Ayant un bureau au Mexique depuis environ dix ans, le groupe des infrastructures de Brookfield Asset Management y a fait récemment son premier investissement : une participation de 50 % dans deux pipelines qui transportent du gaz naturel du Texas vers le Mexique.

La transaction du pipeline Los Ramones a été conclue en octobre, après que le groupe a évalué des « dizaines et des dizaines » de transactions au fil des ans, affirme Bahir Manios, chef des affaires financières de Brookfield Infrastructure Partners (BIP).

« Jusqu’à maintenant, nous n’avions pas repéré d’occasions de mettre la main sur des actifs offrant un rendement corrigé du risque adéquat. À nos yeux, le Mexique est un pays favorable aux affaires avec de bons indicateurs de base, et nous pensons qu’il est pertinent d’y investir à long terme. L’intérêt des investisseurs institutionnels pour ce pays s’est estompé récemment, ce qui a nous a permis d’entrer sur le marché en acquérant un actif de haute qualité à risque faible situé dans notre fourchette cible de rendement, explique M. Manios en entrevue dans les quartiers torontois de Brookfield. Parfois les distractions et les perturbations à court terme sur les marchés, tout comme les impressions négatives, peuvent générer des occasions intéressantes. »

Si BIP s’engage depuis peu au Mexique, elle mise depuis longtemps sur l’Amérique latine, avec des investissements majeurs dans les énergies renouvelables, l’immobilier et les infrastructures, notamment au Chili, en Colombie, au Pérou et au Brésil. Selon M. Manios, la dynamique sous-jacente de ces pays – où la Banque Scotia est un grand prêteur de BIP, ainsi qu’un conseiller important en matière de fusions et d’acquisitions – présente différentes caractéristiques, comme une classe moyenne en plein essor, un état de droit bien établi et le respect pour le capital étranger, tous des éléments qui rendent la région particulièrement attrayante pour les investisseurs.

« Nous sommes enthousiastes à l’idée d’investir plus dans ces pays, ajoute M. Manios. Mais ce sont des marchés hautement concurrentiels : beaucoup de capitaux étrangers y affluent. »

Les actifs du groupe des infrastructures de Brookfield représentent environ 65 milliards de dollars américains, et près de 85 % d’entre eux sont à l’extérieur du Canada. M. Manios précise que 30 % du flux de trésorerie provient de l’Amérique latine, en grande partie du Brésil, mais aussi de pays de l’Alliance du Pacifique, à savoir le Chili, la Colombie et le Pérou (le Mexique en est aussi membre).

Des racines régionales profondes

Si Brookfield accorde une place prépondérante au Brésil, c’est parce qu’elle y est solidement implantée depuis plus de 120 ans. Avant de prendre le nom de Brookfield en 2005, la société s’appelait d’ailleurs Brascan – pour « Brasil » et « Canada ». Brookfield possède aujourd’hui quelque 26 milliards de dollars américains d’actifs sous gestion dans 20 États du Brésil, dont une concession de neuf autoroutes à péage et une société de distribution de gaz dont le réseau fait 2000 kilomètres.

Même lorsque l’économie brésilienne navigue en eaux incertaines, BIP continue d’y étendre ses racines. En 2017, le groupe a acquis, par l’entremise d’un consortium dirigé par Brookfield, une participation de 90 % dans Nova Transportadora do Sudeste S.A., un regroupement d’actifs permettant le transport de gaz naturel dans le sud-est du Brésil.

« Nous avons réalisé des investissements de taille dans ce pays pendant la récession et la crise financière en 2016, indique M. Manios. Nous allons à contre-courant. Tant que nous pensons que les indicateurs de base à long terme d’un pays sont solides, nous y investissons, même s’il y a des cahots à court terme. »

Selon le Fonds monétaire international (FMI), la Colombie devrait connaître l’un des taux de croissance les plus élevés au monde cette année. Le FMI prévoyait pour 2019 une croissance du PIB réel de 3,4 % pour la Colombie, de 2,6 % pour le Pérou et de 2,5 % pour le Chili (les protestations dans ce pays ont grevé l’activité économique ces derniers mois, et les responsables gouvernementaux ont revu leur prévision à la baisse). En comparaison, on s’attendait à une croissance du PIB réel de 2,5 % aux États-Unis, et de 0,7 % au Canada.

Le groupe des infrastructures de Brookfield se donne comme objectif d’investir dans des pays où la classe moyenne présente un potentiel de croissance. Pour Brookfield, qui possède environ 4 200 kilomètres d’autoroutes à péage – au Brésil, au Chili et au Pérou, mais aussi en Inde –, un indicateur important renforce son intérêt pour ces marchés : le taux de motorisation, c’est-à-dire la proportion de personnes qui possèdent une voiture. Cet indicateur témoigne d’une croissance potentielle sur un marché, laquelle se matérialise quand l’économie et la classe moyenne prennent leur envol. M. Manios observe qu’au Chili, seulement 261 personnes sur 1 000 ont une voiture, et cette proportion est encore plus faible en Colombie et au Pérou – respectivement 119 et 87 personnes sur 1 000.

« Avec la croissance des pays, les revenus augmentent, de plus en plus de personnes peuvent s’offrir une voiture, et il y a donc un nombre croissant de voitures », analyse M. Manios.

La stratégie à long terme demeure

Selon M. Manios, même s’il y a des perturbations politiques dans certains pays de la région, leur potentiel de croissance demeure élevé.

Par exemple, malgré les récentes manifestations au Chili, BIP n’a pas changé sa stratégie à long terme dans ce pays, où, mentionne M. Manios, le taux de pauvreté a chuté (de 40 % en 1990 à moins de 10 % aujourd’hui), le niveau d’instruction des personnes de 25 ans et plus est à la hausse, et le PIB par habitant est le plus élevé de la région.

Avant les protestations – qui ont commencé en octobre avec des manifestations étudiantes contre les hausses des tarifs du transport en commun, pour ensuite cibler des problèmes économiques plus larges –, BIP avait dans sa mire plusieurs transactions dans les secteurs des services publics et des infrastructures de données, souligne M. Manios, ajoutant que si la société reste à l’affût des occasions qui se présentent dans le pays, elle ne recherche certainement pas la volatilité.

« Des gens ont perdu la vie, rappelle-t-il. C’est une tragédie, et nous voulons ce qu’il y a de mieux pour le pays et ses habitants. »

« À nos yeux, le Chili a un parcours remarquable, et il ne faut pas oublier ça en temps de crise. »

Au Pérou, le président Martin Vizcarra a récemment dissous le Congrès et convoqué des élections après un bas de fer avec d’autres législateurs. BIP continue de suivre la situation, indique M. Manios, tout en étant persuadée que le pays restera stable et poursuivra sa croissance.

« Comme investisseurs privilégiant la valeur, et responsables du capital que nous confient nos investisseurs et clients, nous devons évaluer si les perturbations à court terme nous obligent à revoir notre stratégie, poursuit-il. Et à l’heure actuelle, le Pérou reste une composante essentielle de notre stratégie d’investissement dans la région. »