La crise du logement pénalise non seulement les Canadiens et les Canadiennes vulnérables et à revenus faibles, mais aussi la classe moyenne, qui s’en remet de plus en plus au marché locatif pour avoir accès à des logements abordables en raison de la flambée des prix des logements, de l’inflation et des taux d’intérêt, a déclaré Romy Bowers, cheffe de la direction de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

En outre, puisque les économistes sont nombreux à prévoir une légère récession au milieu de 2023 et en raison des cibles  ambitieuses fixées par le gouvernement fédéral pour l’immigration, il faut collaborer « d’urgence » afin de se pencher sur l’abordabilité des logements et sur le blocage de l’offre, a fait savoir Bowers à l’occasion du Sommet annuel de la Banque Scotia sur le logement abordable, au cours d’une discussion virtuelle avec Jake Lawrence, chef de la direction et chef de groupe des Services bancaires et marchés mondiaux de la Banque Scotia.

« Il faut adopter une approche qui mobilise vraiment toutes les ressources et cesser de pointer du doigt les coupables, en pensant à ce que nous pouvons tous faire ensemble pour résoudre ce problème dans l’intérêt supérieur de notre pays. »

Connue pour ses programmes d’assurance hypothécaire et de titrisation, la SCHL mène la réalisation de la Stratégie nationale sur le logement — dans le cadre d’un investissement de plus de 82 milliards de dollars sur 10 ans pour accroître l’offre de logements locatifs abordables d’un océan à l’autre. En 2021, de concert avec la SCHL, la Banque Scotia s’est engagée à mobiliser 10 milliards de dollars sur 10 ans pour mettre au point des prêts innovants, pour investir et pour offrir des solutions à la clientèle de particuliers, de commerces et de sociétés afin de permettre d’atteindre au Canada cet objectif essentiel dans le logement.

Dans ce récent entretien avec Jake Lawrence, qui a présidé en 2021‑2022 le Groupe d’étude sur le logement abordable de l’Ontario, Bowers fait le point sur les progrès accomplis par la SCHL depuis qu’elle a pris les commandes de cette société en avril 2021, sur les obstacles qui se dressent contre les progrès et sur ce qu’il faut faire pour remettre le pays sur la bonne voie afin d’offrir les logements dont nous avons besoin aujourd’hui et demain.

Romy Bowers headshot

Photo: Romy Bowers, la cheffe de la direction de la SCHL

JL : Le logement est une question qui s’inscrit dans la durée, et nous n’allons pas régler les problèmes du jour au lendemain. Quels sont les principaux progrès accomplis par la SCHL dans la dernière année et que vous souhaiteriez mettre en lumière?

RB : Je suis fière de l’équipe qui a mis en place le troisième cycle de l’Initiative pour la création rapide de logements. Ce programme consacré à l’offre a été lancé pendant la pandémie afin de répondre aux besoins des membres les plus vulnérables de notre société qui ont été fortement malmenés par la COVID‑19. Cette initiative permettra de créer plus de 14 000 logements abordables permanents pour ceux et celles qui vivent dans l’itinérance ou qui risquent de le faire.

De plus, nous nous consacrons au Fonds d’accélération du logement, annoncé dans le dernier budget. Il s’agit d’un investissement de 4 milliards de dollars du gouvernement fédéral pour triompher des obstacles qui empêchent de répondre vigoureusement à la demande à l’échelle locale.

Pour ce qui est de l’aspect commercial de la question, nous avons lancé APH Select, produit d’assurance hypothécaire qui encourage les promoteurs immobiliers à aménager des logements locatifs plus abordables, accessibles et climatocompatibles. Rien qu’en 2022, depuis le lancement de ce produit, nous avons permis de financer 86 000 logements locatifs nouveaux et anciens.

JL : En 2022, le Canada a accueilli un nombre sans précédent d’immigrants, et le gouvernement fédéral s’est engagé à continuer d’accroître l’immigration, ce qui constitue un engagement considérable. Comment faudrait‑il adapter les stratégies de la politique du logement pour répondre à la demande des nouveaux immigrants qui viennent s’installer au Canada?

RB : L’accroissement de l’immigration veut dire que notre économie est vigoureuse et que des immigrants venus des quatre coins du monde veulent vivre ici, ce qui est une excellente nouvelle. Les nouveaux arrivants apportent aux entreprises la main-d’œuvre et l’expertise qui leur permettent de porter la croissance de l’économie. Le secteur de la construction en particulier manque cruellement de travailleurs spécialisés, et l’immigration pourrait corriger certaines de ces pénuries.

Les cibles d’immigration très ambitieuses du Canada mettent en lumière l’importance de se pencher sur l’abordabilité des logements et sur le défi de l’offre de logements : c’est vraiment urgent. Nous invitons les immigrants dans notre pays, et nous devons pouvoir les accueillir. Nous ne pourrons le faire que si nous avons une offre suffisante de logements. C’est à nous tous qu’il appartient de nous assurer que nous travaillons de concert pour créer l’offre voulue. Cette affirmation se vérifie en particulier en Ontario et en Colombie‑Britannique, provinces dans lesquelles décident de vivre la plupart des immigrants.

JL : Comment faites‑vous pour suivre les progrès accomplis et pour mesurer le succès dans les rapports sur la mise en œuvre de la stratégie nationale? Quelles sont les grandes étapes à franchir?

RB : Étant fonctionnaire, je sais très bien que nous engageons les fonds des contribuables, qui se raréfient et pour lesquels nous devons rendre des comptes. Nous suivons nos progrès et nous en rendons compte sur notre site Web chaque trimestre, chaque année et tous les trois ans. Sur le site Web appelé Un chez-soi d'abord et consacré à la Stratégie nationale sur le logement, on peut consulter les progrès accomplis par la SCHL dans l’ensemble des initiatives de cette stratégie, dont le nombre de logements créés et leur localisation. Nous actualisons ce site Web chaque trimestre. Notre objectif consiste à créer la transparence pour s’assurer que les Canadiens et les Canadiennes savent à quoi nous consacrons les fonds des contribuables et qu’ils connaissent ceux qui profitent des investissements du gouvernement.

Nous en sommes à mi‑chemin dans la réalisation de la Stratégie nationale sur le logement, nous avons engagé la moitié du financement et nous sommes en bonne voie de mener intégralement cet engagement financier dans les dernières années du programme. Nous avons financé environ 115 000 logements neufs et nous sommes en bonne voie de financer la réparation d’environ 270 000 logements existants. Or, nous savons qu’il faut en faire beaucoup plus. 

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Il faut essentiellement plus de logements. Nous devons offrir un choix pour tous les points de prix, dans l’ensemble du continuum du logement. C’est le seul moyen de compter sur le bon fonctionnement du réseau de logements.

Romy Bowers, cheffe de la direction de la SCHL

JL : Les difficultés de l’abordabilité des logements s’étendent à la classe moyenne et touchent le personnel infirmier, les enseignants, les pompiers, les travailleurs de bureau et les personnes essentielles au tissu des collectivités. Il s’agit d’un thème que nous avons cerné dans les travaux du Groupe d’étude sur le logement abordable : nous nous sommes penchés sur l’évolution de l’abordabilité du logement, qui est porteuse de certaines capacités et de certains types de personnes dans les collectivités. Aujourd’hui, les taux d’intérêt flambent, ce qui se répercute sur tous les aspects de la question complexe du logement, en propriété ou en location. Comment entrevoyez‑vous l’évolution de la situation du point de vue de cette question?

RB : Il s’agit d’une crise pour la classe moyenne, mais aussi, et surtout, pour les Canadiens et les Canadiennes vulnérables. L’inflation n’est toujours pas maîtrisée, la Banque du Canada hausse les taux d’intérêt, et de nombreux économistes prévoient une légère récession pour le premier semestre de 2023.

De nombreux ménages, surtout les primo-accédants, s’endettent excessivement. C’est un véritable problème, surtout pendant un revirement économique, puisque lorsque les particuliers sont fortement endettés, l’économie devient très instable, ce qui met aussi à mal les ménages. Quand on pense aux prix du logement à Toronto et à Vancouver il y a 20 ans, le prix moyen était l’équivalent de quatre fois le salaire moyen. Il correspond aujourd’hui à huit, neuf ou même 10 fois le revenu moyen.

En revanche, les prêts hypothécaires en souffrance sont toujours très faibles, la croissance de l’emploi est toujours aussi solide, et nous surveillons attentivement ces indices. Nous avons constaté une augmentation des retards sur les cartes de crédit et les prêts automobiles — qui sont généralement les premiers signes d’une plus grande tension sur le marché hypothécaire. Or, nous espérons que la situation ne s’aggravera pas.

Il faut essentiellement plus de logements. Nous devons offrir un choix pour tous les points de prix, dans l’ensemble du continuum du logement. C’est le seul moyen de compter sur le bon fonctionnement du réseau de logements. En tant que société, nous devons réfléchir aux moyens d’offrir des logements abordables à tous les Canadiens et à toutes les Canadiennes. Il faudra donc recourir à différentes solutions.

JL : En parlant du continuum, on confond souvent le logement abordable et l’abordabilité des logements, et on emploie parfois ces termes comme synonymes. Je crois que nous savons tous les deux qu’il ne s’agit pas de la même notion, même si ces deux termes sont intimement liés. Quelle est l’importance du lien entre ces deux notions?

RB : Quand on nous parle d’une crise du logement, nous tâchons toujours d’analyser la question selon deux points de vue. Premièrement, il s’agit d’une crise aigüe pour les membres les plus vulnérables de notre société, soit ceux qui peinent à pouvoir même répondre à leurs besoins essentiels en logement, faute de logements abordables ou de logements communautaires.

Dans un récent rapport sur la crise de l’abordabilité au Canada, Rebekah Young, vice‑présidente et cheffe, Inclusion et résilience économiques de la Banque Scotia, a fait savoir que le plaidoyer moral pour reconstituer d’urgence le stock anémique de logements sociaux au Canada n’a jamais été aussi accablant. Le plaidoyer économique l’est tout autant. Je crois que notre pays a sous‑investi dans le logement social alors qu’il s’agissait de répondre aux besoins des membres vulnérables de notre société.

Le Canada est l’un des derniers pays du G7 pour ce qui est du niveau du parc de logements sociaux. C’est le résultat des décisions adoptées il y a des dizaines d’années par les gouvernants. Au Canada, le secteur privé offre plus de 95 % des logements locatifs au Canada; or, on n’incite guère les entreprises à offrir des logements à ceux et celles qui se situent dans le quintile inférieur des revenus et qui ne peuvent s’offrir que des loyers de 700 $ ou 750 $ par mois. Il faut une collaboration beaucoup plus étroite entre le secteur privé et le gouvernement pour s’assurer d’offrir à ce prix des logements locatifs à ceux et celles qui en ont le plus besoin.

La deuxième crise touche les ménages à revenus moyens, qui ont de plus en plus de difficulté à trouver des logements au prix du marché, surtout dans les grandes villes. Et vous avez raison : les deux crises sont intimement liées. La classe intermédiaire rivalise en fait avec les membres les plus vulnérables de la société dans l’accès au logement, et on peut en constater le résultat dans la hausse de l’itinérance dans de nombreuses collectivités au Canada.

Nous avons édité cet entretien pour le raccourcir et l’éclaircir.