La Banque du Canada a de nouveau haussé ses taux d'intérêt, mais cette fois d'un demi-point de pourcentage, pour le faire passer à 1 %.

Il s'agit de la première fois en plus de 20 ans que la banque centrale du pays augmente autant le taux directeur, et ce, en un seul coup.

Qu'est-ce que cette forte hausse des taux d'intérêt signifie pour l'avenir des Canadiens?

Jean-François Perrault, économiste en chef à la Banque Scotia, et Andy Nasr, directeur des placements chez Gestion de patrimoine Scotia, sont de retour sur le balado Perspectives afin de discuter de l'impact sur les perspectives économiques et les marchés. (Disponible en anglais seulement.)

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Transcription :

Stephen Meurice : Hier, la Banque du Canada a de nouveau haussé ses taux d'intérêt. Cette fois, d'un demi-point de pourcentage. Ce changement était attendu. Toutefois, il s'agit de plus importante hausse de taux effectuée par la Banque en plus de 20 ans, et ce, en un seul coup.

Alors, qu'est-ce que cela signifie exactement pour les Canadiens? Est-ce que ça aidera à freiner l'inflation, qui a entraîné une montée en flèche des prix d'à peu près tout? Quel sera l'impact sur nos investissements? Pour analyser la situation, voici Jean-François Perrault, économiste en chef à la Banque Scotia, et Andy Nasr, directeur des placements chez Gestion de patrimoine Scotia. Commençons sans plus tarder!

JF, Andy, bienvenue à Perspectives.

Jean-François Perrault : Merci, Steve.

Andy Nasr : Merci de nous avoir invités.

SM : JF, commençons avec vous. Nous enregistrons cette entrevue moins d'une heure après que la Banque du Canada ait annoncé son nouveau taux. Pouvez-vous résumer ce qui s'est passé ce matin? Qu'ont-ils mentionné? 

JFP : Eh bien, pour faire simple, la Banque a augmenté les taux d'intérêt de 50 points de base, ce qui correspond à peu près aux attentes du marché. C'est quelque chose que nous prévoyons depuis un bon moment et cela s'est fait sur la base d'une perspective d'inflation, ce qui est très troublant de leur point de vue. Ils ont revu à la hausse leurs prévisions pour l'inflation, et ce, de beaucoup. On s'attend toujours à une très forte croissance économique. Mais évidemment, les inquiétudes au sujet de l'inflation et les préoccupations liées à ce que cela signifie pour les Canadiens les a amenés à dire qu'ils avaient besoin de hausser les taux d'intérêt maintenant, mais aussi à dire très clairement que les taux d'intérêt continueront de grimper, sans toutefois donner de précisions sur ce que cela signifie. De ce fait, ils mentionnent très clairement qu'ils n'ont pas fini de faire augmenter les taux d'intérêt. 

SM : Je vois. Ainsi, le but de la hausse des taux d'intérêt est donc d'essayer de s'attaquer au problème de l'inflation. Tout le monde est au courant des hausses du coût de la vie sur à peu près tout ce que vous achetez ... Qu'est-ce qu'ils laissent entrevoir en ce qui concerne l'inflation? Et qu'est-ce que cela signifie pour les gens au cours des six prochains mois, de la prochaine année? Que dit la banque en ce qui concerne l'inflation pour la période à venir? 

JFP : Ce que dit la banque, c'est que pendant la première moitié de l'année, l'inflation sera d'environ 6 %, ce qui est évidemment bien au-dessus de son objectif de 2 %, puis l'inflation diminuera progressivement, pour se rapprocher de cet objectif aux alentours de 2024. Donc, nous aurons un taux d'inflation élevé pendant un certain temps. Et vous savez, cela représente tout un défi pour les Canadiens. C'est évidemment un défi pour la Banque centrale, car elle doit gérer tout cela. Cela signifie essentiellement qu'en tant que consommateurs et entreprises, nous devrons faire face à des pressions inflationnistes pendant une période de temps considérable. Donc, en augmentant les taux d'intérêt, il est évident qu'ils veulent ralentir l'activité économique pour essayer de réduire ces pressions inflationnistes, et ils ont été très clairs à ce sujet. Mais, il est aussi très clair qu'ils s'inquiètent des prévisions en matière d'inflation. Ils n'aiment donc pas l'idée que les Canadiens s'attendent à ce que l'inflation soit supérieure à 2 % cette année et l'année prochaine. Et une partie de la raison expliquant leur initiative est de faire en sorte que les Canadiens soient un peu plus convaincus que l'inflation va redescendre à 2 % à un moment donné. 

SM : Donc, la gestion de ces attentes est importante, car si les gens s'attendent à ce que les prix continuent d'augmenter un peu partout, cela changera leur comportement, cela changera la façon dont les entreprises se comportent, et ainsi de suite. C'est bien ça? 

JFP : Exactement. C'est tout à fait ça. 

SM : D'accord. Andy, je vous laisse la parole dans une seconde. J'ai encore quelques questions pour JF. Êtes-vous en mesure de donner une explication en 60 secondes sur la façon dont l'augmentation des taux d'intérêt permet de réduire l'inflation? 

JFP : Essentiellement, lorsque vous augmentez les taux d'intérêt, il devient plus coûteux d'emprunter. Ce faisant, vous réduisez les investissements, vous réduisez les dépenses de consommation, et cette réduction de l'activité économique élimine ainsi une partie de la pression exercée sur l'économie et génère des perspectives d'inflation un peu plus basses que ce qu'il en aurait été autrement. Il s'agit donc d'un mécanisme par lequel la croissance économique ralentit. Et cela finit par avoir un impact sur l'inflation. Mais cela prend un certain temps, vous savez ... Cela peut durer de 18 à 24 mois. Ainsi, la hausse des taux d'intérêt d'aujourd'hui n'aura aucun impact sur l'inflation au cours des six prochains mois. Il s'agit vraiment de gérer l'inflation sur un horizon temporel de deux ans environ. 

SM : Je vois. Parce que si cela ralentit l'activité économique, ils ne veulent évidemment pas trop la ralentir non plus. Je veux dire qu'ils veulent que l'économie continue à progresser, que les gens occupent des emplois et tout cela. 

JFP : Tout à fait. Il s'agit d'un processus de réglage de précision. Il n'y a aucun doute là-dessus. Donc, ils seront assez agressifs, mais en y allant toujours progressivement, parce qu'ils ont besoin de voir en temps réel si l'évolution des taux d'intérêt qu'ils sont en train de mettre au point aura des conséquences surdimensionnées ou imprévues sur les perspectives. Donc, ils seront très, très vigilants à cet égard. Ils le sont toujours.

SM : D'accord. Andy, nous vous cédons la parole. Comment les marchés réagissent-ils à ce que nous venons d'apprendre d'aujourd'hui? Ou, étant donné qu'on s'y attendait un peu, les marchés ont-ils déjà pris cela en compte? 

AN : Oui. Je crois que les investisseurs s'attendaient à ce que les banques centrales du Canada et des États-Unis augmentent leurs taux directeurs de façon substantielle tout au long du reste de l'année civile, voire jusqu'à l'année prochaine. Donc, dans une certaine mesure, ce n'était pas inattendu. Mais l'impact que cela aura sur les marchés variera selon la catégorie d'actifs. En période de hausse des taux d'intérêt, les passifs ont tendance à afficher les meilleures performances par rapport aux valeurs à revenu fixe. Mais les taux de rendement sont largement influencés par le rythme des augmentations des taux directeurs et par la santé de l'économie sous-jacente. Donc, si les problèmes d'approvisionnement que nous subissons se traduisent par des pressions persistantes sur les prix, et si les salaires continuent d'augmenter, comme l'a souligné Jean-François, beaucoup d'entreprises auront plus de mal à maintenir leurs marges et les prévisions de croissance devront possiblement être légèrement modifiées. Ce qui pourrait brouiller les perspectives et causer un peu de volatilité.

SM : Je vois. Vous avez dit que l'augmentation des taux affectait différemment les différentes catégories d'actifs. Y a-t-il des principes généraux que vous pourriez expliquer, ou cela varie-t-il vraiment beaucoup d'un secteur à un autre? Ou à quel point est-ce compliqué? 

AN : Si vous pensez aux deux grandes classes d'actifs, c'est peut-être là que nous nous concentrerons. Les rendements des passifs ont tendance à être fortement corrélés aux bénéfices des entreprises. Par conséquent, si l'entreprise dans laquelle vous investissez fait plus d'argent, vous devriez faire plus d'argent également. La croissance des bénéfices des entreprises est un peu plus difficile lorsque vous subissez l'inflation par les coûts. Donc, si vos coûts d'intrants augmentent ou si le coût des salaires augmente, les entreprises devront trouver un moyen de refléter ces prix plus élevés sur leurs marchés finaux. Et ce, que leurs marchés finaux soient des sociétés ou des ménages. Conséquemment, si vous êtes une très bonne entreprise et que vous avez un modèle d'affaires défendable, vous avez un certain pouvoir de tarification, il y a de fortes chances que vous puissiez très bien vous en sortir. Même si les investisseurs peuvent commencer à spéculer sur ce que cela signifie pour le prochain trimestre, nous aurons besoin de quelques trimestres pour y parvenir. D'un point de vue à moyen-long terme, tout devrait aller bien et l'inflation, à condition qu'il ne s'agisse pas d'un taux d'inflation à un chiffre dans la fourchette moyenne à élevée, n'indique généralement pas la fin du monde pour la rentabilité des entreprises. Vous obtenez un rendement assez stable lorsque vous investissez dans les titres à revenu fixe : vous prêtez de l'argent soit à une société, soit à un gouvernement. Mais il s'agit d'un rendement nominal fixe. Et vous le savez, si l'inflation est élevée, cela tend évidemment à diminuer votre pouvoir d'achat. Si vous investissez dans des instruments qui vous donnent un rendement de 3 % ou de 4 % et que, soudainement, les taux d'intérêt grimpent, vous verrez alors les investisseurs éviter ce genre d'investissement en faveur d'autre chose, ou bien ils finiront conserver leur argent. Vous commencez ainsi à voir des différences entre les taux de rendement relatifs et le rendement attendu dans les classes d'actifs. Ce sont ces fluctuations qui finissent par créer un peu de volatilité. Et voilà pourquoi les investisseurs devraient, pour la plupart, essayer d'avoir un portefeuille assez diversifié afin de profiter, de manière opportuniste, des catégories d'actifs qui tirent le plus de l'arrière et qui leur donner le meilleur rendement en fonction du risque. 

SM : J'allais justement vous demander quels conseils vous donneriez aux gens pendant une période inflationniste, une période de hausse des taux d'intérêt, une période d'incertitude géopolitique. Comment faites-vous pour équilibrer ces facteurs lorsque vous donnez des conseils à vos clients? 

AN : Eh bien, il y a toujours des choses dont il faut s'inquiéter lorsqu'on est un investisseur. [Rires] Apparemment, il y en a beaucoup plus ces jours-ci qu'il n'y en a eu au cours de l'année passée. Vous savez, à notre avis, la diversification est ce qu'il y a de plus sensé, car elle aide à réduire la volatilité globale du portefeuille. Il n'est pas déraisonnable de supposer que les marchés deviennent un peu plus agités. Si vous lisez les gros titres, il y a des inquiétudes à propos de l'inversion de la courbe de rendement. Cela se produit lorsque les taux d'intérêt à court terme sont plus élevés que les taux d'intérêt à long terme. Et l'inversion de la courbe de rendement peut signaler une récession. Mais la plupart des investisseurs oublient que les marchés boursiers augmentent généralement de 20 %, et ce, plusieurs trimestres après l'inversion et que, selon la façon dont nous l'avons défini, nous n'en sommes pas encore rendus là. Donc, il devrait toujours y avoir quelques avantages, à condition que vous ayez un portefeuille qui est ancré à des investissements de haute qualité. Vous savez, le défi sera d'être patient et de ne pas essayer de chronométrer le marché, ce qui est, en règle générale, la plus grosse erreur que font habituellement les investisseurs. 

SM : Alors, quelles sont vos perspectives pour les six prochains mois environ? 

AN : Six mois? Euh ... [Rires] C'est une période terriblement courte. Vous savez, il est beaucoup plus facile de comprendre où vont les choses d'un point de vue à long terme, mais je ferai écho au point de vue de Jean-François. Vous savez, même s'il est question d'une récession mondiale, il est peu probable que cela fasse partie du scénario de base en 2022. Donc, dans ce contexte, nous pensons que les investisseurs vont avoir l'occasion d'apporter des changements à leur portefeuille qui, espérons-le, leur permettront d'atteindre leurs objectifs à long terme. Dans les six prochains mois, vous pourriez voir plus de volatilité. Vous savez, si les estimations de croissance doivent être recalibrées ou ajustées, les investisseurs assumeront toujours le pire, en posant des questions plus tard. Donc, c'est généralement ce qui crée une séparation entre les points de vue fondamentaux et ceux à long terme à l'encontre de sentiment, à court terme, qui peut devenir trop négatif et trop concentré sur les gros titres. Je crois donc qu'il s'agit de ce sur quoi nous devons toujours garder un œil. Ce ne sont que des occasions qui sont créées par une baisse significative de la propension au risque et qui pourraient certainement se produire au cours des six prochains mois.

SM : D'accord, JF, quelques questions pour toi. Le coût du logement a évidemment été d'actualité tout au long de la pandémie, si ce n'est pas depuis avant. Quel sera l'impact de ces taux plus élevés, et qui risquent encore d'augmenter au cours de la prochaine année, sur le marché du logement? 

JFP : Eh bien, clairement, lorsqu'on augmente le coût des hypothèques, les gens ont moins d'argent à dépenser; cela limite leurs choix. Je veux dire que l'idée générale qui sous-tend la hausse des taux d'intérêt, du point de vue de la Banque du Canada, remonte à plus tôt; il s'agit d'augmenter le coût du financement pour encourager une légère décélération des dépenses. Et, bien sûr, le logement en est une partie très, très importante. Généralement, il s'agit du plus grand passif détenu par les ménages. Par conséquent, c'est le domaine où les taux d'intérêt ont le plus d'impact. Nous pensons donc que cela va ralentir la demande en matière de logement. Cela devrait conduire à une modération de la croissance des prix. Mais cela ne fait pas bouger ce grand écart existant actuellement entre la demande fondamentale, c'est-à-dire le nombre de personnes au Canada par rapport au nombre de foyers au Canada. Alors que les intérêts vont aider à rééquilibrer un peu les marchés, je ne pense pas que ce soit un environnement où nous allons assister à une correction très significative des prix des maisons, mais plutôt à un ralentissement du rythme de croissance, et peut-être même à une croissance un peu stagnante pendant quelques temps. Ce serait en fait un résultat plutôt positif, étant donné où en sont rendus les prix des maisons au pays. 

SM : Une dernière chose à ajouter ... Par le passé, vous avez fait vos projections sur ce que seront les taux d'intérêt d'ici la fin de 2022. Allez-vous conserver ces projections ou les taux d'intérêt seront-ils plus élevés que vous ne l'aviez peut-être prévu? Où vous situez-vous? 

JFP : Nous sommes plutôt à l'aise. Je veux dire que les perspectives de la Banque du Canada ont essentiellement fait écho aux nôtres. Cela signifie que leurs prévisions ressemblent un peu à un copié-collé de nos prévisions. Donc, nous sommes heureux du point où en sont les choses. Et cela signifie que si nous avons raison, le taux directeur de la Banque du Canada passera à deux et demi d'ici la fin de l'année, et à trois d'ici le début de l'année prochaine. 

SM : Très bien. Andy, quelques mots de réconfort ou d'orientation pour les gens qui se tiennent au courant de toutes ces nouvelles économiques passionnantes? 

AN : Ça en fait beaucoup à digérer. Il y aura beaucoup de préoccupations dans les gros titres. Beaucoup d'alarmisme, mais les perspectives vont aider. C'est le nom du balado.

[tous rient]

SM : Bien, nous allons nous arrêter ici pour aujourd'hui. Andy, JF — merci à vous deux de nous avoir donné votre avis. Ce fut un réel plaisir de vous accueillir.

AN : Tout le plaisir est pour moi, Stephen.

JFP : Je vous en prie. 

SM : Je me suis entretenu avec Andy Nasr, directeur des placements chez Gestion de patrimoine Scotia et Jean-François Perrault, économiste en chef à la Banque Scotia.