faudra probablement consentir d’autres investissements pour répondre à la demande en soins de santé qui ne cesse de croître, au-delà du complément fédéral. Les difficultés dans l’abordabilité du logement sont omniprésentes dans les provinces et amènent nombre d’entre elles à mettre en œuvre des mesures destinées à muscler l’offre durant l’EF 2024. On prévoit d’adopter des mesures supplémentaires dans les prochains budgets pour corriger le déficit de l’offre toujours aussi important. On ne peut pas reléguer aux oubliettes l’impact des règlements salariaux du secteur public. En Colombie‑Britannique, les dépenses ont bondi de presque 3 G$ dans l’EF 2024 à cause des hausses de salaire dans le cadre du Mandat de redressement partagé. En Ontario, l’impact de la flambée de l’inflation sur les coûts des salaires et des traitements du secteur public de cette province a été estimé à 8 G$ sur cinq ans par le Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario.

En raison de la hausse du refinancement, des déficits projetés (et potentiellement creusés) ainsi que de la flambée des investissements dans les infrastructures, les provinces devraient collectivement augmenter leurs besoins en financement dans l’EF 2025 par rapport à l’exercice budgétaire en cours. Dans l’EF 2024, l’Ontario a haussé ses emprunts de 6 G$ pour les porter à 33,6 G$, et ses besoins en emprunt projetés devraient dépasser 37 G$ dans l’EF 2025. Le Québec et la Colombie‑Britannique ont réussi à réduire, pour l’EF 2024, leurs emprunts grâce au financement émanant de différentes sources; ils prévoient toutefois une augmentation des niveaux des emprunts dans le prochain exercice budgétaire, à 29 G$ et 20,4 G$ respectivement. En raison de la stabilité de ses perspectives budgétaires, l’Alberta devrait continuer de mener un modeste programme d’emprunts, de l’ordre de 6 G$.

Le parcours actuel qui conduit à l’équilibre s’en remet à des projections optimistes pour la croissance des recettes l’an prochain, en laissant entendre qu’il pourrait y avoir un décalage. Le retour de l’Ontario à l’équilibre budgétaire a été repoussé d’un an à l’EF 2026, grâce à des projections optimistes de croissance des recettes de 4,2 % par an sur trois ans, alors que l’on s’attend à ce que les dépenses des programmes augmentent de 2,8 %, ce qui mènera à une réduction rapide du déficit. Après les dépôts dans le Fonds des générations, le Québec entend équilibrer son budget d’ici l’EF 2028 en veillant à ce que la croissance des dépenses des programmes reste nettement inférieure à la croissance annuelle de 3,6 % de ses revenus autonomes. Malgré les perspectives optimistes de croissance des recettes, la Colombie‑Britannique projette des déficits plus importants dans les deux prochaines années si elle n’adopte pas de plan de consolidation. Dans l’ensemble, si certaines provinces sont confortablement installées en territoire excédentaire, d’autres ont encore un parcours long et sinueux à franchir. Il sera sans doute difficile de réaliser une consolidation ambitieuse dans le contexte du ralentissement de la conjoncture économique; toutefois, les provinces devront marcher sur un fil de fer, en consacrant leurs efforts à des mesures de consolidation conviviales pour la croissance tout en préservant la marge de manœuvre qui leur permettra d’adopter des mesures à plus long terme de relèvement de la croissance, le tout dans le contexte d’un plan budgétaire à moyen terme crédible qui préserve la durabilité.

Les notes de crédit restent essentiellement stables : certaines provinces s’améliorent tandis que d’autres éprouvent des difficultés (tableau 1). L’Alberta a enchaîné les notes de crédit positives, dont un relèvement de DBRS à « AA » contre « AA (faible) » et un relèvement de S&P de « A+ » à « AA‑ ». À l’heure actuelle, Fitch attribue à cette province une note en perspective positive. L’Ontario garde une perspective positive auprès des trois grandes agences de notation, ce qui laisse entendre que sa note pourrait s’améliorer si le plan actualisé continue de respecter les principes de la rigueur budgétaire et que l’on consent des investissements stratégiques dans la croissance de cette province. S&P a abaissé la note de crédit de la Colombie‑Britannique, qui est passée de « AA+ » à « AA » et sa perspective a changé pour devenir négative, en évoquant les inquiétudes sur les hausses importantes des dépenses de fonctionnement et des dépenses en immobilisations. Bien que la note de crédit du Manitoba n’ait pas changé, son compte rendu budgétaire de l’automne a levé le voile sur des déficits plus importants que prévu auparavant, ce qui assombrit ses perspectives de crédit pour le prochain exercice budgétaire. 

Tableau 1 : Les notes de crédit des provinces