• L’indice du coût de l’emploi américain a volé la vedette : les marchés ont ignoré le PIB canadien.
  • L’économie canadienne a inscrit au T1 un solide rebond…
  • … qui a pris de court la BdC…
  • … malgré des données moins bien orientées qu’attendu.
  • Les détails de février ont été supérieurs au PIB de synthèse.
  • Il faut être attentif à l’évolution du PIB par rapport à la prévision révisée de la BdC, qui établit à 2,8 % le taux de croissance du T1.
  • Voici le parcours qui se dessine en prévision de la décision que rendra la BdC le 5 juin.
 
  • PIB du Canada, évolution en % sur un mois, en données désaisonnalisées, février :
  • Données réelles : 0,15
  • Scotia : 0,4
  • Consensus : 0,3
  • Auparavant : 0,5 (révisé par rapport à 0,6)
  • Estimation éclair de mars : « essentiellement inchangé ».

Il semble bien que les marchés soient indifférents à l’économie canadienne. Publié simultanément, un indicateur des coûts de l’emploi américains a volé la vedette. Ainsi, les rendements des marchés à plus court terme du Canada ont suivi la hausse américaine et le dollar CA a perdu un demi‑cent après la publication des données sur le dollar US de part et d’autre de la frontière. Les marchés interprètent un autre signe de la flambée des pressions inflationnistes américaines exercées par le marché du travail et se donnent ainsi une autre raison d’oublier l’assouplissement de la Fed, qui n’abaissera pas les taux de sitôt, ce qui rend encore plus difficile le travail à consacrer par la BdC pour assouplir considérablement son discours — même si une baisse des taux paraît justifiée, ce qui reste très discutable.

Aux États‑Unis, les coûts de l’emploi connaissent toujours une croissance fulgurante

On peut d’abord sortir de l’équation l’indice du coût de l’emploi américain. Cet indice a gagné 1,2 % sur un trimestre en données désaisonnalisées non annualisées, ce qui est supérieur au consensus de 1,0 % et à toutes les estimations qu’il comprend (graphique 1). Depuis un certain temps, ce sont les traitements et les salaires (soit la rémunération versée directement), et non les avantages sociaux, qui portent l’indice du coût de l’emploi dans l’ensemble. 

Graphique 1: Le coût de l’emploi aux États-Unis

En raison de ce type de progression des coûts de l’emploi, la productivité doit augmenter considérablement pour financer ces coûts sans déclencher de risques inflationnistes. Les chiffres sur la croissance de la productivité du T1 seront publiés jeudi et devraient, comme prévu, se ralentir considérablement. On publiera en même temps, ce jeudi, les coûts unitaires de la main‑d’œuvre, qui sont appelés à sortir en force, puisqu’ils mesurent les coûts de la main‑d’œuvre corrigés de la productivité.

Les États‑Unis ont aussi publié des données contrastées sur un gain beaucoup plus vigoureux de quelques chiffres sur les prix des ventes répétées pour février et une brusque baisse de la confiance des consommateurs; or, les marchés ont essentiellement balayé ces chiffres et se sont contentés de réagir à l’indice du coût de l’emploi.

Le PIB mensuel, moins flamboyant, porte toujours un solide rebond

Le PIB de février s’est inscrit à +0,15 % sur un mois en données désaisonnalisées, ce qui est nettement inférieur au pronostic éclair préliminaire publié par Statistique Canada le 31 mars, lorsque l’agence a affirmé qu’elle pistait une croissance de 0,4 %. Ce pronostic préliminaire n’aura donc pas été très utile; or, les détails ont été légèrement supérieurs aux chiffres de synthèse (cf. ci‑après).

Selon l’estimation de Statistique Canada pour le PIB de mars, l’indice reste « essentiellement inchangé » : autrement dit, il sera probablement compris entre ‑0,1 % et +0,1 %, et cette estimation risque fort d’être révisée.

En outre, le PIB de janvier a été révisé légèrement à la baisse, à 0,5 %, contre 0,6 % sur un mois auparavant. Le graphique 2 fait état de l’incidence nette de cette révision sur le pistage du PIB du T1, de même que sur d’importantes mises en garde sur lesquelles je reviendrai.

Graphique 2 : La croissance du PIB canadien

Le PIB de février a été supérieur au chiffre de synthèse, et le PIB de mars pourrait bien en faire autant

Les graphiques 3 et 4 respectivement font état de la répartition non pondérée de la croissance du PIB par secteur, ainsi que des apports pondérés à la croissance du PIB par secteur pour le mois de février. 

Graphique 3 : La croissance du PIB réel de février par secteur; Graphique 4 : Les apports pondérés des secteurs au PIB réel de février

Oublions les services publics, qui sont appelés à se chiffrer conjoncturellement : le PIB a gagné 0,3 % sur un mois en février, ce qui est très solide, après avoir crû de 0,5 % en janvier.

Malgré le calme plat en mars, il faut être attentif : il se pourrait qu’il soit difficile de les désaisonnaliser puisque le congé du Vendredi saint et de Pâques a été plus hâtif que de coutume. Selon le secteur d’activité, ce congé a représenté entre un et trois jours de moins d’activité et de production par rapport à un mois de mars « normal », ce qui pourrait facilement avoir une incidence énorme dans le pistage des variations en pourcentage sur un mois.

Le pistage de la croissance du PIB au T1

Il faut être attentif avant de tirer les conclusions sur l’évolution de la croissance par rapport aux attentes de la BdC d’après ces comptes. Je vais expliquer pourquoi.

Disons d’abord que la somme totale de tous ces éléments nous donne un pistage de 2,5 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé pour la croissance du PIB au T1; il faut toutefois lancer de rigoureuses mises en garde.

En effet, il y a encore énormément de données à publier, dont une estimation raffermie à la hausse pour mars, qui sera éclairée par les chiffres à publier pour le mois, à mesure qu’ils sortiront.

Il faut lancer une deuxième mise en garde puisque ce pistage de 2,5 % fait appel aux comptes mensuels du PIB dans la colonne de la production, qui peuvent ou non concorder avec les prévisions — dont celles de la BdC — qui font appel au PIB d’après les dépenses. Selon la prévision de la BdC pour le T1 en fonction du PIB d’après les dépenses, la croissance du PIB s’est chiffrée à 2,8 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé. Il se peut qu’il y ait d’importants écarts entre les deux concepts dans un sens comme dans l’autre. Les comptes mensuels ne permettent généralement pas de savoir dans quelle mesure la production a augmenté ou baissé, alors que les comptes de dépenses tiennent compte des stocks et des effets de la balance commerciale nette sur la croissance, pour lesquels nous continuons de faire un pistage limité.

Au fil du temps, ces deux ensembles de comptes se suivent généralement selon un écart de l’ordre de 0,5 point de pourcentage les uns par rapport aux autres; or, ils accusent parfois des écarts encore plus importants, dans un sens comme dans l’autre (graphique 5). 

Graphique 5 : L'écart avec le PIB réel du Canada

Il est difficile de s’avancer sur le sens de l’évolution des différences dans le pistage au moment d’écrire ces lignes. Jusqu’à maintenant, la balance commerciale nette apporte un solide concours à la croissance du PIB pour le T1, compte tenu du regain dans le volume des exportations et parce que le volume des importations n’a guère changé (graphique 6). Cet effet de la balance commerciale nette pourrait apporter plus de 2 points de pourcentage à la croissance du PIB au T1 d’après les dépenses.

Graphique 6 : Le volume des échanges commerciaux canadiens

La grande incertitude porte sur l’accumulation des stocks. Nous ne pouvons pas pister les stocks de la vente au détail, des ressources ou de l’agriculture à l’aide de données de plus grande fréquence et nous ne pouvons suivre que les stocks de l’activité manufacturière et du commerce de gros. Ces deux secteurs pourraient révéler un déstockage légèrement supérieur au T1 par rapport au trimestre précédent (graphique 7); or, les données ne se rendent que jusqu’en février, et à nouveau, nous n’avons pas un portrait complet de la situation des stocks; il faudra donc attendre la publication de l’ensemble complet des comptes du PIB pour le T1. 

Graphique 7 : Les stocks réels du Canada

La morale de l’histoire du point de vue de la comptabilité ésotérique du PIB? Il faut réserver son jugement sur le cadrage du PIB du T1 en fonction des dépenses avec la prévision du RPM de la BdC en avril. Il faut se méfier des grands titres qui clament avec assurance que la croissance accuse quelques dixièmes de point de moins que la prévision de la BdC, ce qu’on ne peut pas affirmer avec autant d’assurance.

Un acquis famélique au début du T2

L’acquis transposé sur le T2 est de 0 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé, uniquement d’après les comptes mensuels du PIB; il s’agit seulement d’un argument sur la vigueur de la croissance. Ce chiffre ne tient compte que de la moyenne du T1 et de la fin du T1 compte tenu du pronostic préliminaire de mars. Il n’a rien à voir du point de vue du pistage de la croissance du PIB au T2, ce qui nous amène à escompter des données neutres pour la croissance au T2.

Les données par rapport au tracé raté

De toute manière, il ne faut pas se laisser empêtrer dans les données : collectivement, le tracé est raté. Au T1, l’économie canadienne a été beaucoup plus vigoureuse que ce qu’avait prévu la BdC au début de l’année. Le gouverneur Macklem affirmait que le pire se produirait au S1 de 2024, et le RPM de janvier ne prévoyait qu’un taux de croissance de +0,5 % sur un trimestre en données désaisonnalisées et en rythme annualisé pour le PIB au T1, ce que la BdC a ensuite révisé à 2,8 % dans son RPM d’avril.

En rappelant la mise en garde évoquée ci‑dessus, selon laquelle ces chiffres ne portent que sur les données mensuelles pour la production, le PIB connaît une croissance de l’ordre de 2 points de pourcentage de plus que celle à laquelle s’attendait la BdC en prévision du début de l’année. Nous ne pouvons pas encore nous prononcer sur l’évolution des prévisions de la BdC en faisant appel à des ensembles identiques de comptes; or, les prévisions sont probablement de l’ordre de celles d’avril, en attendant la publication d’autres données pour le T1.

Le gouverneur Macklem a aussi paru balayer le rebond du T1 lorsqu’il l’a récemment attribué à la fin de la grève du secteur public au Québec. C’est tout simplement dénué de sens. Le PIB de décembre a baissé d’un peu moins de ‑0,1 % sur un mois en données désaisonnalisées, et le rebond de 0,5 % sur un mois en janvier après la grève, puis de 0,15 % encore en février a été beaucoup plus vigoureux que le chiffre de décembre.

Dans l’ensemble, je continue de m’inquiéter de la fonction de réaction du gouverneur. Il s’est efforcé de faire durer l’expérience du plein emploi, en ignorant le risque inflationniste évident au début de l’ère de la pandémie. Il a ensuite réagi trop tardivement et a haussé les taux pour les porter à un niveau probablement plus élevé que ce qu’il aurait fallu s’il était intervenu plus hâtivement. Il a ensuite marqué une pause en janvier de l’an dernier, uniquement pour revenir avec d’autres hausses en juin et en juillet. Aujourd’hui, après seulement trois mois de chiffres estimatifs sur l’inflation fondamentale, il est prêt à sortir les pompons et à baisser les taux. Mettre en sourdine le risque inflationniste en raison du rebond et saluer aussitôt ces statistiques désinflationnistes limitées indique clairement que le gouverneur a le cœur d’une colombe et qu’à mon avis, il n’est pas aussi sérieux qu’il devrait l’être quand il s’agit d’atteindre durablement la cible inflationniste de 2 %.

Que nous réserve l’avenir?

Soit! Cochons la case du PIB. Sur le parcours qui nous mènera à la déclaration et à la conférence de presse de la BdC le 5 juin, nous sommes toujours aux prises avec un risque statistique et événementiel considérable, qui pourrait éclairer la décision. En voici la liste partielle :

  • la déclaration et la conférence de presse du FOMC demain;
  • les données sur l’emploi et les salaires vendredi prochain (hors cycle pour les États‑Unis durant ce mois);
  • les ventes de logements d’avril en date du 15 mai;
  • l’IPC d’avril, à publier le 21 mai et qui fera état d’une hausse des prix de l’essence et de la taxe carbone, ainsi que du risque de transmission de cette hausse;
  • les ventes au détail de mars, à publier le 24 mai;
  • le PIB du T1, à publier le 31 mai.

À la Fed de jouer